Des avions en papier pour percer le plafond de verre

Reportage
le 14 Avr 2017
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Des collégiens de quartiers défavorisés circulant au sein de l'école centrale de Marseille, avion de papier au bout des doigts, c'est le projet de challenge Aeroweb proposé par le Labo societal en cette journée ensoleillée de vacances scolaires.

Des avions en papier pour percer le plafond de verre
Des avions en papier pour percer le plafond de verre

Des avions en papier pour percer le plafond de verre

Des mains s’activent consciencieusement à plier et replier des feuilles de papier tandis que d’autres s’apprêtent à faire décoller les avions en papier, plus ou moins volants. Certains de ces origamis aéronautiques jonchent déjà la salle de classe de l’école d’ingénieurs Centrale Marseille. En ce mercredi après-midi de vacances scolaires, des collégiens de 4e et 3e de sept établissements situés en REP + (réseaux d’éducation prioritaire) de Marseille se sont réunis pour participer à un challenge baptisé Aeroweb. Une initiative créée par le “Labo sociétal”, structure interne à Centrale, dont l’une des missions est de mener cette école d’ingénieurs à être plus “ancrée dans le territoire via un axe social”, précise Mathilde Chaboche, sa coordinatrice. “Géographiquement, on est situé à coté des quartiers Nord, c’est une valeur ajoutée pour l’école, qui a une dimension éthique. On voulait faire quelque chose de ludique cette année avec ce projet Aeroweb”, s’enthousiasme-t-elle.

Lors de ce stage, six équipes de cinq collégiens sont en compétition pendant deux jours :  leur objectif est de créer des avions en papier capable de vrilles, loopings et d’être le plus rapide. La réalisation de l’élève dissipé devient objet d’étude. En plus de cela, ils vont devoir réaliser un site internet présentant le projet et leur rôle. Ils seront ensuite départagés par un jury composé de “professeurs de leurs collèges, d’un chargé de mission d’Airbus, et d’un professeur de mécanique de Centrale“, précise Guillaume Quiquerez, directeur du Labo sociétal.

L’équipe bleue a délaissé ses feuilles de papier et les polycopiés de schémas alambiqués pour se presser autour de l’ordinateur portable de la classe. La création du site web est chapeautée dans chaque équipe par plusieurs élèves de Simplon Mars, formation de Centrale, qui regroupe des demandeurs d’emplois ou décrocheurs scolaires peu ou pas diplômés provenant de quartiers prioritaires de la métropole, autour de la programmation informatique. Lors de cette journée, les deux projets sociaux du Labo sociétal se croisent. “On voulait impliquer Simplon Mars dans le projet Aeroweb, les confronter à une situation de gestion, de communication. L’objectif c’est que ça ait un impact de revalorisation et de confiance en soi”, définit Mathilde Chaboche.

Un étudiant de Simplon Mars supervise la création des pages web.

L’objectif ? “Qu’ils ne se mettent pas de limites”

L’ambiance est détendue, les élèves concernés sont tous des collégiens “tutorés à l’année”, par des élèves ingénieurs bénévoles au sein de l’association étudiante Échanges phocéens. Chiara, étudiante ingénieure de première année, se distingue des autres élèves par un polo bleu floqué de son prénom. Elle est la “directrice générale” de l’association et gère chaque semaine les séances de deux heures proposées à ces collégiens issus de milieux sociaux défavorisés. Pour Aeroweb, elle supervise avec d’autres étudiants les six groupes. Chiara résume l’enjeu : “L’important ici, c’est que les jeunes de différents collèges se rencontrent et s’amusent et que cela crée des vocations. Le but est de les pousser à des études supérieures, qu’ils ne se mettent pas de limites”. Mathilde Chaboche renchérit : “L’objectif c’est de leur ouvrir l’horizon, de savoir que c’est possible de rêver au-delà du bac et de leur donner accès à une pleine citoyenneté, à leur ville”.

Parmi les collégiens, plusieurs vocations sont déjà évoquées. Pêle-mêle : les avocats, médecins légistes, orthodontistes ou encore éducateurs spécialisés se disputent le haut de l’affiche des métiers les plus plébiscités. Okbar, étudiant de Simplon Mars, pondère pourtant l’enthousiasme général : “Il y a toujours certaines limites sociales, ils sont issus d’endroits défavorisés, du collège Prévert, à Frais-Vallon, ou encore la Belle-de-Mai, la plupart manquent d’ambition et veulent faire comme leur entourage”. Il renchérit en faisant le parallèle avec sa propre trajectoire : “Pour sortir de ce genre de situation, il faut y aller fort. Je connais le parcours, j’ai pas le bac, je suis autodidacte. J’ai fait la formation, car sinon le Quick m’attendait”. Désabusé, il conclut : “Ils peuvent y arriver s’ils n’ont pas de soucis dans leurs vies, mais ça sera plus dur pour eux“, avant que Chiara ne vienne interrompre la conversation.

