À Montolivet, on protège une bastide d’une main et on la détruit de l’autre

Actualité
le 6 Fév 2021
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Dans ce quartier tranquille du 12e arrondissement, une bastide est à la fois protégée au titre du patrimoine remarquable et fait l'objet d'un permis de construire qui prévoit sa démolition. Un permis qui a été accordé par la précédente municipalité, 18 jours avant l'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme qui protège la bâtisse.

À Montolivet, on protège une bastide d’une main et on la détruit de l’autre
À Montolivet, on protège une bastide d’une main et on la détruit de l’autre

À Montolivet, on protège une bastide d’une main et on la détruit de l’autre

On y monte par un chemin de traverses qui tire un trait régulier du métro de Saint-Just au parc de la Moline, couvercle arboré aux tunnels de la rocade L2. Le chemin en lui-même charrie un pan d’histoire de la ville, entre maisonnettes barricadées derrière les murs hérissés de tessons et les immeubles collectifs “avec extérieurs” aux noms ronflants de Villa toscania ou Les Terrasses de Flore.

Au 18 de la traverse des Quatre-chemins de Montolivet, un cèdre majestueux marque l’entrée d’une ancienne bastide baptisée La Prévalaye, selon les ferronneries ouvragées qui ornent le portail. Placardée sur le mur d’en face, une publicité annonce “ici prochainement, Villa Montolivet. Appartements neufs, du studio au cinq pièces”. Cette bastide du XIXe siècle est un paradoxe urbanistique : elle fait l’objet d’une fiche de protection dans le plan local d’urbanisme intercommunal au titre du “patrimoine bastidaire”. Cela signifie que depuis le 28 janvier 2020, il y a un an, cette bastide à l’allure de “villas palladiennes de Vénitie” doit être préservée en l’état, tout comme le vestige de son parc arboré.

“L’ouvrage devra conserver sa composition, ses matériaux et sa modénature [les ornementations de sa façade, ndlr]. Aucune modification d’aspect de sa façade et de sa toiture n’est possible”.

Problème, 18 jours auparavant, la Ville a validé un permis modificatif pour construire à cet endroit 36 logements dessinés par l’agence Tangram. L’adjointe à l’urbanisme de l’époque, Laure-Agnès Caradec, pouvait donc signer d’une main un permis qui prévoyait de faire disparaître une bastide qu’elle protégeait de l’autre main, dans la même période.

Extrait de la planche du Plan local d’urbanisme intercommunal.

“Fronton brisé”

Une fois la commercialisation bien entamée, les pelleteuses pourront donc faire disparaître sans vergogne les “cadres de baie clavés”, les “impostes en fer forgé” ou le “fronton brisé”. Une action pleinement assumée par Frédéric Selle, le patron de Mistral Promotion qui a projeté d’y construire 36 logements. “Ce projet a fait l’objet d’un permis accordé en 2016″, explique-t-il. À l’époque, la maire de secteur LR, Valérie Boyer avait émis un avis défavorable au projet, arguant notamment des problèmes de stationnement ou de circulation mais sans mentionner le bétonnage excessif ou la protection du patrimoine.

“Il a ensuite fait l’objet d’un double recours à la fois devant le tribunal administratif et devant le tribunal d’instance de la part des copropriétaires des Cèdres de la Prévalaye, la propriété voisine”, résume-t-il. Ces derniers ont été déboutés devant l’instance administrative en janvier 2019.

“Pour la requête devant le tribunal d’instance, nous avons négocié et j’ai concédé de revoir à la baisse le nombre de logements, reprend le promoteur. J’ai donc fait une demande de prorogation de permis qui a été accordée et d’un permis modificatif qui m’a été également accordé le 10 janvier 2020″. Soit 18 jours exactement avant l’entrée en vigueur du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), voté en décembre 2019 par les 18 communes qui forment le conseil de territoire.

De l’extérieur, on peut à peine apercevoir la bastide, protégée par son portail d’époque. (Photo BG)

“Ce n’est pas mon problème si les services ne se parlent pas”

“Mon permis est donc tout à fait légal, constate Frédéric Selle. Il serait contraire au droit français qu’une décision rétroactive vienne le casser. Qui plus est, j’ai obtenu un permis de démolir en 2016 qui lui n’a jamais été contesté”. Il se dit tout à fait étranger à la coïncidence de deux décisions antagonistes. “Ce n’est pas mon problème si les services de la Ville ne se parlent pas”, tranche-t-il. En l’occurrence, il s’agissait de la seule adjointe à l’urbanisme d’alors. Laure-Agnès Caradec aurait-elle donc été frappée de schizophrénie ?

