Affaire Bernardini : le parquet cible les intérêts privés du maire d’Istres et de sa famille

Enquête
le 15 Juil 2020
11

Le parquet national financier poursuit ses investigations dans le dossier qui vise le maire d'Istres François Bernardini. Fin juin, ils ont notamment entendu l'ancien patron de l'élu pour connaître la réalité d'un emploi de directeur des relations publiques qu'il cumulait avec son mandat.

François Bernardini, maire d
François Bernardini, maire d'Istres, en 2019. (Photo : JML)

François Bernardini, maire d'Istres, en 2019. (Photo : JML)

De perquisitions en auditions, le parquet national financier épluche depuis plus de quatre ans le fonctionnement de la mairie d’Istres. Dans la foulée de la chambre régionale des comptes, les enquêteurs ont noté l’omniprésence de plusieurs entrepreneurs istréens. L’enquête se poursuit avec une question importante qui pourrait embêter François Bernardini. Si ces entrepreneurs pouvaient obtenir autant de marchés, d’un complexe aquatique dans le quartier d’Entressen au parking du forum des Carmes, dans le centre-ville, était-ce parce que le maire obtenaient des faveurs en échange ? C’est le sens du délit de prise illégale d’intérêts qui peut toutefois n’être que caractérisé par des contreparties morales.

Les enquêteurs explorent désormais une autre piste. Selon nos informations, ils s’intéressent de près à l’emploi qu’occupait l’ancien homme fort du Parti socialiste des Bouches-du-Rhône au sein de Médias du sud, propriétaire de télévisions locales dont l’ancienne chaine marseillaise, LCM. Un poste sur lequel se sont déjà interrogés en leur temps Le Ravi et La Provence.

Son ancien patron a été entendu

La semaine du 22 juin, c’est donc le patron de Médias du sud, société propriétaire du réseau Via et implantée essentiellement en Occitanie qui a été entendu. Christophe Musset a dû justifier la réalité de l’emploi qu’a occupé durant plusieurs années et jusqu’en 2014 François Bernardini, alors même qu’il était déjà maire d’Istres et ses quelque 40 000 habitants. “Il s’agissait d’apporter quelques éclaircissements sur l’environnement professionnel de monsieur Bernardini, confirme-t-il à Marsactu. Je ne peux dire plus, d’une part car je ne souhaite pas commenter une affaire en cours, et d’autre part car cette affaire ne me concerne pas, sachant qu’en plus, je n’en connais ni les tenants, ni les aboutissants.”

Un nombre d’absences important afin d’exercer son mandat était bien sûr permis à François Bernardini. La loi fixe à 140 heures par trimestre ces absences autorisées pour les maires de plus de 10 000 habitants. Mais il s’agit de déterminer si le travail effectué par le maire d’Istres valait 7500 euros bruts de salaire mensuel pour un poste présenté par l’élu comme celui de “directeur des relations publiques” dans sa déclaration d’intérêts de 2014.

François Bernardini n’a pas laissé un souvenir impérissable à ses anciens collègues. Ainsi, Alain Armani, directeur des programmes de LCM de 2012 à 2014 peine à se rappeler ses rencontres avec François Bernardini. À la place qu’il occupait, il avait notamment à piloter des programmes sponsorisés par les collectivités locales dans le cadre de contrats d’objectifs et de moyens signés avec celles-ci. Un poste où il aurait dû côtoyer François Bernardini ? “Je sais qu’il faisait partie de l’entreprise mais ce n’était pas mon interlocuteur. Mes interlocuteurs étaient Christophe Musset et Pierre-Paul Castelli [son associé, ndlr]. On ne voyait pas François Bernardini à Marseille, je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres sites”, explique-t-il. Un autre ancien salarié, que nous avons rencontré et qui souhaite rester anonyme, n’a guère plus de souvenirs. “Je sais que son rôle était notamment de récupérer des contrats d’objectifs et de moyens. Mais nous n’en avons pas vus beaucoup et personne ne savait réellement ce qu’il faisait”, se remémore cette source.

Philippe Cambon, acteur important de la société qui employait Bernardini

La question est d’autant plus prégnante que l’entrepreneur Philippe Cambon avait un rôle important chez Médias du Sud. Il en était actionnaire minoritaire à hauteur de 12 %. Les publicités pour ces sociétés, notamment SAM vérandas, étaient aussi parmi les plus fréquentes sur les canaux locaux. “Les enquêteurs cherchent à savoir si l’argent investi dans cette société par Philippe Cambon a servi à payer François Bernardini”, indique une source proche du dossier.

Pour mémoire, la série de gardes à vue initiée à la fin de l’année 2019 avait montré sur qui se concentrait l’enquête préliminaire menée pour association de malfaiteurs en vue de commettre les délits de détournement de fonds publics, favoritisme, prise illégale d’intérêts et de favoritisme. Outre le maire d’Istres François Bernardini, son directeur général des services Nicolas Davini, étaient concernés deux entrepreneurs : Philippe Cambon, multi-entrepreneur local dans la promotion immobilière et les travaux publics et l’architecte et patron de la société Atrium Paulo Dias ont été entendus par les gendarmes parisiens chargés de l’enquête.

