Accusé de construire sans autorisation, Ricciotti plaide le génie sans limite urbanistique
L'architecte du Mucem a comparu devant le tribunal de Toulon durant deux jours. Rudy Ricciotti y répondait d'infractions au code de l'urbanisme et de travail dissimulé sur le chantier de sa villa à Cassis. Récit d'un procès où le génie sert de prétexte pour s'affranchir des règles.
Photo Esther Griffe.
“Ce qui fait la renommée de tous mes projets, c’est leur dimension expérimentale”. Rudy Ricciotti, Grand prix national de l’architecture en 2006, auteur du Pavillon noir à Aix, du Mucem, et d’ouvrages en Italie, Allemagne ou Corée du Sud, a tenté de faire valoir sa réputation devant le jury. Et d’ajouter, main sur le cœur, la voix traversant sans difficulté la petite salle d’audience du tribunal correctionnel de Toulon : “il faut savoir que je suis extrêmement respecté par mes pairs”.
Cette petite mise au point vise à répondre à l’une des charges retenues par le tribunal. Il y était entendu mercredi et jeudi, pour travail dissimulé et surtout violation du code de l’urbanisme dans le cadre du chantier de sa villa à Cassis. La présidente Patricia Krummenacker a jugé à propos de relever une citation du livre L’architecture est un sport de combat, écrit par le prévenu : “Contre cette réglementation assassine, (…) je slalome”. Elle demande : “cette phrase, elle laisse comprendre que vous aimez filouter avec la loi, non ?”
Pour Rudy Ricciotti, “la charge est mignonne” et sortie du contexte : “oui, je revendique un usage libre des matériaux pour mes constructions”. Mais si les travaux réalisés sur sa villa ne sont toujours pas régularisés à ce jour, ce n’est pas par désinvolture assure-t-il. “J’estime simplement que ces entorses n’étaient pas d’une réelle gravité”, a-t-il affirmé à plusieurs reprises.
Cinq chantiers examinés pour travail dissimulé
Au terme de deux jours d’audience, le ministère public a requis contre la figure médiatique du procès quatre mois de prison avec sursis, 100 000 euros d’amende et la démolition d’une annexe de 20 mètres carrés.
Concernant les quatre prévenus varois à ses côtés, les peines requises vont jusqu’à deux ans et demi de prison ferme, 250 000 euros d’amende et la confiscation de deux propriétés au motif de blanchiment d’argent à l’encontre de monsieur Y.. Son entreprise de travaux était notamment en relation avec un usurpateur toulonnais, monsieur P., qui se présentait, à tort, comme un architecte.
C’est d’ailleurs autour de cette nébuleuse varoise que s’ouvre l’enquête. Le 6 mars 2012, la DDPAF (Direction départementale de la police aux frontières) interpelle deux Tunisiens en situation irrégulière. Ils disent avoir travaillé au noir pour le compte de l’entreprise IDA, et pointent cinq chantiers entre les Bouches-du-Rhône et le Var.
Parmi eux, la “Villa Presqu’île” de Rudy Ricciotti, située à Port-Miou, et la résidence secondaire de Robert Daussun, à Sanary-sur-mer (83). L’énarque, ancien ministre et président actuel de LBO France ne fait d’ailleurs pas l’objet de poursuites pénales. Explication offerte par la procureure Carine Somody durant son réquisitoire, provoquant un froncement de sourcil général face à ce moment d’honnêteté rare : “au moment des faits, ma hiérarchie a donné l’instruction de ne pas l’inquiéter”.
L’obligation de déclaration des travaux inscrite sur le contrat de vente
Aveu repris à souhait par la défense de Rudy Ricciotti : “on en fait porter beaucoup trop à ce monsieur !” s’est insurgé Me Rémi-Pierre Drai en parlant de son client. L’architecte comparaissait, en plus de faits de travail dissimulé, pour exécution de travaux, démolition, modification d’un site classé, ou encore défrichement, sans autorisation.
Or, lorsque Rudy Ricciotti achète la Villa à la famille Beuchat en 2010, l’acte de vente précise que la parcelle, située en zone naturelle classée depuis 1975, devenue parc national des calanques en 2012, ne peut pas accueillir de nouvelles constructions à usage d’habitation permanent. Faits confirmés par la commune de Cassis, qui informe également l’acquéreur que tous travaux doivent faire l’objet d’une déclaration en mairie.
« Des modifications dérisoires »
“Totalement dépassé par ce débat sémantique”, l’architecte rappelle avoir simplement détruit une fontaine, des WC extérieurs et un pigeonnier “monstrueux” de 4 mètres carrés “à la gloire du mauvais goût en Provence”… Quant aux travaux, il reconnaît avoir construit plusieurs fenêtres coulissantes dans le garage, mais insiste : “ce sont des modifications dérisoires”. Quant à l’annexe que le ministère public a demandé de démolir, l’architecte soutient qu’elle existait déjà, et qu’il a simplement rénové cet ancien réservoir d’eau en salle de cinéma.
Reste le défrichement sans autorisation sur lequel l’architecte soutient, contre l’avis du ministère public, que seuls trois arbres ont été coupés. Il ajoute avoir agi “dans l’urgence absolue”, certain d’avoir fait “un cadeau” au site, car les végétaux étaient atteints d’une maladie phytosanitaire contagieuse, assure-t-il.
Enfin, en “activiste de la profession” comme il se définit lui-même, il balaye d’un geste lyrique ses entorses au code l’environnement. “Excusez-moi, mais planter toute une variété d’espèces, ça me paraît être plutôt dans la philosophie d’un espace protégé !”, avance-t-il à propos de la végétalisation du toit du garage, alors qu’en zone de Parc national, toute modification de l’aspect d’une propriété doit être déclarée. Interrogée par Marsactu, la mairie de Cassis, qui ne s’est pas portée partie civile, estime que “les travaux et aménagements réalisés n’ont pas d’impact sur le site classé, ou un impact particulièrement limité”.
