Adam Saïd, auteurs en abyme

Portrait
le 3 Déc 2016
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Ecrivain et cinéaste, Adam Pianko forme un auteur unique avec Daniel Saïd. Après plusieurs films, courts et longs, ils cosignent une bande dessinée inédite sur une Savine réinventée. Portrait d'auteurs en miroir.

Adam Saïd, auteurs en abyme
Adam Saïd, auteurs en abyme

Adam Saïd, auteurs en abyme

Sans que l’on sache vraiment pourquoi, nos pas nous amènent jusqu’à la petite salle de danse, à l’entresol de la Sound Musical School. Ce centre culturel à l’usage de la rue est situé au pied des tours de la Savine, à Notre-Dame-Limite (15e). Peut-être est-ce pour le grand miroir qui occupe un pan de mur. Ou parce qu’Adam Saïd y a tourné de nombreuses scènes d’Aouine leur premier long métrage. La syntaxe a fourché. Le miroir sert à ça : il différencie et associe, crée des doubles.

Adam Saïd sont deux.  Le “vieux” Adam Pianko d’un côté et le “jeune” Daniel Saïd de l’autre. Dans le miroitement trouble des identités, l’un est cinéaste et écrivain, l’autre “un mec des quartiers côté crapuleux” dixit lui-même. L’un juif est d’origine polonaise, l’autre français d’origine comorienne. Musulman, il porte un nom juif d’ange et deux larmes tatouées sur la pommette qui ne prêtent pas à rire. “Je m’appelle comme ça parce que ma mère adorait Daniel Balavoine. J’ai eu chaud parce qu’elle aimait aussi les Feux de l’amour et j’aurais pu me retrouver avec Victor Newman comme prénom. Mon père n’aurait pas voulu”, sourit-il. L’un et l’autre ont été victimes d’un “coup de foudre artistique” il y a six ans de cela. Ce duo a déjà accouché d’un long métrage, Aouine primé au festival de Tetouan, plusieurs courts, une web série en préparation, une reprise de Carmen de Bizet avec des ados… Et une BD.

Ensemble, ils co-signent le scénario de Pour maman, Mémoire d’un dégun, à paraître en avril 2017 aux éditions Les Enfants rouges et qui fait l’objet d’une opération de financement participatif en cours. Cette nouvelle aventure est un des multiples projets qui les unit.

Spielberg à la prod’

“À l’origine, Daniel voulait refaire un film dont la première scène était un concours de danse au Dôme. Je lui ai dit qu’à part si on avait Spielberg à la production ça serait un peu compliqué. Il commence à me raconter l’histoire. Je l’arrête et lui donne un dictaphone”, résume Adam. Daniel revient avec 40 minutes enregistré d’une traite, la trame de l’histoire et les deux idées-force. “Deux personnages qui se lancent à l’assaut d’un concours de danse pour éviter à leur mère d’être expulsée de son logement. L’un des deux est hypermnésique. Il est donc capable de refaire n’importe quel pas de danse qu’il voit.” Adam s’attèle à l’écriture “puisque c’est son métier”, rigole Daniel.

Il va y ajouter un narrateur qui construit un récit cadre et dont la trajectoire est pour beaucoup celle de Daniel. “Il aime bien mon histoire perso”, glisse l’intéressé. Celle d’un enfant des cités de Nantes, décrocheur scolaire bien avant de finir son BEP comptabilité. Il glisse assez vite dans le trafic, “des petits délits” et l’errance, d’Angers à Lille en passant par Paris et Marseille où il revient régulièrement. “Je suis le cousin d’Ibrahim qui a été tué par les colleurs d’affiche du FN. Je suis toujours venu à la Savine”, explique-t-il. Il y rencontre sa femme, a un premier enfant et repart. Il y revient ensuite avec le disquaire Philippe Corti. “En sortant de beuverie, il m’a embarqué à Marseille pour une émission à Radio Star. Finalement, je suis resté.” Il finit par s’ancrer à la Savine où ses activités professionnelles et l’amour font lien.

Un roman graphique inédit

Tout ceci est dans la BD à paraître. Dans la façon comme dans le fond, elle offre un objet inédit dans le paysage éditorial actuel. “Il s’agit d’une fiction dans la réalité, analyse Nathalie Meulemans, fondatrice des éditions les Enfants rouges. Tous les personnages sont vrais, justes, sans les clichés associés à la banlieue.”

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Quelques planches de la bande dessinée, pour lire en plein écran, cliquer sur les petites flèches en haut à droite de l’image.

Adam Pianko a déjà connu une expérience positive avec Le pavé originel, adaptation par Winz d’un roman édité par Delcourt. “Mais je ne voulais pas d’une BD, très découpée avec des bulles et des cases mais une forme de roman graphique comme Gemma Bovery ou Tamara Drew de Posy Simmonds.” Ses connaissances en BD sont limitées. Les deux livres de l’Anglaise ont fait l’objet d’adaptation cinématographique. Il boucle le récit sous une forme narrative et part en quête d’un dessinateur puis d’un éditeur.

“Des Noirs à gros nez”

Chez une amie monteuse, il tombe sur les dessins d’un certain Cépé et se dit que son trait noir ressemble à ce qu’il veut faire. Illustrateur et Marseillais, Cédric Pierre Bez s’emballe pour le projet. Mais les premiers dessins fournis font tiquer Adam Saïd. “Les noirs avaient des gros nez, c’était choquant”, dit-il. Il faut franchir le décalage entre le dessin de BD parfois à gros traits et les attentes du duo. Adam y croit et s’accroche. Cépé aussi. Il a adoré Aouine. Le trait s’affine, prend forme. “Finalement, ils m’ont envoyé les rushes et les photos du film, explique-t-il. Nous avons travaillé ensemble sur le découpage. L’idée était d’être loin de la BD classique, de travailler sur des doubles pages, sans cases. Adam avait une exigence que les gens et la cité soient tous beaux.” Le dessinateur n’a pas encoe trouver le temp d’aller à la Savine. Il ne connaît pas ceux qui donnent corps à ses personnages et sont tous des Savinois de chair et d’os. Mais il a réussi à leur donner vie sur le blanc de la page. Ensemble, ils ont inventé une forme nouvelle, panoramique et précise, de traiter un sujet inédit, en bandes dessinées. L’éditrice y croit et s’avoue enthousiaste en attendant la sortie. Cépé travaille depuis deux ans, sans la moindre rémunération. Le crowdfunding, s’il réussit, doit lui permettre d’avancer plus vite.

Pour utiliser un mot à la mode, Pour maman est un spin-off d’Aouine, leur premier film, un rejeton qui explore un possible narratif. Les deux font la moue. Aouine est pétri de la même pâte réelle que la BD à paraître. Ce fil fragile propre à toutes leurs créations, où fiction et vérité s’entrecroisent. Cette fécondité est née d’un échec. En 2009, Adam Pianko fait des repérages à la Savine pour un film avec Vassili Silovic qui ne verra jamais le jour.

“Classement par l’Unesco”

En lien avec l’association Addap 13, il y fait des ateliers d’impro et cherche un consultant pour l’épauler dans l’écriture de ce film. Il prend cadre dans une cité promise à la démolition dont les habitants veulent faire classer au titre des monuments historiques leurs bâtiments. “On leur dit que c’est trop pourri pour être classé mais ils se disent qu’ils peuvent avoir un classement par l’Unesco au titre du cadre de vie, poursuit Adam Pianko. Ils se lancent à fond dans le mode de vie caractéristique d’une cité : deal, cambriolages, etc… pour convaincre l’Unesco.” Cet été-là, en 2009, la Savine voit les premières grues démolir le bâtiment A. Le décor est là.

Daniel Saïd se rend par curiosité à un atelier d’impro. Le courant passe. Adam flashe. Il est embauché comme consultant. Cela se passe moins bien avec Vassili Silovic, le réalisateur. Il finit par partir fâché. “Je pense qu’il y avait aussi une certaine jalousie à l’égard de Daniel”, ajoute Adam Pianko. Le duo prend forme même si à l’époque, il s’agit d’un trio, d’une famille où figure aussi Cécile Minnino, éducatrice à l’Addap. Ensemble, ils construisent une histoire. “Il y avait un intérêt à avoir quelqu’un de l’intérieur, moi, un extérieur, Adam et une qui était un peu les deux.”

Un trio et une déchirure

Le film s’appellera donc Aouine. Cécile Minnino y campe une éducatrice, Daniel est dealer. Adam réalise et prend le son “très mal”. Une grande partie de la cité participe. Les enfants y sont magnifiques de vérité. Le film se fait cahin-caha et fonde ce triangle d’auteurs. Pourtant, à l’issue, la relation avec Cécile Minnino se fissure. Là aussi, “jalousie”, disent-ils. Elle aussi écrit sur les réseaux, la cité. N’a pas sa place dans ce duo déjà formé. Elle rompt par lettre recommandée. Ils espèrent la revoir, renouer. Contactée, elle refuse de commenter. Dans tous les couples, il y a un trio, un jeu d’attirance/répulsion et une faille secrète.

Photomontage de Cépé.

Photomontage de Cépé.

Sur celle-ci, se fonde une osmose assez inédite. Ils ne font plus qu’un à 50/50. La fascination d’Adam pour le voyou aux talents de conteur affleure. Avant il a beaucoup écrit et travaillé sur les escrocs qui exploitent à leur manière une forme de créativité. Pour Daniel, c’est l’écrit qui séduit. Lui-même a tenté le rap, l’écriture d’une pièce de théâtre : “ça s’appelait cendrier, inspiré de cendrillon, parce sa belle-mère écrase ses clopes sur elle. Ses parents étaient mort, tués par un camion après une roue arrière en scooter…”

Cinéma du réel

Avec Adam, il tient là quelqu’un qui prolonge sa pensée, écrit des mots dans son flot. Il tient là une forme de réponse à ces journalistes qui ont écrit sur le trafic de drogue mais restent à la surface. “Y a un ancien caïd de Paname qui a écrit un livre sur son passé dans les gangs mais là encore, on sent le style du nègre”, sourit Daniel.

Dans sa forme comme sur le fond, Aouine offre une forme de cinéma du réel, pas si éloigné du documentaire. Il raconte une histoire au cœur d’une cité, jouée par des habitants de la cité, avec une clarté rarement approchée sur des sujets pourtant fort traité. Avant Chouf de Dridi, Aouine parle du quotidien des charbonneurs, du racisme qui perturbe une histoire d’amour entre une jeune fille arabe et un jeune homme noir, de parents partis au bled en laissant derrière eux leurs enfants, de ces centaines de vies emmêlées dans du béton planté au pied des collines.

“La vérité des mots”

“Aouine est un miroir”, formule Daniel Saïd. “Ce que je recherche, c’est la vérité des mots, des attitudes, prolonge Adam Pianko. Ils jouent tous un rôle qui n’est pas eux.” Daniel encore : “Quand ils arrivaient sur le tournage, on leur donnait la situation. Ils mettaient le costume et ils étaient le personnage. Entre documentaire et fiction, dans Aouine, la nuance est subtile. Par exemple, Omar est bien professeur de danse mais il n’est pas amoureux d’une Arabe.” Cette subtilité tient parfois de la feuille de cigarette. Daniel Saïd campe le gestionnaire d’un point de deal qu’il a été. “Avant que la rencontre avec Adam ne me fasse arrêter les conneries”, lâche-t-il. “Il y a aussi ta femme dans tout ça”, glisse Adam. “C’est sûr mais elle, je ne l’écoutais pas”, rétorque Daniel.

En parallèle, ils travaillent également à une web série baptisée Balle au centre, une adaptation du Carmen de Bizet avec des ados de la cité et Bons selfies de Tetouan, un film miroir qui reprendrait l’aventure vécue cet été au festival du film méditerranéen. Ils y ont obtenu le prix spécial du jury dans la catégorie documentaire pour leur long métrage commun Aouine, la première aventure qui les a réunis. “Pendant tout le festival, Adam n’arrêtait pas d’hurler qu’Aouine n’était pas un documentaire mais un film de fiction, rigole Daniel Saïd. Et puis au final, on a eu le prix.” Daniel filmait tout sur la tablette qu’Adam n’arrivait pas à utiliser. Ces rushes sont la matière du film à venir. Le festival de Tetouan est d’ores et déjà d’accord pour accueillir le tournage.

Il espère également que leur duo porte la promo de la BD et lui permette de devenir le film qu’elle joue sur le papier. Dans un jeu d’abyme sans fin.

Actualisation le 3 décembre à 17h03 : modifications d’éléments sur le dessinateur Cépé à sa demande.

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