Ces sujets étaient déjà sur la table lors des gardes à vue des deux hommes en décembre 2019. “Monsieur Cambon s’est intégralement expliqué sur cette question et je considère qu’il n’y a strictement rien à lui reprocher”, indique son avocat, Hervé Témime, qui “regrette vivement que l’enquête ne soit pas restée secrète à ce propos”. Selon nos informations, face aux gendarmes, Philippe Cambon s’était appliqué à présenter cela comme un investissement parmi d’autres, précisant que sa participation à la société s’est poursuivie après le départ en avril 2014 de François Bernardini. Ce dernier “a répondu à toutes les questions sur ce sujet, soutient son avocat Michel Pezet. Il justifie les contrats qu’il a pu obtenir avec cette télévision. Il justifie des heures de travail. Il s’agit ni plus ni plus moins que d’un contrat de commercial.”

Les autres pistes de rémunération explorées sont indirectes. La famille de François Bernardini est elle aussi concernée. Le 10 décembre, comme lui, sa fille Anne-Lise a été entendue par les enquêteurs sur ces soupçons “d’association de malfaiteurs”. Quand lui était en garde à vue à Paris, sa fille était entendue en audition libre à Marseille. Une semaine plus tard, le 17 décembre, son autre fille, Lætitia était à son tour convoquée.

Les bonnes affaires de Lætitia Bernardini

Le choix d’entendre dans la même session ou presque les deux filles du maire marquait l’intérêt que leur porte l’enquête. Il s’agissait de déterminer si elles ont pu participer à un degré ou à un autre à des arrangements entre le maire et des entrepreneurs locaux. Ils ont en effet découvert avec étonnement les activités professionnelles des enfants Bernardini, exercées auprès des acteurs-clés du dossier. La justice soupçonne ici une forme de circuit de rétribution du maire pour services rendus qui pourrait passer par ses filles.

Le travail de Lætitia Bernardini est de longue date interrogé dans cette enquête. La jeune femme a travaillé dans l’immobilier et s’est retrouvée à côtoyer des entrepreneurs locaux. Dans un des premiers dossiers dont se sont saisis les enquêteurs, la villa de la directrice de cabinet de François Bernardini, elle avait été mandatée par cette dernière pour mettre en vente cette maison dont les conditions d’acquisition font l’objet d’investigations.

La bâtisse a depuis été saisie dans le cadre de l’enquête. En la mettant en vente chez Solvimmo pour 1,15 million d’euros, la société dont Lætitia Bernardini avait la gérante, elle avait constitué “un produit d’appel pour une agence”, avait-elle expliqué en 2016 à La Provence. Or, François Bernardini est soupçonné d’avoir favorisé les desseins de sa directrice de cabinet dans un premier temps en accordant notamment un permis de construire postérieur à une série de travaux sur la bâtisse.

On retrouve aussi Lætitia Bernardini auprès de Philippe Cambon. Selon nos informations, Philippe Cambon a à plusieurs reprises fait appel à ses services sous divers statuts. Elle est notamment intervenue dans la commercialisation d’un immeuble nommé le Rex, dont les promoteurs étaient Philippe Cambon et Michel Vallière, le précédent patron du cabinet d’architecture Atrium. Le SAN Ouest Provence, dont François Bernardini avait un rôle important, avait abandonné une servitude pour faciliter la construction de cet immeuble.

Un immeuble bien connu du parquet national financier
Le PNF a procédé à des saisies conservatoires sur plusieurs appartements ou sur le produit de leur revente. Cela concerne notamment l’appartement acquis par le maire d’Istres lui-même, François Bernardini, évalué à environ 110 000 euros. Même montant visé pour sa fille Lætitia qui y possède aussi un appartement. Les deux promoteurs du Rex, l’architecte Michel Vallière et l’entrepreneur Philippe Cambon, qui avaient conservé au moins un logement dans cet immeuble (Philippe Cambon a depuis revendu le sien), sont eux aussi concernés. Pour eux deux, les biens ou sommes saisies se situent autour de 230 000 euros. Au total, ce sont donc des biens d’une valeur cumulée de 600 000 euros qui ont été saisis au Rex à la demande du parquet national financier. Les saisies sont contestées devant la chambre de l’instruction.

Une commercialisation qui interroge

Selon des éléments que nous avons recueillis, Lætitia Bernardini aurait touché dans ce dossier une somme de 40 000 euros environ via société LB consultant (depuis radiée) soit 2000 euros par appartement pour la commercialisation de cet immeuble. Une somme versée par les deux promoteurs du Rex, Philippe Cambon et Michel Vallière, architecte alors patron du cabinet d’architecture Atrium. Or, parmi les acquéreurs, on retrouve notamment son père ainsi que ses deux ex femmes, des clients qui n’ont pas dû être difficiles à trouver.   “Il n’y a pas de circuit de refinancement de Monsieur Bernardini qui passerait par Mme Bernardini”, assure son avocat Frédéric Pourrière qui ne confirme pas le montant. Celui-ci précise : “Ce n’était pas une rémunération à la vente des appartement mais des honoraires. Madame Bernardini n’est pas étrangère au métier, cela faisait plusieurs années qu’elle travaillait dans l’immobilier. Il y a tout un travail qui a été fait par cette société, notamment les montages financiers, et nous l’avons documenté. Elle intervenait en accompagnement des clients, Bien sûr, il y a des proches qui en ont vent parce que quand on défend un projet, on peut convaincre ses proches de son intérêt.”

