Au-delà du Bureau de la Foi : Quand le Privé Dévore le Politique
Au-delà du Bureau de la Foi : Quand le Privé Dévore le Politique
Depuis quelques jours, je vois défiler sur mon mur Facebook des posts de personnes surprises par l’annonce de la création du Bureau de la Foi par Donald Trump. J’avoue que l’annonce et la photo officielle sont saisissantes, mais elles s’inscrivent dans la continuité de son opération de reconquête du pouvoir. Depuis sa défaite face à Biden, Trump s’efforce de cimenter son électorat, déjà acquis à son discours de croisade contre le “wokisme”, les droits LGBT et les idées progressistes comme l’antiracisme.
Piqué par la curiosité, j’ai googlisé Paula White, la big boss de cette structure. Télévangéliste, gourou d’une méga-church, fervente défenseuse de la théologie de la prospérité, elle incarne parfaitement ce dogme conçu pour justifier l’enrichissement de Trump et de son entourage tout en soumettant les plus pauvres. Cette fusion entre religion et capitalisme n’est pas nouvelle, mais Trump et son entourage l’ont portée à un niveau inédit. La théologie de la prospérité, popularisée par des figures comme Paula White ou Joel Osteen, repose sur une idée simple : la richesse est un signe de la bénédiction divine, et la pauvreté, une preuve d’un manque de foi. En d’autres termes, si vous êtes pauvre, c’est de votre faute. Une vision qui légitime non seulement les inégalités, mais qui transforme aussi les églises en entreprises lucratives, où la prière se monnaye et où l’austérité budgétaire devient un principe moral.
Ce modèle a déjà fait ses preuves ailleurs : au Brésil, l’essor des églises évangéliques a été un facteur clé dans l’élection de Bolsonaro, qui s’est appuyé sur cette idéologie pour justifier ses politiques antisociales. Trump applique la même recette : détourner la foi populaire au service du capital.
Il va de soi que tout cela va à l’encontre des fondements des religions monothéistes, qui prônent l’humilité, l’entraide et le partage, tandis que la cupidité et l’avidité y sont considérées comme des péchés capitaux. Mais Trump ne se contente pas d’exploiter la religion comme un levier électoral : il l’intègre dans une stratégie plus vaste, celle d’une refonte de l’État au profit des milliardaires. Faute d’obtenir par les urnes un pouvoir sans limite, il cherche à se l’arroger autrement.
Certains le prennent pour un imbécile, mais ses provocations et ses transgressions ne sont pas que du spectacle. Elles testent les limites du système, sondent les failles institutionnelles, repoussent la ligne rouge de ce qu’un président peut imposer sans que les institutions ni les citoyens ne réagissent.
Pour cela, il a besoin d’alliés, et il les a trouvés. Dans la Silicon Valley et la haute finance, Trump a identifié sa nouvelle aristocratie. Le temps est venu pour eux de sortir de l’ombre : après des décennies passées à influencer la politique en coulisses, ils veulent désormais diriger directement. Leur stratégie repose sur trois piliers : séduire et capturer une base électorale avec un discours ultraconservateur, noyer le débat public sous une avalanche de polémiques pour empêcher toute organisation de l’opposition, et enfin, affaiblir l’État jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une coquille vide, prête à être remplacée par une gestion privatisée.
L’exemple de Musk est frappant. Avec le Department of Government Efficiency (DOGE), il ne se contente pas de critiquer l’État : il cherche à le court-circuiter. Son modèle repose sur un double discours : dénoncer l’inefficacité des services publics tout en proposant des “solutions privées” qui renforcent son emprise. SpaceX remplace la NASA, Starlink s’impose comme une alternative aux infrastructures télécom traditionnelles, et Neuralink prétend révolutionner la médecine sans passer par les contraintes de la recherche publique. Ce n’est pas qu’une question d’innovation, c’est une prise de pouvoir progressive sur des secteurs-clés autrefois sous contrôle démocratique.
Musk ne se contente pas d’accumuler des entreprises, il redessine les contours du pouvoir. En rachetant Twitter – devenu X – il s’est offert un outil d’influence massif, capable de dicter l’agenda politique mondial. Autrefois espace central pour l’information et les mobilisations progressistes, Twitter a basculé sous son contrôle : suspension arbitraire de journalistes, amplification des figures de l’extrême droite américaine, mise en avant des discours climatosceptiques et complotistes sous prétexte de “liberté d’expression”.
Mais son pouvoir ne réside pas seulement dans ce qu’il met en avant, mais aussi dans ce qu’il fait disparaître. En démantelant les équipes de modération et en modifiant les algorithmes, Musk favorise une dynamique où le bruit écrase l’information, où les polémiques vident le débat de toute substance.
Ce n’est pas qu’une dérive idéologique : c’est une stratégie politique.
Peter Thiel ne veut pas seulement affaiblir l’État : il veut en façonner l’après. Son obsession libertarienne l’a mené à financer des projets comme Seasteading, où des milliardaires pourraient créer leurs propres cités-États, affranchies de toute régulation démocratique. Mais son influence dépasse le fantasme des îles indépendantes : il investit directement dans la politique américaine. En 2022, il a injecté des dizaines de millions de dollars dans les campagnes de J.D. Vance et Blake Masters, des candidats ultraconservateurs et anti-démocrates.
Thiel ne veut pas seulement dominer l’État, il veut aussi écraser les contre-pouvoirs. Et le premier d’entre eux, c’est la presse. En 2016, il a financé une poursuite judiciaire jusqu’à la ruine de Gawker, envoyant un message clair aux journalistes : attaquer les puissants peut vous coûter la vie.
Nous entrons dans l’ère du techno-populisme, où la démocratie n’est plus qu’un simulacre.
La France suit-elle la même trajectoire ? Si les États-Unis et la France partagent une tendance à l’affaiblissement progressif de l’État au profit des intérêts privés, leurs dynamiques restent différentes. Trump manipule la foi, Macron manipule l’expertise. Aux États-Unis, le pouvoir se légitime par le divin ; en France, il se justifie par l’illusion de la compétence et du pragmatisme. Il n’y a pas de messianisme divin, mais un dogme tout aussi rigide : celui de la modernisation imposée, où chaque recul social devient une fatalité. Là où Trump mobilise la religion pour asseoir son pouvoir, Macron s’appuie sur la machine technocratique et un réseau d’influence économique et médiatique. Les décisions ne se justifient plus par une volonté populaire, mais par la nécessité de réformes incontournables, dictées par les exigences du marché. Ici, pas de prêches enflammés sur la prospérité divine. Le pouvoir s’impose autrement : en saturant l’espace public de polémiques identitaires et de débats sécuritaires.
Pendant que les écrans s’embrasent autour du voile ou de mélenchon, les inégalités explosent, la protection sociale s’effondre et l’État se dépouille de ses derniers instruments de régulation économique. L’objectif est le même : détourner l’attention des rapports de force et transformer la politique en simple gestion comptable, sous-traitée aux grands groupes.
Mais en France, cette transformation ne se fait pas au nom de Dieu : elle avance masquée, enveloppée dans l’illusion technocratique d’une modernisation inévitable. Et comme aux États-Unis, cette stratégie repose sur une guerre de l’information permanente. Steve Bannon l’avait formulé sans détour : “Flood the zone with shit.” Saturer l’espace médiatique de polémiques insignifiantes pour empêcher toute structuration de l’opposition. En France, Bolloré orchestre cette mécanique avec CNews, Europe 1, le JDD. Chaque jour, une nouvelle distraction. Une guerre culturelle montée en boucle, pendant que les inégalités explosent et que l’État se vide de sa substance. Le débat est hystérisé, l’opposition étouffée sous un flot ininterrompu d’indignations fabriquées. Les chiffres ne mentent pas : la concentration des richesses s’accélère, les protections sociales s’effondrent, et l’État cède de plus en plus aux intérêts privés. Loin de garantir l’intérêt général, il devient un simple intermédiaire entre la population et les grands groupes qui dictent les politiques publiques.
Sommes-nous en train de troquer un roi de droit divin pour une oligarchie économique qui avance masquée, drapée d’algorithmes et de slogans populistes ? Jusqu’où laisserons-nous faire avant de réaliser que les règles du jeu ont changé ? Car il ne s’agit plus seulement d’un affrontement politique classique entre conservateurs et progressistes, mais d’une transformation plus profonde du pouvoir : un monde où l’État devient un simple prestataire de services pour les intérêts privés, où l’information n’est plus un bien commun mais un marché, où la démocratie elle-même est remodelée par ceux qui possèdent les infrastructures numériques et financières. Alors, que reste-t-il à faire ? Faut-il croire en une réforme possible de ces structures, ou admettre que le rapport de force est déjà perdu ? Existe-t-il encore un espace pour une alternative crédible, ou avons-nous déjà basculé dans une nouvelle ère où la contestation est une variable contrôlée, absorbée, digérée avant même d’avoir existé ?
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