A Gèze, la Ville chasse les pauvres

Billet de blog
le 4 Nov 2024
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Sous la pression de la droite au dernier conseil municipal, la Ville de Marseille a pris il y a dix jours un arrêté pour interdire la vente à la sauvette dans les alentours de la station Capitaine Gèze pendant deux mois. Depuis, il est impossible pour les vendeurs et vendeuses de s’installer dans tout le périmètre. La police fait des rondes entre la station Gèze, les abords du marché aux puces, et le long du boulevard Gèze jusqu’à l’usine Haribo, saisit la marchandise et donne des amendes à celles et ceux qui vendent ici depuis parfois des années, empêchant, pour le deuxième week-end consécutif la tenue du plus grand marché du nord de la ville. Ce marché, bien qu’il ne soit pas autorisé, sert de lieu de ressources et de subsistance pour des milliers d’individus, marchands et clients confondus. Son interdiction totale est une offensive violente contre les plus précaires de la ville.

La vente à la sauvette à Gèze n’est pas une nouveauté, et la répression de celle-ci non plus. Depuis le milieu des années 80, les trottoirs du boulevard allant de l’usine Haribo jusqu’à la rue de Lyon accueillent différents types de marchands, s’installant là sans autorisation officielle. Vêtements d’occasion, paires de baskets, appareils électroniques usagés, bibelots en tout genre, vaisselle ou matériel de cuisine, le commerce de l’occasion dans toute sa multiplicité traverse les époques et les poubelles de la ville finissent inlassablement vendues sur les trottoirs de Gèze. Dans cet immense marché qui ressemble depuis quelques années plus de 500 vendeurs et vendeuses tous les week-ends, on peut acheter de tout, d’occasion, parfois même neuf, pour pas cher. Régulièrement, des patrouilles de police rappellent l’illégalité de ce marché en intervenant tôt le matin accompagnées d’équipes de cantonniers pour débarrasser la voie publique de cet usage commerçant en déployant l’appareil répressif habituel : destruction de marchandises, amendes pour les vendeurs, et distribution d’OQTF au passage pour les sans-papiers qui se trouvent là. Une fois la police partie, le marché se réinstalle.

Mais depuis deux semaines, la politique répressive est montée d’un cran. A Gèze, samedi et dimanche matin, des gens marchent le long du boulevard, caddie à la main, s’interpellent les uns les autres pour se demander quoi faire, et regardent avec dépit les voitures de police qui patrouillent toute la matinée dans le périmètre du nouvel arrêté, craignant de se faire saisir leur marchandise s’ils s’installent au bord de la route. « L’amende est chère », me dit une vendeuse qui, comme une grande partie des marchands, vend ici tous les week-ends à côté de la plateforme du bâtiment pour compléter ses 800 euros de retraite qui lui permettent à peine de faire des courses une fois son loyer payé. Ce matin elle ne déballera pas, et devra donc faire sans les quelques euros en plus que lui ramène le marché, pour le deuxième week-end consécutif. De l’autre côté, sur la nouvelle passerelle permettant de passer de la station Gèze à la rue de Lyon, quelques vendeurs se sont installés, bravant l’interdiction. Très vite, la police arrive, et retient une femme seule et âgée qui porte une valise pleine de vêtements, en lui demandant si elle compte les vendre. Elle répond que non et réclame avec un ton paniqué à ce qu’on la laisse partir. Au métro, au marché aux puces, sur le boulevard, les scènes comme celles-ci se répètent, et tout le monde ne parle que de ça. « C’est comme ça pendant deux mois ils ont dit » disent certains, se demandant comment ils vont faire d’ici-là, en nourrissant malgré tout l’espoir que le marché puisse reprendre passé ce délai.

La dimension sociale et nécessaire du marché de Gèze n’est pourtant pas censée être un angle mort de la politique municipale, puisqu’elle avait récemment ouvert la voie à l’implantation d’un marché légal dans les entrepôts Casino en face du métro, avant que le projet ne tombe finalement à l’eau. De quoi donner un goût encore plus amer à cette interdiction brutale et dangereuse, dont la justification ne tient qu’à des tractations électorales nécessitant comme à l’accoutumée le sacrifice des plus précaires. Dans ce coin de Marseille, qui est aussi celui de l’extension d’Euroméditerranée, et où se meurt déjà dans l’indifférence l’historique Marché aux puces, les pouvoirs publics organisent ensemble la destruction du commerce populaire marseillais.

Commentaires

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  1. BLeD BLeD

    Merci pour ce témoignage. De droite ou de gauche, les culs-de-plomb confortablement installés sur leurs sièges d’élus ont le culot de considérer les pauvres comme des parasites, des indésirables, des surnuméraires. Rappelons ce que disait José Allegrini, adjoint de M. Gaudin chargé de la sécurité publique (et accessoirement avocat des parrains corses), à propos des Roms : “Je ne peux quand même pas les dissoudre dans un bain d’acide !” Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme, a raison quand il pointe une continuité entre la brutalité néolibérale et les pulsions génocidaires d’hier et d’aujourd’hui. N’en déplaise à ces aigris, Marseille est et restera une ville populaire.

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  2. SLM SLM

    La vente à la sauvette est un délit. Elle est interdite et réprimée par le code pénal : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038312313

    L’arrêté de la mairie ne sert donc à rien si ce n’est à brasser du vent auprès des naïfs et de l’opposition municipale.

    Doit-on en outre comprendre que l’auteur encourage la commission de délits?

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    • julijo julijo

      oui, je passe souvent à côté de ce “marché” et c’est indéfendable !

      et oui, l’arrêté de la mairie ne sert à rien, si ce n’est à faire plaisir à la métropole, et à leur dire : chiche, essayez de faire mieux !
      (voir l’article précédent dans marsactu sur ce sujet.)

      et le problème majeur de la pauvreté dans la ville, ce n’est pas en supprimant le marché aux puces de gèze qu’il sera réglé.
      de même, le marché aux puces, ce n’est pas le commerce populaire, c’est entretenir toute une population “pauvre” à vivre d’expédients, de recel, de larcins divers.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Il y a certainement un problème majeur de pauvreté dans cette ville, et la répression anti-pauvres n’est pas une solution. Mais quand on écrit que sur ce “marché” sauvage, on peut acheter “parfois même [du] neuf”, il faut quand même se demander d’où vient ce neuf. Demandez aux commerçants du centre-ville, il ont une réponse à la question.

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  4. RML RML

    C’est quand même un drôle d’amalgame indéfendable d’assigner les pauvres au marché de Gèze qui par son ampleur ne peut rester dans l’illégalité.
    Et l’exemple que vous donnez de la retraitée à 800 euros me questionne : ma propre mère avait 770 euros de retraité comme beaucoup de femmes seules qui avaient quitté leur époux et avaient peu travaillé. C’était très dur. Elle ne possédait rien. Mais elle a bénéficié des APL et de pas mal d’aides ponctuelles parfois, mais sans jamais choisir de travailler dans l’illégalité et se tuer la santé comme votre exemple de Gèze.
    Tout ça pour dire que c’est tout de même un choix avec 800 euros et pas seulement une fatalité.
    Il y a peut être un juste milieu à trouver entre le discours anti pauvre et le discours pro pauvre, les deux me semblant délétères.

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