À Marseille, les petites mains de Plus belle la vie s’inquiètent pour leur avenir

Tournage sur le plateau de Plus belle la vie en 2016 (Capture d'écran Dailymotion).

“France Télévision s’apprêterait à mettre un terme au programme emblématique du service public ! Cette série, avec ses milliers d’épisodes, fait vivre des centaines d’intermittents, de permanents, de comédiens, de techniciens !“. L’alerte est lancée par Sophie de la Rochefoucauld, ancienne actrice de Plus belle la vie, lors du meeting du candidat Jean-Luc Mélenchon sur la plage du Prado. La nouvelle, qui court depuis plusieurs semaines, en a surpris plus d’un. Certains sont fans, d’autres moins, mais le feuilleton a fini par faire partie du paysage. Après 18 saisons, c’est tout le milieu de l’audiovisuel local qui accueille la possible mise à l’arrêt de la production du feuilleton Plus belle la vie avec appréhension. “Ça va vraiment faire moins de boulot, tout le monde est très inquiet… Il ne restera plus grand-chose à Marseille et une grosse partie comptait dessus pour vivre“, confie Yves*, technicien qui travaille régulièrement sur le feuilleton.

Si les échos dans la presse s’accumulent depuis le mois de février, rien n’est encore fixé. Le groupe France Télévision et la société de production Newen (filiale de TF1) sont en négociation jusqu’au 31 décembre 2022, date à laquelle l’actuel contrat de diffusion aura expiré. Contactées par Marsactu, les deux sociétés refusent de commenter les rumeurs, ce qui n’empêche les petites mains de la production de se projeter et d’anticiper pour eux de lourdes conséquences. “Beaucoup sont déjà partis depuis plusieurs mois en sentant le vent tourner, ceux qui restent vont se retrouver sur la paille”, concède Antoine*, jeune accessoiriste.

Des emplois et de la régularité en moins

Dans le sillon de la prise de parole de Sophie de la Rochefoucauld, l’éventuel arrêt du feuilleton prend en effet des airs de fermeture d’usine. Il serait question de 600 emplois directs liés à la production, selon l’actrice. Catherine Lecoq, déléguée syndicale CGT spectacle à Marseille, abonde. Elle identifie 300 emplois réguliers et autant de temporaires (comédiens, techniciens, coiffeurs, accessoiristes…). “On est davantage aux alentours de 300 emplois directs sur Marseille selon les chiffres de la production, c’est quatre équipes de tournage“, tempère cependant Laurent Lhardit, adjoint au maire en charge du dynamisme économique et de l’emploi.

“Le principal manque à gagner va être en termes de régularité, poursuit néanmoins Catherine Lecoq. Plus belle la vie est une entreprise extrêmement prolixe en emplois, et ce, quotidiennement”. C’est cette stabilité exceptionnelle que les employés réguliers de la production disent par avance regretter. Avec une diffusion ininterrompue depuis 2004, sauf lors de grèves éparses, Plus belle la vie offre de nombreuses heures de travail dans un secteur fait de saisonnalité et de temps creux.

“On peut considérer que je n’y travaille qu’occasionnellement avec deux mois par an au maximum mais ça représente tout de même la moitié de mes heures pour obtenir mon statut d’intermittent“, explique Antoine. Pour obtenir ce statut, il est nécessaire de pouvoir justifier minimum 507 heures de travail effectué sur 12 mois, soit entre quatre et cinq mois de travail. Un volume horaire que peut fournir chaque année la production du feuilleton en fonction des postes.

Je vais me retrouver en concurrence avec 30 personnes au minimum sur le même champ de compétence.