“On a même travaillé sur le sexisme”

Le hangar de l’école Centrale a revêtu des allures de cour de récré. Les groupes y passent le “test” pour leur avion, les collégiens discutent avec entrain, courent et se défoulent. “Ils commençaient à s’impatienter dans la salle”, commente en souriant Okbar. Trois copines de 4e sont heureuses de cette journée, surtout qu’elles se sont retrouvées ensemble dans le groupe. Elles sont enjouées concernant ce stage et leur année de tutorat : “On a découvert pleins de choses sur l’environnement, l’informatique, des thèmes qu’on ne voit pas à l’école”, s’enthousiasme Nisrin. “On a même travaillé sur le sexisme“, renchérit vivement sa copine. Un discours qui fait écho à celui de Sana et Mohamed. Celui-ci espère devenir ingénieur et souhaite “inventer des choses, innover pour connaître plus de choses. J’aime travailler à plusieurs“. Même s’il ne sait pas s’il continuera le tutorat l’année prochaine. “Mohamed fait partie d’Échange phocéen depuis le début de l’année, ça permet de l’éveiller et de faire des passerelles. Ce genre de journée propose quelque chose de concret, plus que les salons où ils sont parfois emmenés. Ils s’acclimatent au milieu et côtoient des centraliens“, analyse Lauraine, étudiante Simplon Mars.

Il faut dire que si tous les discours sont au diapason et encensent cette journée, ces élèves ne sont pas là par hasard. Sélectionnés dans sept collèges, ils sont 300 à suivre les cours de tutorat et 30 pour ce stage. “Le principal a convoqué trois, quatre élèves dans son bureau et il nous a proposé de faire ce tutorat, il nous a laissé choisir”, explique Youssa, en 3e au collège Edmond-Rostand (6e). Elle se fait interrompre par sa copine de droite, qui affirme ne pas avoir eu le choix, tandis que Naura, également en 3e dans le même collège n’a aucune hésitation : “Je saute des cours. J’ai cours de 3 h à 5 h et à la place je vais à Échanges phocéens”. Mathilde Chaboche précise que les “chefs d’établissement donnent (sic) les élèves les plus motivés, car c’est quand même deux heures de plus par semaine. Ce sont des établissements au niveau assez bas, ils ne sélectionnent pas selon qui est bon ou mauvais élève“.

Deux-tiers de filles

Une sélection en amont par les principaux du collège qui garantit une assiduité correcte aux heures de tutorat. “Ils ne sont pas plus pas moins assidus qu’en classe, ceux qui s’engagent sont globalement assidus”, assure Guillaume Quiquerez, venu voir comment se passaient les tests au hangar. “Cela fait 12 ans que ce programme existe et que l’on a inventé ce genre du tutorat en France”. “On a entre 75 et 85 % de nos tutorés qui réussissent au bac et le taux de passage entre la 3e et la seconde est de 95 % de nos effectifs”, ajoute Mathilde Chaboche, qui, accompagnée d’un mètre et d’un fil, fait passer les tests aux adolescents et mesure la performance de leur engin. Seulement, ils ajoutent tous deux qu’il est difficile de les suivre une fois le lycée terminé. “On a quelques suivis, mais on a peu d’observation au long cours pour connaître réellement les résultats, note le directeur du Labo societal. Le problème c’est en terminale : les élèves deviennent plus utilitaristes, l’ouverture culturelle ne sert par leurs intérêts à court terme et ils se ferment à ce moment-là et choisissent les filières courtes, influencés par leur famille. Mais ce n’est pas un échec, on est persuadé de contribuer à briser le plafond de verre.”

Un déterminisme social à combattre, mais pas seulement. Un travail sur la mixité, bravant les stéréotypes de genres liés aux métiers scientifiques, commence à porter ses fruits : “On organise des journées pour sensibiliser aux métiers qui subissent de gros stéréotypes de genre, via des expos photos ou des conférences avec des ingénieures de la NASA“, affirme Mathilde Chaboche. En effet, parmi les collégiens papillonnant dans le hangar, on remarque une majorité de filles. D’ailleurs, plusieurs groupes sont exclusivement féminins, et Mohamed, seul garçon dans son groupe reconnaît être “bien avec des filles, parce qu’on rigole encore plus“. Effectivement, Youssa, Naura et Bahadjat dans la même équipe que Mohamed, sont des boute-en-train. Si elles ne lâchent pas leurs portables, elles sont impliquées dans le processus de fabrication des avions et espèrent toutes les trois entrer en seconde pour faire la filière S, même si elles ne se voient pas ingénieures : “On attend de voir encore un peu ce que que propose Centrale“.

Au total, “60 à 65% sont des filles sur les 300 tutorés” confirme Mathilde Chaboche. Elle justifie ce chiffre en avançant que “les filles au collège et lycée sont plus studieuses et se donnent les moyens de s’en sortir“. “Les garçons ne sont pas intéressés“, lancera à la volée une collégienne, occupée à décorer son avion, tout en écoutant Naza, chanteur à la mode. A l’inverse, en école d’ingénieurs, les “filles représentent 20 à 25 % des effectifs, car elles sont moins ambitieuses et compétitives“, un peu plus sur la formation Simplon Mars, détaille Mathilde Chaboche.

De retour dans la salle de classe, l’heure est la décoration. S’il est parfois “difficile de transmettre des connaissances complexes” selon Julien, étudiant, cette journée, à défaut de vocation, aura fait se rencontrer deux mondes différents. Les élèves de l’équipe bleue mettent de la musique pour les accompagner dans leurs travaux manuels. Paillettes et plumes sont au programme, des apparats pour faire voler encore mieux ces avions vers la victoire qu’ils obtiendront le lendemain. En attendant que ces élèves s’envolent eux, vers l’horizon de leurs choix.

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