À Marseille, des juges font reculer l’incarcération à la barre

Reportage
le 17 Mai 2022
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L’aménagement de peine, par exemple le bracelet électronique, prononcé dès le jugement, est une possibilité qui n’avait jamais décollé avant 2020. Mais à Marseille, la nouvelle réforme de la justice et la volonté d’une poignée de magistrats ont inversé la tendance. Un reportage de notre partenaire Mediapart.

Une audience au tribunal judiciaire de Marseille. (Photo : Feriel Alouti pour Mediapart)
Une audience au tribunal judiciaire de Marseille. (Photo : Feriel Alouti pour Mediapart)

Une audience au tribunal judiciaire de Marseille. (Photo : Feriel Alouti pour Mediapart)

Ce vendredi-là, en comparution immédiate, le tribunal juge Axel, 32 ans, arrêté la veille pour violence et outrage sur des policiers en civil alors qu’il passait en voiture près de « L’Évêché », le commissariat central de Marseille. Pendant près de deux heures, le jeune homme nie avoir eu conscience d’avoir affaire à des fonctionnaires de police. “Ils se sont présentés comme policiers mais ne m’ont pas montré leur carte”, martèle Axel, tout en réfutant avoir proféré des insultes et frappé l’un des deux agents.

Après une suspension d’audience, le trentenaire est condamné à 24 mois de prison, dont 12 mois ferme, avec un sursis probatoire (c’est-à-dire conditionné au respect de certaines obligations) de deux ans, assorti en l’occurrence d’une obligation de soins, de travail et d’indemnisation des victimes.

Le tribunal décide aussi d’aménager directement sa peine de prison ferme, avec un bracelet électronique, afin de lui éviter l’incarcération : c’est ce qu’on appelle, dans le jargon, un aménagement de peine ab initio. Le jeune homme repart de l’audience avec une convocation devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de Montpellier sans avoir besoin d’être reçu par un juge.

“Si l’on a aménagé la peine sur la partie ferme, c’est parce qu’il présentait des garanties, détaille la présidente, Magali Vincent, quelques heures après l’audience. On a aussi estimé, au regard de ses trois condamnations précédentes, de son impulsivité et du fait qu’il venait de finir un sursis probatoire, qu’il fallait une peine ferme mais qu’il avait besoin d’un cadre.”

Depuis 2020, dans un contexte de surpopulation carcérale, quelques magistrats tentent d’encourager les aménagements de peine prononcés à la barre du tribunal, de manière à envoyer moins de personnes en détention et de mieux prévenir la récidive. Rien qui ne puisse véritablement endiguer le phénomène de surpopulation des prisons (149 % d’occupation à la maison d’arrêt des Baumettes en avril), mais une démarche qui illustre une volonté, chez certain·es, de faire bouger les lignes.

En 2016, à Marseille, dans 69% des cas, les peines de ferme étaient accompagnées d’un mandat de dépôt.

C’est notamment le cas en comparution immédiate, “principale porte d’entrée en prison”, rappelle Morgan Donaz-Pernier, juge d’application des peines (JAP) à Marseille depuis sept ans. Une enquête menée en 2016 par des chercheurs de l’université Aix-Marseille montrait que dans 69 % des cas, une peine ferme était accompagnée d’un mandat de dépôt à la barre : la personne est envoyée directement en prison.

Depuis deux ans, le taux d’aménagement ab initio a bondi au niveau national, passant de 3 à 19 % entre 2019 et 2021, et a littéralement explosé à Marseille. Alors que le tribunal en avait prononcé à peine 20 en 2019, 711 ont été dénombrés l’année dernière. Soit une multiplication par 35 en deux ans.

Si de tels résultats ont pu être atteints, c’est grâce à la présence de juges d’application des peines lors des comparutions immédiates. Depuis deux ans, à leur initiative, un JAP endosse le rôle de juge assesseur (il assiste le président du tribunal) trois fois par semaine, de manière à favoriser les aménagements de peine ab initio.

Avant mai 2020, explique Morgan Donaz-Pernier, l’un des sept JAP de Marseille, on y allait une fois par semaine. Clairement, on ne pouvait pas insuffler grand-chose. Mais, à force de promouvoir les mesures d’aménagement, le message s’est diffusé”. Il a surtout permis de mettre en application les changements opérés par la réforme de la justice entrée en vigueur en 2020.

Ce texte instaure l’obligation pour le tribunal correctionnel d’aménager “par principe” les peines fermes comprises entre un et six mois ; et, “si la situation du condamné le permet”, celles comprises entre six mois et un an.

“Le tribunal n’est plus dans une logique de prononcer une peine de prison ferme en laissant le JAP l’aménager plus tard”, indique Damien Martinelli, vice-procureur du tribunal judiciaire de Marseille chargé des services.

La présence du JAP nous apporte énormément, reconnaît Magali Vincent, l’une des trois juges du TJ de Marseille à présider les comparutions immédiates. Ils savent bien mieux que nous dans quel cas un aménagement est possible. Ils connaissent le profil de ceux qui sont placés en semi-liberté, ils ont aussi l’habitude de prononcer des obligations particulières, dans le cadre des violences conjugales par exemple”.

Le manque d’informations sur les prévenus

Déjà rendus possibles par les précédentes réformes, les aménagements de peine ab initio n’avaient pourtant jamais décollé à Marseille. “Les collègues pensaient que c’était insurmontable techniquement, ils ne sont pas toujours au fait des nouvelles réformes. Et puis, il ne faut pas se mentir, peu y étaient sensibles, la prison avec mandat de dépôt reste une référence”, observe Frédérique Iragnes, juge d’application des peines à Marseille.

À en croire les magistrats interrogés, obtenir un aménagement de peine à la barre du tribunal revêt pourtant plusieurs avantages. Le condamné repart de l’audience avec une convocation devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), chargé du suivi de la peine, au lieu d’attendre plusieurs semaines d’être convoqué devant le juge d’application des peines.

Les aménagements ab initio permettent de fait au tribunal d’envoyer moins de personnes en prison. “Ce texte permet de faire baisser le taux d’incarcération, car auparavant l’absence de renseignements sur le prévenu pouvait nous faire privilégier le mandat de dépôt”, reconnaît Magali Vincent.

À Marseille, les mandats de dépôt ont baissé de 6 % entre 2019 et 2021 – ils ont augmenté de 4 % au niveau national – mais le taux d’incarcération à l’issue du jugement reste encore très élevé. Ainsi, 44 % des personnes condamnées l’année dernière à de la prison ferme par le tribunal judiciaire de Marseille ont été incarcérées ou maintenues en détention.

Pour être capables d’aménager la peine, les juges ont besoin d’obtenir, dès l’audience, les informations nécessaires pour déterminer la mesure d’aménagement adaptée. “Le problème des comparutions immédiates, c’est que l’on se situe tellement près des faits que le tribunal n’est souvent pas en mesure d’individualiser la peine, explique Morgan Donaz-Pernier. Pour le faire, il faut des dossiers de personnalité enrichis”.

Des proches difficiles à joindre dans les temps

C’est pourquoi le tribunal judiciaire de Marseille, l’association socio-judiciaire Apcars et le Spip des Bouches-du-Rhône ont signé début 2020 un protocole afin d’améliorer la réalisation des enquêtes sociales. Chaque matin, le pôle des enquêtes rapides du tribunal judiciaire (Polder) vérifie auprès du Spip si la personne est déjà suivie. “Si on voit qu’elle vient de finir un sursis probatoire et qu’elle l’a bien suivi, on va pouvoir aller vers un aménagement de peine sous bracelet électronique au lieu de l’incarcérer”, détaille le vice-procureur Damien Martinelli. Le service consulte également la base Redex qui regroupe les expertises médicales des personnes poursuivies ou condamnées.

De son côté, l’Apcars a modifié ses enquêtes sociales afin que le tribunal soit en mesure de prononcer un aménagement de peine. “On aborde le sujet en entretien, bien que ce soit délicat car on parle de quelque chose qui ne se produira peut-être pas. Il faut à la fois ne pas donner trop d’espoir au prévenu et faire preuve de pédagogie”, relève Alexandra Bui, membre de l’Apcars.