Absolument pas. Il n’y aucune espèce de schizophrénie de ma part, campe celle qui est toujours vice-présidente (LR) du conseil de territoire, en charge de l’urbanisme. Dans le cadre de l’élaboration du plan local d’urbanisme intercommunal, j’ai demandé à un architecte du patrimoine de l’agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (AGAM) de repérer les éléments patrimoniaux remarquables qui nécessitaient une protection. Dans ce cadre-là certaines bastides ont donc été protégées par le PLUI alors qu’elles faisaient l’objet d’un permis de construire. Nous avons décidé de mettre en place cette protection à partir du moment où celui-ci faisait l’objet d’un recours“. Laure-Agnès Caradec s’en remettait alors au choix du juge : “En cas de décision favorable aux requérants, la parcelle serait alors protégée par le PLU. En cas de maintien du permis, j’étais obligée de suivre l’avis du tribunal”.

“Cas d’école” de la braderie du patrimoine

Dans le cas d’espèce, l’ancienne adjointe à l’urbanisme dit s’être simplement conformée à une décision de justice. Sauf que la décision du tribunal administratif se borne à rejeter le recours de pure forme des voisins. La modification du projet n’a pas fait l’objet d’une décision de justice qui aurait pu s’imposer à l’élue mais d’une négociation entre futurs voisins, présents sur une même parcelle. Ce que reconnaît le promoteur qui souligne tout de même être passé de 60 à 36 logements pour respecter cet accord.

Pour l’actuelle adjointe à l’urbanisme, Mathilde Chaboche (Printemps marseillais) cette histoire de carambolage entre permis destructeur et protection constitue “un cas d’école de la façon dont la précédente municipalité s’autorisait à brader le patrimoine de la ville, en ce qu’il incarne notre histoire“. Elle refuse les arguments “de court terme qui consistent à se reposer sur une décision de justice“. “Nous devons prendre nos décisions en notre âme et conscience, insiste-t-elle. Il est trop facile de s’en remettre à des décisions administratives ou technocratiques“. Elle se dit par ailleurs “impuissante” pour remettre en cause le projet en cours. Il n’y aura donc bientôt plus de bastide, ni de parc arboré. Et comme dernier témoin du passé, un cèdre solitaire qui figure toujours sur les vues d’architecte.

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Commentaires

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  1. Jacques89 Jacques89

    Pas facile de coordonner un millefeuille. C’est le genre de coquille qui révèle les copier/coller des documents remis par les communes pour les intégrer aux PLUI sans que les membres des commissions en charge de l’élaboration se penchent sérieusement sur le texte qu’elles approuvent.
    Ceci dit, un bâtiment remarquable pas facile à voir (sauf en hiver peut-être, voir image Google Earth) et probablement difficile à aménager en logements. Le genre de protection qui ne se concrétise que dans le cadre d’un service public (musée, bibliothèque…) dans des communes qui ont les moyens….

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    • Pierre12 Pierre12

      En fait à la base en 2016, un permis est accordé, la maison n’est pas classé comme un élément remarquable.

      En 2019, 2020 peu importe, le plui est voté et A. Caradec fait répertorier au préalable les éléments remarquables dont fait partie cette maison.

      Trop tard, le pc et son modificatif délivrés quelques jours avant (le promoteur le savait et l’a déposé avant) le plui, ont fait que le pc et son modificatif sont devenus définitifs quelque soit le classement intervenu à posterio de la délivrance du pc.

      En effet, la bastide devait être difficile à aménager en plusieurs appartements mais elle aurait pu aussi être vendue et rénovée en une seule habitation, ce qu’elle a toujours été semble-t-il.

      Désolant.

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    • Maurice Maurice

      Quand le PC est accordé, le Plu n’en est pas au stade embryonnaire mais en phase de promulgation. Quand on a un peu de conscience, on anticipe et on attend que le Plu soit effectif pour rejeter le permis.
      Conserver la bastide, c’était risquer de devoir la restaurer et inévitablement arbitrer.
      Et quand on doit financer la Red Bull Crashed Ice, l’arbitrage est vite fait.

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    • Pierre12 Pierre12

      @maurice
      Quand on instruit un permis de construire, « on attend pas que le plui soit effectif » en le mettant dans un coin du bureau, parce qu’il y a des délais légaux qui courent…sans compter qu’on ne connaît pas nécessairement à l’avance la date à laquelle il va être publié. Une fois les trois mois d’instruction passés, le pc est délivré tacitement.