Un autre cas spectaculaire est celui de son intérêt au sein d’Istropolis, projet de nouveau centre commercial souhaité par François Bernardini. La société de Lætitia Bernardini a été citée par les promoteurs du projet comme ayant participé à la commercialisation aux côtés d’une autre entreprise, bien plus solide, Keops Collier International. Cette participation a longtemps été niée à la mairie d’Istres. Le maire a cependant semblé admettre ce point lors d’une conférence de presse le 12 décembre, évoquant un “ensemble commercial” qui ne s’est “pas réalisé”. Ce centre commercial a été de nouveau retoqué par la commission nationale d’aménagement commercial en début d’année. “Madame Bernardini était peut-être présente au départ. Mais de mémoire, elle n’était pas compétente et elle s’en est vite rendu compte. Elle n’a jamais travaillé véritablement dans ce dossier”, rend compte son avocat Frédéric Pourrière.

Concernant Anne-Lise Bernardini, une activité a attiré l’attention des enquêteurs : son passage au sein d’une étude notariale istréenne. Cette dernière a la particularité d’avoir été l’interlocutrice attitrée de Philippe Cambon, notamment. C’est ainsi elle qui a supervisé les transactions concernant la villa de la directrice de cabinet ou l’immeuble Rex. Les notaires, officiers publics, sont tenus notamment d’assurer l’authenticité des actes. Et selon les éléments recueillis, certains documents réalisés ont posé question de ce point de vue aux enquêteurs. Ils s’interrogent alors sur le rôle qu’aurait pu jouer Anne-Lise Bernardini dans ce cadre.

Sur toutes ces questions comme sur d’autres pans du dossier, l’heure est maintenant pour les enquêteurs et le parquet national financier à la synthèse de leurs travaux. La fin de l’enquête préliminaire est attendue pour la fin de l’année.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Orsu Orsu

    Bernardini serait il un Balkany bis ?

    Signaler
  2. Alceste. Alceste.

    Ah , revoilà le “marronnier” BERNARDINI.

    Signaler
  3. Piou Piou

    Merci pour ce travail fouillé.
    et maintenant : qu’ils dégagent !

    Signaler
    • Zumbi Zumbi

      Sauf qu’il vient d’être élu, avec l’appui de “ses” communistes (contre ceux d’à côté qui votaient Charroux à la Métropole), et qu’il a aussitôt fait un deal avec Martine Vassal pour la soutenir à la Métropole. Et l’on gémit sur le peuple qui s’abstient de plus en plus… l’intérêt pour la politique sombre devant la politique intéressée.

      Signaler
  4. Jacques89 Jacques89

    Profitons encore un peu de la présence du PNF qui répond aux menaces et aux tentatives “d’étouffement” par la diffusion de ses infos dans la presse “libre” que pas mal de notables ne supportent plus. Toute Vérité, qu’elle vienne d’un juge ou d’une fadette est bonne à entendre.

    Signaler
  5. MarsKaa MarsKaa

    C’est à vomir, ces gens qui pensent pouvoir s’arranger entre eux, au dessus des lois, je te favorise-tu me favorises, et qui vont jurer leurs grands dieux qu’ils ne font “rien de mal”, ou que “tout le monde” fait ça…
    Bien sûr les delinquants, les trafiquants, les profiteurs, les arnaqueurs, les assistés, les voyous… ce n’est pas ce genre de personnes…
    Votre article ne laisse aucune prise au doute sur leur implication dans qlqchose de très louche.
    La justice ira t’elle au bout ?

    Signaler
  6. Alceste. Alceste.

    Mais ce qui m’étonne toujours c’est que tout le monde sait que nous avons à faire à des gens aux comportements plus que douteux voire crapuleux et qu’ils soient élus les deux doigts dans le nez.
    Et cela j’ai vraiment quelques difficultés à le comprendre. Mais il est vrai que je n’ai jamais rien demandé à une élue ou un élu.

    Signaler
  7. Mistral Mistral

    Dans les Bouches du Rhône les alliances politiques sont parfois très surprenantes… Il a soutenu Martine Vassal pour son élection à la Métropole et il a été soutenu par des élus d’horizons très différents : PC, LR, LREM, UDI…
    La palme revient au PC qui s’offusque d’une alliance avec S Ghali à Marseille mais qui soutient Bernardini à Istres, et qui s’allie avec Martine Vassal à la Métropole !!!

    Signaler
  8. Alceste. Alceste.

    Le PC en Provence vient d’inventer un nouveau concept, le communisme à géométrie variable.

    Signaler
  9. Kitty Kitty

    A quand le PC exclut du PM ?

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire