À Marseille, les écoles se font carrefour de la solidarité alimentaire
Constatant que des familles déjà précaires sont encore plus mises en difficulté par les mesures de confinement, des enseignants et des parents d'élèves s'organisent pour leur apporter de la nourriture. Ils dénoncent l'insuffisance de la réponse des pouvoirs publics, en particulier de la Ville de Marseille, et craignent que la situation n'empire.
L'école élémentaire Révolution, dans le 3e arrondissement. (Image JV)
L'enjeu
Depuis le début du confinement plusieurs cagnottes en ligne ont vu le jour à l’initiative d'enseignants pour venir en aide aux familles les plus démunies.
Le contexte
En temps normal, près de 2000 enfants mangent gratuitement à la cantine. Une aide sociale accordée sur dossier qui fait défaut avec la fermeture des écoles.
En cette période particulière, des réseaux de parents d’élèves et d’enseignants s’activent pour que les familles n’arrivant pas à subvenir à leurs besoins puissent manger. D’ordinaire mobilisés pour dénoncer la vétusté de certaines écoles marseillaises, ils s’organisent avec des associations d’aide aux plus démunis ou organisent des cagnottes en ligne, permettant d’acheter des produits alimentaires ou de reverser l’argent aux familles.
Depuis la première semaine de confinement, collectifs, associations et syndicats d’enseignants interpellent les pouvoirs publics sur une situation, qu’ils estiment aujourd’hui proche de l’urgence humanitaire. Ce 7 avril, trois semaines après le début du confinement, Jean-Claude Gaudin affirmait dans une allocution vidéo : “je pense aussi à un recensement des personnes en situation précaire et à ces enfants qui ne déjeunent peut-être pas, faute de leur repas gratuit à la cantine”.
Une des traductions du vœu du maire devrait se faire par un “dispositif d’aide aux parents dont les enfants étaient habituellement accueillis gratuitement dans les cantines scolaires. Ces aides permettront ainsi à ces familles de financer un repas complet et équilibré par jour et par enfant”, informe la Ville par communiqué, ce mercredi, sans que la date de mise en œuvre ne soit précisée. Selon une information de La Provence, les familles des 1956 enfants qui bénéficient de la gratuité de la cantine, se verront allouer une aide mensuelle de 100 euros par enfant. “Chaque repas coûte 5 euros et les écoliers mangent à la cantine 20 jours par mois, ce qui revient à 100 euros“, détaille-t-on au journal dans l’entourage de Jean-Claude Gaudin.
Des cagnottes pour éviter la faim
“L’école de ma fille s’est transformée en centre social”, raconte Catherine par téléphone. Cette mère d’élève d’une école du centre-ville vit son confinement à la campagne, où elle a pu partir avec sa famille avant la décision du gouvernement. Une chance qui n’est pas accessible à tous. Parmi les familles qui fréquentent cette école maternelle, beaucoup sont sans-papiers. Pour au moins une vingtaine d’entre elles, les mesures de confinement aggravent leurs difficultés sociales et économiques, au risque de les exposer à la faim ou à terme, à l’expulsion de leur logement. “Les parents travaillaient au black ou dans des commerces qui sont fermés en ce moment”, raconte une enseignante qui souhaite rester anonyme. D’autres activités de l’économie informelle comme la mendicité ou la vente à la sauvette sont aussi rendues quasi impossibles.
Dans cette école du centre-ville, les enseignants se sont organisés pour faire des courses pour les familles, d’abord sur leur deniers personnels. À distance Catherine reste active et solidaire : “lorsqu’on a appris que les enseignants faisaient des courses, on a ouvert une cagnotte”, avec l’association de parents d’élèves, montée il y a quelques mois pour se mobiliser par rapport à des problèmes sur le bâti de l’école.
Garder le lien avec les familles
Dès le début du confinement, les premiers enseignants à mettre en place une cagnotte ont été ceux du groupe scolaire Révolution à Saint-Mauront (3e). Puis des enseignants et parents d’autres établissements s’y sont mis, en particulier dans le très précaire troisième arrondissement, pour le lycée Victor-Hugo par exemple, situé à proximité de la gare Saint-Charles, mais aussi aux Rosiers (14e), pour des collèges. En fonction de leur ancienneté et du nombre de participants, leurs montant varient de 1000 jusqu’à près de 10 000 euros.
On a dix familles que l’on n’arrive pas à joindre et on est très inquiets. Il y en a une, je ne sais pas où elle est passée et ça commence à m’empêcher de dormir.
Agnès, enseignante à l’école Peyssonnel 2
Tous les enseignants joints par Marsactu sont déjà habitués aux collectes et aux actions de solidarité au long de l’année scolaire. Dans cette période inédite, ils mettent une priorité à garder le lien avec les familles par des appels téléphoniques réguliers. Mais quelques-unes manquent aux appels. “Il y a des parents qui ont honte ou qui culpabilisent par rapport au travail scolaire, donc qui ne décrochent plus”, observe Emilia Sinsoilliez, enseignante du groupe scolaire Révolution, par ailleurs candidate du Printemps marseillais dans les 2/3. “On a dix familles que l’on n’arrive pas à joindre et on est très inquiets. Il y en a une, je ne sais pas où elle est passée et ça commence à m’empêcher de dormir”, témoigne Agnès, enseignante à l’école Peyssonnel 2.
L’ancrage de terrain des enseignants a incité l’association Entraide et coopération en Méditerranée, liée à Emmaüs, à participer à cette solidarité. Chaque matin, l’association récolte des dons des Marseillais dans sa boutique solidaire de la place Stalingrad aux Réformés (1er). Elle porte une partie de ces dons devant les écoles Peyssonnel, Fonscolombe, Révolution dans le troisième et Extérieur à Bougainville (15e). “Je vais aussi chercher des dons des grossistes du MIN des Arnavaux que je porte à ces écoles”, explique Mohamed Hermi, chargé de projet de l’association. Celle-ci a également participé aux cagnottes de ces écoles.
La crainte d’émeutes comme en Italie
Comme ses collègues, Emilia Sinsoilliez craint de se retrouver dépassée :“au fil des semaines, de plus en plus de familles se retrouvent en difficultés à cause de la fermetures des commerces bon marché”. Et puis, selon plusieurs enseignants, nombreuses sont les familles qui perdent leurs droits à la CAF ou au RSA, faute d’avoir pu ou su s’actualiser.
Mickaël Bregliano, enseignant à l’école National, qui en plus de l’aide sur son établissement participe à une permanence téléphonique mise en place depuis le 20 mars par le Collectif des habitant.e.s organisé.e.s du 3e, confirme la tendance. “On a 600 personnes inscrites dans notre tableau de suivi. On en inscrit de plus en plus chaque jour, 30 pour la journée d’hier”. La ligne tenue par les bénévoles permet d’aider à trouver des solutions aux personnes en détresse, auprès des services sociaux, des associations… Ce numéro était voulu pour les habitants du troisième mais les appels affluent de tout Marseille et parfois de plus loin. “J’ai même reçu un appel de Rousset. Je ne savais pas comment les orienter”, expose Mickaël Bregliano. Le collectif installe un “compagnonnage” dans lequel des bénévoles s’organisent pour assurer la vigilance et l’entraide par quartiers. Mickaël, comme ses collègues, redoute la saturation de la solidarité.
“Plus le temps passe et plus les réseaux se bloquent et plus il y a de personnes à aider. Il ne faudra pas s’étonner si ça finit en émeutes comme en Italie, parce que les gens n’auront plus rien à manger”, redoute Agnès. Le Sud de la botte, dont une bonne partie de la population vit habituellement de l’économie informelle, fait actuellement face à des violences sociales.
la gratuité de la cantine, ils s’en vantent tout le temps. Ils auraient pu imaginer qu’il y aurait un problème
Mickaël Bregliano, enseignant
Face à une situation qu’ils annoncent explosive, nos interlocuteurs considèrent les annonces du maire tardives et insuffisantes. “On a des familles qui sont en grande pauvreté et qui n’ont pas accès à la gratuité de la cantine ou alors qui n’en bénéficient pas encore parce que les enregistrer, c’est long”, affirme l’enseignante du centre-ville.
“On fait un travail d’orientation qui n’est plus fait. C’est le boulot des pouvoirs publics, c’est ce qu’ils devraient faire !, tonne Mickaël Bregliano. On a joué le jeu de ne pas dénoncer, d’être dans l’union. Mais ça a pris trois semaines avant le début d’une réaction, alors que la gratuité de la cantine, ils s’en vantent tout le temps. Ils auraient pu imaginer qu’il y aurait un problème”. De son côté Emilia Sinsoilliez ressent du mépris de la part des élus, y compris de ceux de son secteur qu’elle dit avoir alerté : “c’est très violent aussi pour nous, on se sent seuls”.
Les vacances scolaires commencent ce vendredi soir. Les enseignants affirment qu’ils resteront mobilisés auprès des familles. “On ne va jamais les lâcher”, dit avec émotion Agnès. Certains regrettent le silence de leur hiérarchie au sein de l’Education nationale. L’enseignante de l’école du centre-ville ne parvient pas à cacher sa colère : “ils veulent une continuité pédagogique mais ils laissent les enfants crever de faim. Je ne comprends pas la logique”.
Actualisé le 9 avril à 11h30, pour préciser les mesures envisagées par la Ville et ajouter la qualité de candidate aux municipales d’une des enseignantes.
Commentaires
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Enseignante en collège dans le 14e nous vivons la même chose c’est insoutenable ! Merci Marsactu pour cet article ! On compte sur vous pour aller demander des comptes à nos élus : mairie, métropole, département!
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Je résume : la ville met “à l’étude” ce 8 avril un dispositif d’aide pour des enfants (2000, tout de même) en difficulté à la suite de la fermeture des écoles intervenue… le 16 mars.
Patience ! Après avoir créé ce qu’il faut de commissions et de sous-commissions, on s’apercevra que la date de la fin des classes est arrivée, et on pourra s’en laver les mains.
La réactivité de la nullicipalité, sa capacité d’anticipation et sa sensibilité aux difficultés de certains de ses administrés forcent l’admiration.
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La carence des services sociaux doit également être très sensible pendant les grandes vacances d’été pour tous ces enfants.
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Au Sud, Moraine, Bagatelle, ses tests mais pas pour tous.
Au nord, la pauvreté, la faim, la débrouille, la solidarité
Au centre, Gaudin, réfléchit, envisage, promet, un jour, peut être, comme pour les douches pour les SDF
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J
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Notre maire GAUDIN se décide lentement à verser 100 € par enfants mais Monsieur GAUDIN semble oublier, mais cela fait combien de temps que les écoles ont fermé, cela fait plus de un mois.
Dans le 3ème nous n’entendons pas beaucoup Mme BIAGGI qui est élue sur le 3ème et qui est adjoint à la Mairie de GAUDIN
Vivement une politique municipale qui s’intéresse aux quartiers Nord, une Mairie au service des habitants et pas seulement à EUROMED
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