Les mesures de la DDTM contestées par la défense
La commune a transmis des conclusions similaires au tribunal, non sans provoquer l’étonnement de la procureure. Mercredi, elle a interrogé un représentant de la (irection départementale des territoires et de la mer (DDTM 13) entendu comme témoin : “c’est courant, chez vous, qu’une mairie ferme les yeux face à des infractions au code de l’urbanisme ?”
Réponse de l’agent d’un sourire courtois : “statistiquement, non, ce n’est pas courant, mais dans les Bouches-du-Rhône, on ne va pas dire non plus que cela n’arrive jamais !” Côté défense, Me Rémi-Pierre Drai et Me Véronique Germain-Morel ont longuement interrogé le témoin, contestant les mesures effectuées sur le chantier de la villa par les services de la DDTM le 11 avril 2013. Car elles accusent un différentiel de 88 mètres carré avec la déclaration fiscale de Rudy Ricciotti.
Tandis que la défense se dit déterminée à éclairer cette incohérence “mètre carré par mètre carré”, la posture de leur client les en décourage assez rapidement. “Mais les mesures que j’ai données, elles sont approximatives ! J’ai jamais calculé, moi !”, lance-t-il dans un rebond joyeux en haussant les épaules.
720 000 euros de travaux dont un tiers déclarés par l’entreprise
Sa désinvolture fait davantage grincer lorsqu’il est question d’aborder le travail dissimulé. Durant sa garde à vue médiatisée de mai 2013, quelques semaines avant l’inauguration du Mucem, l’architecte est interrogé sur plusieurs éléments.
Des bordereaux de remises de chèques sont retrouvés chez les deux gérants de la société IDA, au nom de monsieur I., président sur le papier, et de son ancien beau-père monsieur Y., décisionnaire réel. Rudy Ricciotti explique avoir facturé à l’entreprise 720 000 euros de travaux. Mais seul un tiers de la somme est enregistré en comptabilité par l’entreprise.
L’architecte ajoute que la coopération avec IDA n’a fait l’objet d’aucun contrat écrit, et que les tarifs étaient conclus de vive voix avec monsieur Y. Aussi, les factures produites par les gérants ne comportent pas de numéro. Rudy Ricciotti, qui reconnaît avoir été négligent, râle : “c’est parce que c’est la famille, cela fait 30 ans que je connais ce monsieur !”
Mais le monsieur en question, Y., décrit comme un patron “brusque” et “autoritaire”, est poursuivi pour de lourds chefs de prévention, appuyés par plusieurs témoignages d’anciens ouvriers. Les deux Tunisiens avec lesquels s’ouvre l’enquête, ainsi qu’un troisième employé, avaient porté plainte contre leur patron, assurant être victimes de menaces de mort à cause de leurs dépositions.
La relaxe plaidée pour les faits de travail dissimulé
Ce troisième employé soutient également que Rudy Ricciotti savait que les ouvriers n’étaient pas déclarés, et qu’il prenait d’ailleurs soin que les travaux ne soient pas visibles hors de la propriété. Argument réfuté par la défense : “vous voyez bien sur les photos aériennes que mon client ne cherche pas à cacher sa villa !”
En 2012, les enquêteurs mandatés par le parquet de Marseille avaient identifié sur la propriété huit ouvriers travaillant au noir, et quatre en situation irrégulière. En tant que “donneur d’ordres”, le code du travail imposait à l’architecte de vérifier que son prestataire avait déclaré ses employés. Enfin, plusieurs ouvriers assurent que Rudy Ricciotti a donné, à cinq reprises, des “pourboires” en liquide à hauteur de 200 euros. Le mise en cause le reconnaît, et formule, tout en théâtralité, des regrets cyniques en marge de l’audience : “cela fait réfléchir sur le fait d’être généreux !”
Délibéré le 23 novembre
Me Olivier Rosato, avocat de l’architecte pour le volet travail dissimulé, a demandé la relaxe et martelé “l’innocence totale” de son client, en dessinant le portrait d’un architecte dont le côté “bordélique” est simplement inextricable à son génie. Concernant les infractions liées au code de l’urbanisme, la défense a plaidé l’ajournement. Autrement dit, si, dans un temps donné, le prévenu répare tous les dommages liés à ses infractions, en clair, qu’il démolisse, ou déclare les changements, il sera toujours coupable, mais dispensé de peine et de mention pénale au casier judiciaire. Ce qui, pour un architecte reconnu, qui assure avoir déjà perdu “pleins de projets” depuis sa mise en examen, est un détail non négligeable.
Les plaidoiries de ses trois avocats achevées, Rudy Ricciotti est sorti du tribunal de Toulon à la fois halluciné et souriant, avant de s’envoler vers le Brésil. Le délibéré sera rendu le 23 novembre.
Commentaires
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En faite c’est un génie de la connerie !
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“N’y voyez pas le fantasme de l’homme, mais plutôt le délire de l’Artiste”
Le conseil de l’ordre des architectes a t’il la notion d’éthique quelque part ? Et que dire de ces maires qui voudraient garder la compétence urbanistique pour se soigner, eux et leur clientèle, comme le fait l’Etat qui “demande de ne pas inquiéter untel pour sa résidence secondaire”, demande manifestement illégale et contraire à l’intérêt général ? Reste-t’il dans la tête d’un de ces “seigneurs” une trace du concept de république ? Un stage d’intérêt général en immersion dans une communauté Emmaüs serait peut-être le premier pas d’un rééducation complète de tous ces citoyens délinquants ?
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