[Vivre à Noailles] Tisser du lien social en attendant le changement
Fin mars, les élus doivent valider le plan-guide de rénovation de Noailles. Action sociale, gestion urbaine de proximité et habitat dégradée... Le document doit lancer le chantier sur plusieurs années. Enquête en plusieurs volets sur les attentes de ce quartier populaire du centre-ville. En commençant par l'action sociale de proximité.
Un groupe de jeunes habitants de Noailles s'initient à la danse hip-hop dans le nouveau local de Dunes.
Le mille-pattes métallique a pris ses jambes à son cou. Il y a un an et une poignée de mois, l’association du même nom installée au cœur de Noailles, place Homère, était définitivement liquidée, créant un vide dans le quartier. Depuis, la devanture qui supportait le myriapode a été peinte en rouge avec DUNES en lettres blanches majuscules.
En face, près des nouvelles jardinières qui végétalisent la rue d’Aubagne, une grappe de jeunes hommes boit des bières en tenant les murs. La place Homère a sa part d’immuable. Pourtant le coup de peinture est un indice de changement. L’action culturelle portée par le mille-pattes a été remplacée par de la prévention. Une volonté commune de la Ville et de l’État qui avaient conjointement mis fin aux financements de l’ancienne association.
“C’est une page qui se tourne, reconnaît la maire de secteur Sabine Bernasconi (LR). Nous avons commencé à réfléchir à l’implantation d’acteurs de prévention au moment de la fermeture du Mille-Pattes. Il y a un consensus de l’ensemble des pouvoirs publics sur la nécessité de créer du lien social et d’avoir une action spécifique en direction des jeunes.”
Pâte à tartiner et cola
À l’intérieur du local, l’association de prévention de la délinquance et de médiation sociale, Dunes, prend ses marques. Ce jeudi soir, de jeunes adolescents goûtent de tartines de pâte à tartiner et petits verres de cola. Ils attendent leur cours de danse hip-hop. La plupart d’entre eux habitent le quartier mais ne fréquentaient pas le mille-pattes. Autour de Rania, la seule fille ce soir-là, les garçons papillonnent avant d’aller s’échauffer dans la salle du fond.
Depuis septembre, le lieu a connu de longs mois de chantier avant d’ouvrir réellement en décembre dernier. Le coup de peinture est salvateur, il ne résout pas l’étroitesse des salles et l’absence de fenêtres. Les jeunes s’en accommodent. À Noailles, les appartements sont plus souvent sombres et surpeuplés que clairs et ensoleillés. Pas non plus d’espaces verts, ni de parc. Le quartier a les avantages de l’hyper-centre : l’accès facile en métro et tram, des équipements à proximité, les saveurs du monde entier… Il en concentre toutes les difficultés : habitat insalubre, précarité des revenus et sur-occupation des logements avec de nombreux enfants. L’arrivée de nouveaux acteurs de l’action sociale est loin d’être un luxe.
“L’intérêt n’est pas seulement de proposer une activité mais de créer un lien avec eux, explique Saïd, animateur et ancien jeune “d’en-ville”. Ils passent tous les jours et essaient un peu toutes les activités”. Dans l’autre salle, Mathilde, éducatrice, discute avec un adolescent plus âgé de ses peines de cœur. Là encore, un moyen plus qu’une fin.
“On ne remplace pas Julien Lepers”
En acceptant de reprendre le local et la nouvelle mission, Dunes se place dans la continuité des actions qu’elle mène ailleurs dans la ville : travail de rue, suivi personnel et partenariat avec les acteurs du secteur. Assez loin des actions culturelles et de la méthode informelle du Mille-Pattes. “Pour paraphraser le nouveau présentateur de Questions pour un champion : on ne remplace pas Julien Lepers, on lui succède”, résume Nourredine Bougrine dans un grand éclat de rire.
Ancien prof de maths, coordinateur pédagogique à l’Epide, le directeur de Dunes déroule sa feuille de route. “Nous nous inscrivons dans la logique du schéma départemental de prévention et dans le respect du cadre que nous ont fixé les financeurs, détaille-t-il. Il y avait un manque à Noailles sur les 14/17 ans à la fois dans l’animation et la prévention de rue. C’est donc sur ce créneau que l’on travaille. À travers les activités, on crée du lien. Ce lien nous permet après de trouver des solutions à leurs problèmes”.