Yves, technicien

“Ça va entrainer un véritable appel d’air, je vais me retrouver en concurrence avec 30 personnes au minimum sur le même champ de compétence, s’inquiète Yves, présent sur la série depuis plusieurs années. Et dans le lot il y aura des jeunes avec des prétentions salariales plus faibles qui risquent de nous devancer“. Les plus jeunes intermittents voient également d’un mauvais œil cette rivalité éventuelle, là où il y avait auparavant de la place pour tout le monde. “Forcément on craint les conséquences que ça va avoir pour les jeunes. Beaucoup d’entre nous comptent sur Plus belle la vie pour se former et trouver du travail sur Marseille : il y aura nécessairement moins de places disponibles pour un plus grand nombre de professionnels“, reprend Antoine, l’accessoiriste âgé de 25 ans.

“L’avenir n’est plus à Marseille”

Tourné dans les 3 000 m² de studio du pôle médias de la Belle-de-Mai, le feuilleton connaît un ralentissement dans sa cote de popularité depuis quelques années. En l’espace de quatre ans, Plus belle la vie a perdu plus de deux millions de téléspectateurs, passant de 4,5 millions lors de la saison 2015-2016 à 2,5 millions en 2020-2021. Des chiffres encore corrects mais bien loin des records d’audience d’antan et des performances de nouvelles productions développées depuis les dernières années. Les chaînes TF1 (Demain nous appartient) et même France 2 (Un si grand soleil) produisent tous deux des feuilletons similaires sur des tranches horaires voisines.

La série de France 2 notamment, basée à Montpellier, semble avoir aspiré l’élan qui était autrefois celui de la production marseillaise. “Quand ‘Un si grand soleil’ a été créé, on a fait appel, à Montpellier, à beaucoup d’anciens de Plus belle la vie ou des gens qui y travaillaient encore sur des postes clefs. Ça a créé un gros d’appel d’air avec des techniciens marseillais qui ont vu une occasion d’avoir là-bas un emploi plus pérenne. Tout le monde sentait bien que Plus belle la vie, ça n’allait pas durer…” confie Amélie, technicienne du feuilleton de France 2. “Beaucoup vont venir toquer à la porte de Montpellier, pressent Antoine, qui va lui aussi dans ce sens. C’est une quotidienne en plein élan donc c’est du travail sur 20 ans, l’avenir n’est plus à Marseille, il est là-bas“.

L’Occitanie, nouvel eldorado

Il faut dire que la région d’Occitanie possède de nombreuses similarités avec ce qui a fait le succès de Marseille en matière de production audiovisuelle. “Elle a tout comme nous : le soleil, la mer, les techniciens et de bons centres de formation. Ils sont même meilleurs puisque l’on stagne depuis plusieurs années“, analyse un professionnel du secteur. À Marseille, la Ville refuse de tomber dans le pessimisme et insiste sur les moyens mis sur la table pour développer ce domaine depuis des années.

“Tout le monde est tombé des nues, mais rien n’est perdu. Marseille demeure très attractive culturellement. Les studios du pôle média de la Belle-de-Mai appartiennent à la Ville, ils ne sont pas perdus et ils sauront trouver preneur pour d’autres projets” explique Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture. D’autant que nous développons plusieurs projets avec l’État pour des écoles de formation, une cinémathèque… je reste optimiste !”. Un effort présent dans le plan “Marseille en grand” annoncé par le chef de l’État qui souhaite faire de Marseille la capitale méditerranéenne du cinéma.

Même si Plus belle la vie s’arrête il devrait y avoir autre chose…

Antoine, accessoiriste

“Il n’y a pas de concurrence entre territoires, c’est un marché où l’offre demeure très importante”, rassure lui aussi Laurent Lhardit. Et pour cause, l’arrivée de tournages par des plateformes de streaming (Netflix, HBO, Amazon Prime) est vue comme un moyen de compenser l’éventuel départ de la quotidienne. “Beaucoup de ces plateformes s’installent dans le Sud et notamment à Marseille. Même si Plus belle la vie s’arrête il devrait y avoir autre chose, espère Antoine. Mais beaucoup n’ont fait que ça pendant des années, rebondir sera très compliqué“. Les décisions attendues dans les prochaines semaines, voire les prochains mois, devraient permettre aux intermittents d’y voir plus net dans ce clair obscur.

* Les prénoms ont été modifiés.