À Saint-Antoine, des familles avec enfants vivent dans des voitures depuis des mois

Reportage
le 21 Fév 2020
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Sur la place Canovas, à Saint-Antoine, des familles avec de tout jeunes enfants vivent depuis des mois dans des voitures comme seuls logements. Pour l'heure, cette installation n'est pas connue des services sociaux et de la protection de l'enfance.

Dans plusieurs voitures de la petite place de Saint-Antoine, plusieurs voitures servent de logements permanents. Dessin : Ben 8.
Dans plusieurs voitures de la petite place de Saint-Antoine, plusieurs voitures servent de logements permanents. Dessin : Ben 8.

Dans plusieurs voitures de la petite place de Saint-Antoine, plusieurs voitures servent de logements permanents. Dessin : Ben 8.

La scène tient de l’écart, d’un accroc dans le réel. Sur le tranquille parking de la place Canovas, dans le cœur villageois de Saint-Antoine (15e), le passant ne remarque pas ces voitures garées. Il ne fera pas plus attention aux silhouettes qui les entourent. Pourtant les riverains immédiats de la place savent bien que cette présence n’a rien d’ordinaire. Depuis plusieurs mois, des familles entières vivent à cet endroit, réparties dans plusieurs voitures. Lors de notre passage, nous y croisons une quinzaine de personnes, dont la moitié sont des enfants.

Près de l’une d’elle, la doyenne de cette assemblée de la grande misère prend le soleil. Elle vit dans une Audi noire près de laquelle, elle a installé un fauteuil en plastique. Les vitres du véhicules ont été obscurcies au scotch pour lui offrir un peu de pénombre. “Je dors là depuis longtemps, explique-t-elle dans un français cahoteux. La voiture à côté, elle me sert à ranger mes affaires”. Effectivement, une Twingo très encombrée sert de placard permanent à la dame. Celle-ci mendie depuis plusieurs années au pied de la maison Figaro sur la Canebière. Le reste du temps, elle vit là sur ce parking directement attenant au collège Elsa-Triolet.

“Quand on a froid on fait tourner le moteur”

En voyant arriver un curieux, plusieurs hommes sortent d’autres voitures garées en face. Le plus âgé est le mari de la première. Ses deux fils sont avec lui. Barbe noire soignée et lunettes rondes, le plus jeune parle un français sans heurt. “On vit là depuis quatre ou cinq ans, explique-t-il. C’est un peu notre campement. Nous sommes des Roms de Bosnie. Je suis arrivé à Marseille à l’âge de neuf ans. Je ne sais plus en quelle année”. Lui-même dit également vivre dans une voiture qu’il partage avec son frère. “Elle roule, assure-t-il. Quand on a froid, on fait tourner le moteur”. Ils disent vivre du ramassage de matériau de recyclage dans les poubelles “et de la vente de vêtements au marché aux puces”.

À deux places de son logis à quatre roues, une Opel blanche intrigue. Du coffre de la voiture sort un tuyau de gaz relié à une bouteille de butane. En s’approchant, on aperçoit sur le siège arrière deux enfants de quelques mois, endormis. Emmitouflés dans d’épaisses doudounes d’hiver, ils reposent sur des couvertures. “Mara !”, crie le jeune homme. Leur mère arrive dès qu’on s’approche d’un peu trop près. Elle fait signe de la main qu’elle ne peut pas parler et emporte la bouteille de gaz. Celle-ci est reliée à deux feux de cuisson, installés dans le coffre à quelques centimètres des enfants.

Umissa avec ses deux filles, Selma et Allisa. Dessin : Ben 8.

“Elle fait la cuisine dans le coffre parce qu’elle n’a nulle part où le faire ailleurs“, commente le jeune homme en haussant les épaules. Il assure que le gaz ne sert pas au chauffage. La dame qu’il appelle Mara s’engouffre dans un petit parking attenant au collège Elsa-Triolet. Là, un véhicule utilitaire est garé. Umissa, également originaire de Bosnie, vit là avec ses filles, Selma et Allisa de cinq et sept ans. Elle a vu sa demande d’asile rejetée alors qu’elle était installée à Lyon.

Dans un français très hésitant et force gestes, elle explique vivre à cet endroit depuis un an et demi. Des deux poignées croisés, elle fait signe que son mari est en prison “en Italie”. Elle s’est donc réfugiée dans ce petit parking où vivent d’autres ressortissants de ce petit pays des Balkans.