Ce mercredi, alors que nous causons dans le bar-tabac sans cigarette et sans alcool qui fait face au local, trois représentants de l’Epide en uniforme bleu présentent leur établissement d’insertion créé par le ministère de la Défense. Dans la salle du fond, une éducatrice de l’Addap mène une animation avec de plus jeunes. Comme le dit Youcef Ben Moussa, un autre cadre de l’association : “La logique de partenariat doit permettre d’éviter les doublons avec les structures déjà existantes”.
“De la place pour tout le monde”
Forcément, l’arrivée d’une nouvelle structure bouscule le paysage. Un peu plus bas, rue de la Palud, le centre Julien géré par l’association d’éducation populaire IFAC vient d’ouvrir une nouvelle antenne dédiée à la parentalité et à l’insertion professionnelle. Autant d’actions que mène déjà l’association Destination familles depuis dix ans. Chacun devra peu à peu trouver ses marques sans se marcher sur les pieds.
“Il y a de la place pour tout le monde à condition que l’on mette une offre en face des habitants”, sourit Mounira Rivet de Destination familles. L’an dernier, la jeune femme a pris la suite de Dalila Ouanes, créatrice du lieu en 2007 avec une mission d’action sociale et d’éducation populaire. Les moyens sont bas mais l’énergie tenace.
Leur petit local est situé toujours rue d’Aubagne, “l’échine dorsale du quartier” pour reprendre l’expression du sociologue Michel Teule. Tôt le matin, on peut y voir des parents qui attendent l’ouverture du volet. Dans l’étroit local tout en longueur, ils peuvent avoir accès aux permanences de Médiance 13, dédiées aux problèmes de santé et d’habitat, à celles du Centre de culture ouvrière sur les droits des étrangers. Un ethno-psychiatre y vient régulièrement. Et des dizaines d’enfants, le soir pour l’aide aux devoirs.
Où faire le caramentran ?
Ce mercredi après-midi, le local de l’association accueille des acteurs du carnaval de la Plaine qui décorent des masques avec des habitants. Très jeunes et plus vieux s’y côtoient. “Par contre, on ne sait pas où on va construire le caramentran, peste Alessi Dell’umbria. D’habitude, on le faisait dans la grande salle du Mille-Pattes. Maint’nant, on va pas aller chez Dunes…” La dimension “prévention de la délinquance” du nouvel arrivant tranche avec l’esprit libertaire du précédent.
Mounira Rivet ne s’arrête pas à ces considérations. Tous les mois, elle organise des petits déjeuners avec tous les acteurs du quartier, sans exclusive. “Il y a une nécessité à travailler en bonne intelligence, constate-t-elle. Seuls, nous ne sommes rien du tout. Ce qui compte, ce sont les attentes des habitants.” Alors que les enfants du soutien scolaire bourdonnent autour du bocal vitré qui lui sert de bureau, elle revient crument sur ce qui les mène là. “Souvent ils n’ont pas même la place chez eux pour faire leur devoir. On leur offre de l’espace de travail et un accompagnement scolaire”.
“Un quartier vivant, qui doit le rester”
Quand les enfants sortent dans la rue, ils ne sont pas plus les bienvenus. Dans le quartier, aucun espace ne leur est dédié. “Les espaces piétons doivent être partagés avec les commerces ou les voitures. Il n’y a pas de jardins, pas de square. Pas plus que d’école ou de crèche, reprend Mounira Rivet qui nuance aussitôt : mais nous vivons dans un centre habité, avec une mixité, de grands équipements à proximité. C’est un quartier vivant et qui doit le rester“.
“C’est bien aussi que les gens sortent du quartier. Trop souvent les grands boulevards sont perçus comme des obstacles, rétorque Sabine Bernasconi, la maire de secteur. Les écoles ne sont pas loin et cela crée du brassage. En revanche, la création d’une crèche est une nécessité. Nous en avons le projet”. Celui-ci va de paire avec un serpent de mer du quartier : la création d’un centre social dédié.
Le centre social du futur
“Nous sommes conscients que nous avons besoin de ce type d’équipement ne serait-ce que parce qu’il peut offrir de grandes salles pour les activités. Nous avons le lieu mais nous butons toujours sur des problèmes juridiques, complète la maire de secteur. Nous avons un local au sein du domaine Ventre mais nous avons un problème de servitude avec les copropriétaires. Du coup, le projet n’avance pas. Mais nous travaillons également sur une annexe au 42 rue d’Aubagne au sein duquel on pourrait faire une crèche”.