L’enquête sociale avant l’audience a été amélioré et prend désormais en compte des éléments de personnalité.

L’association tente surtout pour chaque prévenu d’obtenir un justificatif de domicile ou, s’il est hébergé, un “accord du maître des lieux”, une obligation pour pouvoir bénéficier d’un placement sous bracelet électronique. Sans parler de tous les documents susceptibles de nourrir les débats. Autre nouveauté, le tribunal demande à l’association de proposer un aménagement de peine en fonction des éléments de personnalité. Dans 30 % des cas, l’Apcars parvient à obtenir des pièces. “Si nos enquêtes ne sont pas documentées, elles n’ont aucune valeur”, relève Sandrine Euzenat, directrice de l’antenne marseillaise.

L’association se heurte souvent à la difficulté de joindre les proches en temps voulu, ce qui empêche techniquement le tribunal de prononcer un aménagement de peine. Illustration faite aux comparutions immédiates du 18 mars. Naïm, tout juste majeur, a été arrêté la veille après avoir dérobé, dans un local, un vélo électrique et quelques outils.

“Maintenir un cadre” sans la prison

Arrivé il y a 18 mois en France, le jeune Algérien n’a pas de titre de séjour. Aidé d’un traducteur, il affirme vivre à Toulon chez un ami. “L’enquêteur social a essayé de joindre ce monsieur mais il n’a pas répondu”, précise la présidente. Il a indiqué à l’Apcars être inscrit dans un CAP mécanique bateau à la Seyne-sur-Mer, payé 460 euros par mois. Son avocate présente finalement, à l’audience, un certificat d’apprentissage obtenu quelques minutes plus tôt.

“Malgré un salaire, un employeur, il vous démontre qu’il peut mettre à néant les efforts entrepris jusque-là”, argumente la représentante du parquet. Elle demande une peine de six mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Après une suspension d’audience de 30 minutes, le tribunal décide finalement de le condamner à six mois d’emprisonnement assorti d’un sursis probatoire de 18 mois, avec obligation de travail et d’indemnisation de la victime.

“À ce stade, l’incarcération n’avait aucun sens, décrypte quelques jours plus tard Frédérique Iragnes, juge d’application des peines assesseure à l’audience. La nature des faits, l’absence d’antécédents judiciaires significatifs montraient que l’on pouvait mettre en place un certain nombre de choses pour qu’il ne commette plus d’infractions. En même temps, on voulait maintenir un cadre pour qu’il poursuive ses efforts professionnels et qu’il indemnise la victime. »

C’est assez rare que l’on choisisse le sursis probatoire pour un étranger en situation irrégulière mais on voit bien qu’il y a un début d’insertion, le certificat d’apprentissage a bien sûr joué”, note de son côté Magali Vincent, présidente du tribunal ce jour-là. Mais pour l’aménagement ab initio, c’était inenvisageable : l’Apcars n’ayant pas pu obtenir de justificatif d’hébergement.

Si, comme le montrent les chiffres, la réforme pénale a permis à Marseille de faire baisser le nombre d’incarcérations, certains estiment qu’il faut, pour désengorger les prisons, aller plus loin et repenser le champ de la comparution immédiate. “Quand on choisit bien les dossiers et que l’on prend le temps nécessaire, ce n’est pas une justice d’abattage”, rétorque le vice-procureur Damien Martinelli. Ce vendredi 18 mars, le tribunal a pris sept heures pour juger trois dossiers. C’était “exceptionnel”, conrme Magali Vincent. “D’habitude, c’est plutôt sept ou huit.”

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    J’avais mal lu le titre: «  Des juges font reculer les infractions à la gare « . (Saleté d’inconscient réactionnaire.)

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  2. pbatteau pbatteau

    “Depuis 2020, … quelques magistrats tentent d’encourager les aménagements de peine ”
    l’adjectif “quelques” veut-il dire que les cas où un tel aménagement est possible sont rares, ou suggère-t-il que les magistrats qui n’ont cure d”aménager la peine à la barre sont l’immense majorité ?

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