Un Trafic comme chambre, cuisine et salle de bains

Ses deux filles aux boucles blondes et sourire timide ne sont pas scolarisées et ne parlent pas français. Elles n’ont pas accès à des sanitaires et utilisent un petit chemin à l’écart. La salle de bains est la salle commune de l’arrière de l’utilitaire où elles dorment et mangent. La bouteille de gaz amenée par sa voisine sert à chauffer l’eau pour la toilette commune. Sur un grillage attenant, du linge sèche, témoignant de la vie domestique précaire.

Dessin : Ben 8.

Au centre du parking, un camping-car est garé. À l’intérieur, cinq enfants de tous les âges entourent un grand barbu. Il écartent les questions en expliquant qu’il n’est là qu’en transit “vers l’Italie” où il dit vivre. Des propos contredits par les riverains, interrogés sur un bar de la place. Sous couvert d’anonymat, ils affirment que le camping-car est présent depuis longtemps.

Contactés par Marsactu, aucune des structures et associations humanitaires qui visitent régulièrement les campements et squats marseillais ne disent connaître ces familles et cette installation durable. L’essentiel de leurs efforts se concentrent sur les squats connus et, pour les populations roms, sur ceux originaires de Roumanie, ressortissants de l’Union européenne.

Sur place, les personnes interrogées ne font état d’aucun suivi ou prise en charge sanitaire et sociale. “Cela sert à quoi ? Ils vont nous dire d’appeler le 115 et après ?, questionne le plus francophone d’entre eux. Vous pensez que c’est mieux qu’on aille forcer une maison et qu’on s’installe ? Non, ici, on n’embête personne…” 

Autour d’eux, les gens se garent, vont et viennent, indifférents à cette présence quotidienne. Un couple de personnes âgées passent devant les deux petites blondes qui jouent devant le trafic. La dame souffle : “Quelle misère…”

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Commentaires

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  1. djf djf

    C’est effectivement lamentable, mais cet article risque d’être contre productif, car en nommant les lieux, il vont être délogé par nos “forces de l’ordre” sous peu.

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    • Jean-Marie Leforestier Jean-Marie Leforestier

      Bonjour, nous nous sommes posé la question en réalisant ce reportage. Les personnes concernées nous ont assuré qu’elle ont déjà eu à plusieurs reprises la visite de la police. Leur situation est donc parfaitement connu des autorités.

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  2. Marie-Claire DELAIRE Marie-Claire DELAIRE

    Quelle misère, oui! Mais sommes-nous vraiment “en capacité”, comme disent les politiques, de recueillir toute la misère du monde?

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    • LN LN

      La phrase de M. Rocard (1989) prend tout son sens si on va jusqu’au bout : “La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part.”
      Au Liban, 25% de la population sont des réfugiés syriens.
      Je pense qu’on a de la marge. Il s’agit de volonté politique et non pas de discours

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  3. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    mais la misère du monde on ne pourra pas la retenir, il y aura bientôt les migrants climatiques et ts les autres. Lorsque un peuple crève il part vers des pays plus riches!! quand à vassal/gaudin ils les laissent because élections municipales mais après??

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  4. Brigitte13 Brigitte13

    ils ne sont pas les seuls. Des familles vivent sous les grands ponts d’autoroute et de métro, ligne 1 direction La Rose

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  5. Marie-Claire DELAIRE Marie-Claire DELAIRE

    Si ce sont des Roms en Europe centrale, ils sont environ 2 millions. Dans leurs pays d’origine, depuis des siècles, d’après les chiffres des Études Tsiganes, ils ont vécu de petits métiers, itinérants et sédentaires. Sous les régimes communistes,on leur a octroyé des terres, ou des emplois. Mais avec leur chute, les Roms se sont apparemment de nouveau ségrégés ou l’ont été. Et alors, quoi en faire? Ils sont 300 000 environ en France : que font-ils? payent-ils des impôts? comment peuvent-ils acheter leurs caravanes? Pour beaucoup d’entre eux, Ils utilisent les routes, l’eau gratuite des communes, polluent les endroits herbeux près des lieux où ils séjournent et transforment les endroits où ils se sont sédentarisés en casses automobiles, gardées par des chiens… Les vieux réflexes d’exclusion resurgissent chez les populations et eux ne font rien pour montrer qu’ils ont à cœur de s’intégrer : rien que s’arrêter de faire des enfants, apprendre la langue du pays, envoyer les enfants à l’école…(ce que font, certes, les Roms français, changeant d’école au gré de leurs déplacements). Cela montrerait qu’ils sont prêts à changer de comportement et de modèle sociétal…Ils assurent qu’ils n’embêtent personne, mais ce n’est que partiellement vrai…Leur style de vie me parait difficilement compatible avec le nôtre, sauf à transformer certains endroits en ghettos où seuls les services sociaux mettront de temps en temps le bout du nez.

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