“Contre les incendies, il faut des espaces pâturés, forestiers, cultivés”

Interview
le 22 Août 2017
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Depuis le début de l'été la région a subit d'importants incendies qui ont ravagés des centaines d'hectares de massifs forestiers. Un collectif de jeunes paysagistes méditerranéens publie une lettre ouverte. Ils préconisent la réorganisation de la lisière de la ville en réimplantant des zones agricoles pour prévenir les incendies.

Un homme regarde le feu se déployer en face de son quartier aux Pennes-Mirabeau cette nuit.
Un homme regarde le feu se déployer en face de son quartier aux Pennes-Mirabeau cette nuit.

Un homme regarde le feu se déployer en face de son quartier aux Pennes-Mirabeau cette nuit.

Déployer davantage de Canadairs pour les uns, fermer et surveiller les massifs forestiers au gré de la météo, pour d’autres font parties des “solutions” proposées par les institutions pour pallier les incendies qui ravagent la région chaque été. Le collectif des jeunes paysagistes méditerranéens créé il y a tout juste une semaine, souhaite présenter d’autres moyens, plus durables, non pas pour lutter contre le feu une fois embrasé mais dans le but d’agir de façon préventive pour l’éviter. Tout juste diplômés de l’école nationale supérieure du paysage de Marseille, Pierre David et d’autres paysagistes, sur les traces de Gilles Clément, biologiste et paysagiste chevronné, souhaitent agir face à la multiplicité des feux de forêts et apporter leur expertise aux collectivités territoriales sur l’organisation des massifs forestiers à la lisière de la ville.

Leur idée force est de remettre en culture les lisières des villes pour créer un tampon durable entre les premières habitations et la forêt qui s’embrase. Une responsabilité commune disent-ils dont ils font part dans une lettre ouverte que Marsactu publie conjointement sur l’Agora : Sans les paysans je crame… signé la terre!, paraphée, pour l’heure, par une dizaine d’architectes paysagistes indépendants. Fondateur de ce collectif, architecte et paysagiste, Pierre David évoque comment la lutte contre les feuxde forêts peut élargir le champ des possibles.

Quel est le dessein de cette lettre ouverte? 

Pierre David : L’idée principale est de faire prendre conscience aux responsables politiques et aux citoyens que la question des incendies n’est pas une mission réservée aux pompiers et aux gardes forestiers. Les urbanistes aussi ont leur part de responsabilité et doivent pouvoir apporter leur expertise. On ne peut humainement combattre sans arrêts les feux de forêts. Désormais, c’est l’aménagement du territoire qu’il faut revoir. Il s’agit également de porter d’une voix commune la pensée des architectes-paysagistes. Du constat aux préconisations que nous avançons, rien n’est inventé ! Ce sont des idées qui infusent dans notre secteur d’activité. Il faut faire comprendre aux habitants de notre région que le risque est devenu inévitable, il est structurel dans nos écosystèmes.

Ainsi, vous constatez le fait que les feux de forêts qui ravagent des centaines d’hectares dans la région sont, entre autres causes, le résultat d’un abandon à partir duquel le volume global de la végétation dont le feu se nourrit grossit sans cesse… 

C’est plus fort que cela. C’est la cause du risque incendie. D’un côté l’urbanisation avance à grands pas. Les maison se construisent de plus en plus loin, à la croisée de la forêt. De l’autre, la forêt, très peu, voire pas du tout entretenue, s’étend de plus en plus. C’est ce que les ingénieurs de prévention des risques appellent des “interfaces habitat-forêt”. Tout est diffus, il n’y a plus de limite entre la ville et la proche campagne. C’est cela qui met en péril les citoyens et leur habitation.

Vous préconisez donc un réaménagement des massifs forestiers, afin qu’ils ne soient plus à la lisière des villes. Comment opérer de tels changements ?

Il faut s’inspirer de ce qu’il se faisait il y a deux ans. Il faut des espaces pâturés, forestiers, cultivés. Pour une zone qui a brûlé, les reboisements ne sont pas la meilleure solution car on replante de mauvais arbres qui sont susceptibles de partir en fumée à leur tour. Ainsi il faudrait laisser l’écosystème se reformer quelques saisons durant, puis y implanter une activité d’élevage qui aura pour conséquence de maintenir une végétation censément plus basse. Une zone tampon où le feu aurait du mal à progresser.

Vous militez pour une réinstallation des terres agricoles. Comment seraient financées ces activités ? 

C’est le côté positif de cette lettre. On pense à la productivité des territoires locaux. L’agriculture périurbaine, même si elle a du mal à se défendre, elle fonctionne. Il y a une plus-value de ses produits agricoles. Il s’agit de produire à côté du bassin économique important qu’est la métropole. Il suffit qu’il y est un débouché pour que cela fonctionne. Plutôt que de faire venir des olives d’Italie, elle viendront par exemple de Roquefort-la-Bédoule. C’est une attitude de locavorisme [un mouvement qui consiste à acheter des produits de saison provenant de sa région, ndlr]. Cela crée une agriculture de meilleure qualité et avec un impact écologique moindre.