      Vous rajoutez à cela que des cas particuliers comme celui-ci, il doit y en avoir des dizaines dans le Ville.

      C’est fascinant comme les gens considèrent ici que tout est simple.

      Enfin, je suis quasiment sûr que la bastide appartenait à un privé, donc votre commentaire sur la restauration par la ville et comparaison avec le financement de la red bull crashed ice, que dire, inapproprié pour ne pas vous paraître désagréable 😉

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    • Jacques89 Jacques89

      Très juste Maurice. La délibération qui lance l’élaboration du PLUI date du 11 juillet 2016. La mairie pouvait donc sursoir à statuer sur ce projet en attendant sa mise en œuvre.

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    • Pierre12 Pierre12

      Très juste Jacques…3 ans pour sursoir, c’est pas bcp

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  2. Tarama Tarama

    Le clan Gaudin a bradé la ville aux copains jusqu’au dernier moment, le mouvement s’est peut-être même accéléré sentant la fin de règne, au vue des grues qui pullulent de partout aujourd’hui.

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  3. LN LN

    Mais au départ cette maison appartenait à un particulier ou à la Ville ?
    Si c’est à la Ville, il y a quoi dedans ? Je n’ai pas bien compris.

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    • Pierre12 Pierre12

      A priori à un particulier, qui a préféré la vendre à un promoteur le double du prix, voir le triple, qu’il l’aurait vendue à un particulier.

      A. Caradec une des plus grandes responsables de la défaite de sa majorité aux élections, en raison d’une urbanisation à outrance…poussée aussi par l’état (le même développement dans les autres villes de France, Bordeaux, Montpellier, Strasbourg pour les villes que je connais).

      Entre la droite qui a ouvert les vannes à fond sur les permis de construire, et l’actuelle majorité qui n’en délivre plus beaucoup, en contribuant à terme à la hausse des prix, on a les deux extrêmes.

      Un jour peut-être, une municipalité sera raisonnable et développera raisonnablement la ville, même si j’imagine que c’est plus facile à dire (écrire dans mon canapé), qu’à faire.

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  4. raph2110 raph2110

    Il me semble reconnaître cette bastide, si c’est bien elle les anciens propriétaires avaient déjà sous la pression de la municipalité de l’époque acceptés la rétrocession d’une partie du terrain pour de la construction neuve. La propriétaire est décédée il y a déjà quelques années et sans doute que son époux aussi. Un seul enfant qui ne vivait pas sur Marseille, des travaux de remise en état importants et un oeil aiguisé de l’administration municipale sur ce bien, autant de raison qui conduisent à cette triste situation. Il semblerait que la question du changement climatique et la nécessité de préserver à la fois le patrimoine et la nature ne soient pas parfaitement conscientisée par les promoteurs, les élus et les techniciens qui peuvent donner un avis. En attendant j’entends tous les matins une hulotte venue se perdre dans les rares arbres qu’il reste, en raison d’une urbanisation qui ne respecte ni les hommes, ni la nature.

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  5. Avicenne Avicenne

    Mais à qui profiterait cette bastide” si elle était protégée et rénovée par nos deniers, alors qu’il y a tant à faire dans cette ville ?
    Le Château de St Antoine dit ” bastide de Marcel Pagnol ” a été acquise par une association, alors qu’elle était dans un état de délabrement autrement plus important, a été magnifiquement rénové ainsi que son parc.
    V. Boyer est venu mettre la première pierre, toutes dents dehors !!

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  6. jasmin jasmin

    C’est vraiment étrange de s’assoir et regarder les bulldozers démolir un patrimoine qui aurait dû être classé à 12 jours près pour une erreur de paperasse de l’administration. Comme si l’administration ne pouvait strictement rien faire pour arrêter la démolition. Si ça avait été le domicile du maire ou de la présidente de la métropole, est ce qu’ils les auraient laissé démolir la bâtisse? Si c’était Notre Dame de Paris, est ce qu’on aurait laissé les bulldozers raser? Si le plan d’urbanisme qui est censé définir les poumons de la ville et son patrimoine à préserver le prévoit, comment peut on invoquer un permis de construire émis 12 jours avant pour s’assoir sur le PLUI? Si l’autorité régissant le PLUI le voulait, elle pourrait saisir la justice et demander de définir au moins un ordre de priorité, PLUI ou permis de construire. Apres tant d’années de constructions d’appartements sur plan en VEFA, ce n’est qu’en 2017 qu’une jurisprudence a établi la préséance de la Notice Descriptive jointe au contrat d’achat sur le permis de construire. Ca pourrait très bien s’appliquer à ce cas d’école.

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