Avec le centre social, le square ou l’école maternelle, la crèche fait partie des propositions que les participants avait formulé lors du premier forum organisé par la Soléam en décembre 2014. La société publique locale d’aménagement a en charge le projet grand centre-ville et, en son cœur, Noailles.
Il y a un an, la Soléam commandait une étude à une équipe de sociologues et d’urbanistes pour remettre sur le métier l’ouvrage de la rénovation du quartier. De celle-ci a découlé un diagnostic et un “plan-guide” qui doit programmer de tels équipements. Celui-ci attend encore la validation des élus, prévue dans le courant du mois de mars. Action sociale, gestion urbaine de proximité et rénovation des logements sont au programme. En attendant que les élus donnent leur aval, c’est en amont de cette piste que nous cheminons.
À suivre : Le casse-tête de la gestion urbaine de proximité.
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Commentaires
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C’est intéressant de noter que revient, presque, toujours sur la tapis la question du manque d’espace vert, de jardin ou de square à Noailles. Pourtant de Noailles part le tramway qui dessert le palais longchamp et son parc, le vieux port (presque) débarrassé des voitures est à 5 minutes à pieds, le cours julien et la plaine (avec leurs jeux pour les enfants) sont tout aussi proche. Le parc du Pharo est à 15-20 minutes à pied ou par le bus, direct, depuis le vieux port. Un tramway relie le quartier à la place castellane d’où il est facile de rejoindre directement les plages, le parc borély, pastré ou le jardin de la maguelone en bus. Cette question donne comme une impression que les représentations que se font les habitants du centre ville et de Noailles (quartier que j’habite également) de l’espace public pourraient évoluer…
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Il y a clairement entre Noailles et le cours Julien/la Plaine un clivage dans les représentations des habitants.
Ceci étant, au fond, les habitants demandent des espaces publics, protégés de la circulation, où ils peuvent se poser et laisser leurs enfants jouer, à faible distance de chez eux.
Les grands sites (parc Longchamp, Catalans, Borély, Pastré…) sont trop éloignés pour un usage quotidien, le cours Julien et la Plaine remplissent partiellement ces besoins et pourraient mieux les remplir, pour les habitants de Noailles mais aussi du cours Julien et de la Plaine.
Pour cela, il faudrait cependant réaménager:
– le cours Lieutaud pour le rendre plus adapté aux piétons et augmenter ainsi la porosité entre Noailles et le cours Julien/la Plaine: diminution de l’emprise réservée aux voitures (notamment pour le stationnement), sécurisation et augmentation du nombre de passages piétons,
– la Plaine et le cours Julien pour augmenter leur surface utile pour les usages de loisirs/détente: par exemple, les espaces verts au centre de la Plaine sont dégradés et inutilisables, et le cours Julien est fragmenté et sa surface utile fortement réduite par une fontaine presque toujours en panne.
Ces trois espaces (cours Lieutaud, cours Julien, la Plaine) sont aménagés comme dans les années 70 à 90. Il faudrait que la ville de Marseille rectifie ces erreurs comme les autres grandes villes de France l’ont fait depuis une dizaine d’années.
Même le Vieux Port et Euroméditerranée, qui sont de gros progrès pour Marseille, font pâle figure à côté des opérations similaires qui ont eu lieu en France dans et autour des centres historiques: Bordeaux (y compris les quais de Garonne), Toulouse, Montpellier, Paris (notamment les quais de Seine, la place de la République et le jardin des Halles…) pour prendre quelques exemples assez connus.
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Bien d’accord avec l’analyse de Reuze. Il y a cependant des individus qui sont vent debout face au projet de requalification de la place Jean Jaurès avec un catalogue d’arguments fallacieux et alors que le projet définitif n’est même pas dévoilé… C’est un peu désespérant alors que les propositions laissent plus de place aux piétons et à la déambulation dans un univers un peu plus apaisé en termes de véhicules. Certains marseillais préfèrent visiblement une certaine médiocrité face au changement quand il a la chance de se présenter…
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La plaine a clairement besoin d’un grand réaménagement, mais les opposants n’ont pas totalement tort: les pré-projets de la Soleam sont nettement focalisés sur certaines fonctions de la place désignées comme prioritaires et souhaitables par la ville. On est assez loin d’un grand espace public modulable, vivant et animé tel qu’on sait les faire maintenant.
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