On ne se fait pas de soucis pour la viabilité économique de ces terrains agricoles proche de la ville. À Brignoles (commune du département du Var), par exemple, pour un terrain disponible, il y a dix agriculteurs potentiels. La demande de ces terrain existe… Mais il faut quand même du courage pour arrêter de construire. Parce que l’agriculture rapporte moins que l’immobilier. C’est pour cela que cette lettre s’adresse aussi au pouvoir politique dont le rôle est très important.

Comment réaménage-t-on une zone à risque qui n’a pas encore été touchée par les incendies ?

Il faut employer les mêmes outils que pour les zones ravagées. Il faut surtout le soutien des maires, car contre leur volonté, on peut difficilement replacer une structure agricole. Un terrain qui n’a pas encore subi d’incendies, il faut s’imaginer que dans les cent prochaines années, il va brûler. C’est triste, mais il est nécessaire d’y réfléchir. Dans une immense forêt, on peut très bien faire des coupe-feux agricoles. Il est nécessaire de remplacer un bout de forêt par quelque chose… Toujours végétal, toujours beau, toujours naturel, mais qui puisse freiner l’avancée du feu. Ce week-end, le feu d’Aubagne s’est déclenché à la lisière de la ville et s’est terminé à Carnoux. Aujourd’hui, on a des continuités de massifs forestiers qui s’étendent d’un département à un autre. C’est pourquoi, à l’échelle territoriale la notion de pare-feu est extrêmement importante.

Concrètement, quelle est la place des architectes-paysagistes dans le réaménagement des espaces verts ?

Nous pouvons intervenir à plusieurs échelles, et aux côtés de plusieurs types d’acteurs. D’abord, on peut opérer sur une propriété privée et lui dessiner son jardin de sorte à ce qu’il soit moins inflammable. À une autre échelle, on peut démarcher des maires et les aider à transformer des surfaces en parc agricole. Là nous avons une casquette de maître d’œuvre pour les collectivités dans le but de réaménager des terrains incendiés ou à risques. Dans un autre temps, pour ce qui est de la planification territoriale on travaille main dans la main avec les ingénieurs agronomes, les pompiers, les gardes-forestiers, les écologues, les urbanistes, ainsi que les architectes. C’est là que l’on prend part aux plans locaux d’urbanisme (PLU), ainsi qu’aux schémas de cohérence territoriale métropolitain (Scot).

L’intégration des paysagistes dans la gestion des incendies serait-elle une première en France? 

La mairie de Nîmes l’avait fait après un grand feu dans les années 90 ou les paysagistes étaient intervenus pour réorganiser le massif forestier. Ce qui est innovant, je dirais que ce serait de prévoir le risque. Agir avant que ça brûle.

Lire la lettre ouverte du collectif des jeunes paysagistes méditerranéens sur l’Agora.

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Commentaires

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  1. cedric matthews cedric matthews

    Il faudrait relancer le pastoralisme aux portes de Marseille, la Chèvre du Rove ferait l’affaire de l’entretien des collines. Une filière entière peut être constituée de la formation de chevrier à la production de laitage.
    Penser aux peintures de Guigou et Loubon de la fin du XIXes, les collines de Marseille étaient entretenues par des troupeaux de Chèvre.

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  2. Germanicus33 Germanicus33

    Ces propositions relèvent du bon sens le plus élémentaire, mais nos édiles sont plus intéressés par un profit immédiat .
    Des herbivores pourraient nettoyer les sous-bois, cause essentielle de la propagation des flammes… La pratique du défrichage écologique est en plein essor dans le Nord de la France. ..

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  3. jo147 jo147

    Que des bonnes idées et du bon sens. Avec un peu de pédagogie, je pense qu’on peut avoir facilement un consensus populaire sur ces propositions.
    Sauf que “… il faut quand même du courage pour arrêter de construire. Parce que l’agriculture rapporte moins que l’immobilier… “.
    C’est bien le cœur du problème.
    Marseille et les communes alentours n’arrêtent pas de construire. On leur met la pression pour ça, du côté des promoteurs certes, mais aussi du côté politique avec le respect de la loi sur les logements sociaux. Ces communes sont à la chasse aux mètres carrés. Et là, on leur demande en plus de réserver des espaces en bord de ville pour l’activité agricole. Compliqué …

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  4. Tarama Tarama

    Les mecs réinventent l’eau tiède. Et le côté “on a trop construit dans la forêt, donc il faut encore repousser la forêt”, bof.

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