À Marseille, des brigades anti-squat au service des propriétaires

Enquête
le 20 Oct 2021
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À Marseille, un entrepreneur affirme avoir eu une idée unique en Europe en montant sa société : la Brigade anti squat. Loin d’être si originale, cette vitrine officielle met en lumière une pratique officieuse. En toute illégalité, des propriétaires recrutent des gros bras pour se débarrasser de squatteurs.

Évacuation d
Évacuation d'une maison squattée en présence de "gros bras". Photo : DR.

Évacuation d'une maison squattée en présence de "gros bras". Photo : DR.

“À Paris maintenant ils filent de l’argent aux squatteurs pour qu’ils se tirent, à Marseille, c’est plutôt des coups de barres de fer”, déplore Julien Poireau de l’association Nouvelle Aube spécialisée dans la réduction des risques auprès des squatteurs. Depuis quelques mois, l’information circule dans le milieu des squats : une milice propose aux propriétaires de récupérer leur bien sans passer par la case justice.

Le 15 avril, Steftoto raconte sur page facebook sa rencontre dans l’agence immobilière Century 21 de Saint-Antoine (15e) avec trois hommes munis de talkiewalkies, vêtus de noir, chaussés de rangers, un brassard orange autour du bras floqué du logo B.A.S.. “J’ai cru que c’était la BAC [brigade anti criminalité, NDLR], ce qui m’a fait un peu flipper parce que je n’avais pas de masque”, précise le témoin qui passait par là pour chercher un appartement.

Au premier abord, l’échange avec le responsable de l’agence laisse penser qu’ils enquêtent sur un cambriolage. “Puis ils ont demandé s’il y avait des soucis avec des squatteurs précisant qu’il n’y avait pas de trêve hivernale pour leurs interventions. Petit à petit, on s’est rendu compte qu’ils proposaient de se faire payer pour surveiller d’éventuels logements vides ou intervenir sur des squats en précisant qu’ils relogeaient immédiatement les occupants pour les faire dégager.” Quand le responsable leur demande “mais vous êtes qui ?”, ils affirment être en lien avec la préfecture. S’il se souvient de leur visite, l’agent immobilier ne tient pas à s’étendre sur le sujet. “On a eu juste un contact ultra rapide, explique son assistante. On ne veut pas côtoyer ces gens-là, on veut plutôt les fuir.”

Une société dédiée pour déloger les squatteurs

“Ces gens-là”, c’est la Brigade anti-squat. La société a déposé ses statuts le 5 mars 2021. Domiciliée dans le 11e arrondissement, elle a pour objet : “La protection d’immeubles vacants par leur occupation temporaire. L’assistance et le conseil aux propriétaires et gestionnaires de biens immobiliers, privés ou institutionnels, en matière de protection et de sauvegarde des propriétés et biens.”

Ça n’existe pas ce que j’ai créé, c’est de l’anti-squat pur.

Denis Caglieri, créateur de B.A.S.

Agente de service hospitalier dans une maison de retraite, la gérante, Rabia Caglieri, n’a pas vraiment le profil à monter une équipe de gros bras en tenues paramilitaires. Questionnée sur sa société, elle dit n’être au courant de rien et renvoie vers son mari. En effet, son époux Denis Caglieri revendique la création d’un concept “unique en Europe”. “Ça n’existe pas ce que j’ai créé, c’est de l’anti-squat pur. Quand un propriétaire m’appelle, je vais voir les squatteurs et je fais mon possible pour les sortir. Notre joker c’est la promesse d’un relogement. Il y a deux sortes de squatteurs. Ceux qui n’ont pas le choix parce qu’ils sont à la rue et ont des enfants, eux si on leur propose un logement, ils sont coopératifs et tout se passe bien. Et il y a des squatteurs qui sont là pour casser les couilles et n’en ont rien à foutre d’être relogés alors, à la limite, il faut les prendre à coups de pied pour les faire partir. Mais nous on n’a jamais utilisé la force, d’ailleurs il n’y a aucune plainte contre nous.”

“Plus du social qu’autre chose”

À l’évocation du cadre légal normal vis-à-vis des squats (un dépôt de plainte qui enclenche éventuellement une procédure d’expulsion à la demande du préfet ou du tribunal administratif avec, si nécessaire, l’appui des forces de l’ordre) l’entrepreneur balaie le sujet. “Je ne suis jamais tombé sur quelqu’un qui a refusé de quitter les lieux, sur un délire où ça a été compliqué. Le peu de fois où on est intervenus c’est plus du social qu’autre chose, de la négociation. Ça s’est toujours bien passé vraiment.” Il refuse cependant de préciser où et quand la B.A.S. est intervenue. Pour Denis Caglieri, les tarifs de la prestation relèvent eux-aussi du secret professionnel. “Bien sur les propriétaires payaient, mais pour un service énorme, tous les problèmes je les prenais sur moi.”

Au nombre de huit, les avis Google datés de mars à juin attribuent à la B.A.S. une note de 4,5 sur 5. Un certain, Bernard Gaillard se montre particulièrement élogieux dans un commentaire publié en juin : “Au top vraiment j’avais perdu espoir, car mon appartement était squatté depuis plus de deux ans avec ordre d’expulsion, mais ni la police ni le préfet ne voulaient agir, j’étais désespéré quand un ami m’a parlé de la Brigade anti-squat. J’ai fait appel à leur service et ils ont réglé le problème en une semaine. Quand ils m’ont appelé pour me dire que l’appartement était sécurisé et verrou changé j’y croyais pas, mais oui effectivement. Ils sont vraiment professionnels je recommande fortement.”

Seule fausse note dans ce concert de cinq étoiles, en juin Anne Paulus lance cette alerte : “Brigade Anti Squat est une ESCROQUERIE. Éloignez-vous ! Plus aucun mail à partir du moment où j’ai versé l’acompte, annulation de l’intervention sans aucune notification, et en plus menaces faites à ceux qui me représentent… c’est du joli. Ici démarre un contentieux.” Contactés par Marsactu aucun des commentateurs n’a donné suite à nos demandes de précisions.

“On soupçonne un business”

En revanche, il est certain que la B.A.S. a changé d’activité et de nom le 2 juillet. Désormais dénommée Trésor des milles huiles, la SARL se consacre à la production et à la vente d’huile. “J’ai réussi à faire quelque chose de très bien, j’étais venu en aide à certaines personnes, j’aurais pu faire encore mieux, mais je n’ai pas été suivi par le préfet, regrette le fondateur de la B.A.S.. Ma demande d’agrément auprès de la préfecture pour obtenir le droit d’occuper des bâtiments vacants ou des hôtels m’est revenue négative. À partir du moment où le préfet m’a dit non, je ne me suis plus du tout intéressé au sujet des squats, ça m’a vexé.”

C’est assez rare de voir une description aussi précise et directe adressée à l’administration pour tenter de légaliser une pratique répréhensible.

Philippe D’Issernio, DDTM

La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a eu connaissance de cette demande d’agrément qui a laissé ses services perplexes. “C’est assez rare de voir une description aussi précise et directe adressée à l’administration pour tenter de légaliser une pratique répréhensible, s’étonne Jean-Philippe D’Issernio, qui est à la tête de cette administration. Nous savons grâce à des témoignages que des propriétaires paient pour des évacuations manu militari. Ça ne se fait pas avec des entreprises qui ont pignon sur rue, mais avec des gens qui sont rémunérés dans des conditions discutables. D’ailleurs quand les témoignages sont suffisamment précis, ils entraînent systématiquement une saisine du procureur de la République.”

400 euros le coup de poing

Brigade ou pas brigade, ces derniers mois, l’inquiétude était forte dans les squats marseillais. “Il y a un mec en scoot’ qui tourne et prévient les squatteurs qu’ils vont être expulsés, constate Lola Perreaut, infirmière à Nouvelle Aube. C’est de l’intimidation, pour l’instant, il ne se passe rien derrière, mais c’est flippant.”

Voulant être surnommé Monsieur Z, un grand échalas de 25 ans raconte à Marsactu avoir été recruté par des copains d’enfance pour participer à des descentes. “Ils procèdent toujours de la même manière. D’abord, un négociateur se pointe en mode diplomate et prévient qu’il vaut mieux partir. Si ça n’aboutit pas, la deuxième visite se passe à six heures du matin et cette fois les gars argumentent à coups de barres de fer et de bombes lacrymo. Ils ne s’attaquent pas aux squats bien organisés mais à ceux des migrants qui ne peuvent pas se défendre.” Payé 400 euros le coup de poing, il dit avoir arrêté parce que “ce n’est pas [s]on truc de [s]e lever tôt”.

De “bonnes” adresses que l’on partage entre propriétaires

À Saint-Jean-du-désert, deux personnes dont une malade vivaient dans une petite maison avec jardin depuis cinq ans. En septembre dernier, ils ont reçu la visite du propriétaire accompagné de gros bras, mi-maçons, mi-agents de sécurité. Quelques jours plus tard, le propriétaire parvient à les déloger sans utiliser la force.

Ce dernier assume le recours à ces services, en marge de la loi. “Ce n’est pas légal non plus de squatter, ils en ont profité pendant cinq ans, maintenant, c’est fini, explique Ara Khatchadourian. Ça s’est bien passé, il n’y a pas eu de blessé.” Et ces gens qu’il a embauchés d’où sortent-ils ? “Le promoteur qui me rachète la maison me les a conseillés. Il veut faire une grosse opération sur ce bout de quartier. Normalement, je signe la vente la semaine prochaine et je ne veux pas risquer de payer des astreintes parce qu’elle est occupée.” De son côté le directeur de Sam immobilier, Alain Rostand, nie toute ingérence dans cette affaire et concède du bout des lèvres vouloir acheter ce bien, “mais pas dans l’immédiat”.

Lorsque nous nous y rendons, les maçons font leur œuvre sous l’œil vigilant d’un agent de sécurité. Dans son uniforme siglé sécurité sans plus d’information, un vacataire habitué de ce type de mission donne sa propre version des faits. “Nous sommes intervenus mardi matin dans le cadre d’une procédure légale, on est en France on ne peut pas sortir des squatteurs comme ça. Tout s’est très bien passé, il nous a ouvert la porte. C’est le promoteur qui a engagé ma boîte, la propriétaire c’est une vieille dame, elle ne pouvait rien faire la pauvre.” Il dit être embauché par la société ASPP, une société spécialisée dans le secteur des activités de sécurité privée… liquidée en 2017. Avec ou sans pignon sur rue, le business anti-squat semble avoir de beaux jours devant lui.

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Commentaires

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  1. Andre Andre

    Maladroit et peu courtois, mais où sont les propos racistes? Les injures seraient plutôt du côté de ceux qui auraient qualifié l’élu de fasciste, une méthode trop souvent employée pour clore le débat en essayant de disqualifier son interlocuteur.
    En parallèle, il est intéressant et d’ailleurs affligeant de signaler qu’ a contrario certains invoquent la couleur de peau au nom du ” racialisme’ ( pour moi, mot édulcoré pour désigner une autre forme de racisme) et s’en servent comme ressource sociale.

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    • Zumbi Zumbi

      Ce serait bien d’apprendre à lire Marsactu pour troller au bon endroit.

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    • Andre Andre

      On peut se tromper cher ami.
      Mais je constate que quand on n’est, probablement, par d’accord avec vous on est un troll.
      Retournez donc dans cet univers, vous qui vous qualifiez de zombi.

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  2. petitvelo petitvelo

    Lenteur & lourdeur de justice => déni de justice => banditisme & milice, du côté occupant comme propriétaire , le squat étant souvent géré de façon très pro, et le droit au logement opposable surtout en théorie.

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  3. Andre Andre

    Tout cela est dangereux.
    Mais force est de constater l’inaction des pouvoirs publics qui ne font plus respecter la loi, que ce soit pour les propriétaires qui ne sont pas tous des richards cupides ou pour les personnes vraiment dans le besoin.
    Car il y a bien évidemment squat et squat.
    D’une part des occupants démunis qui n’avaient pas d’autre choix et auxquels on aurait dû proposer un logement décent.
    D’autre part des voyous sans aucun scrupule. Début 2019, après le drame de la rue d’Aubagne, de nombreux immemubles ont été vidés de leurs habitants pour cause de péril imminent et, dans bien des cas, des squatteurs s’en sont emparés en cassant les portes. J’ai alors pu visiter des appartements complètement saccagés, les meubles et les équipements détruits, les matelas éventrés, des ordures accumulées partout, à vomir. Et tout cela dans des quartiers et des appartements occupés par des gens modestes qui ont eu droit à la double peine dans l’indifférence générale.
    Je ne suis pas étonné que certaines structures douteuses essaient de prospérer sur le marasme et l’incurie.
    Que les pouvoirs publics fassent donc leur boulot si on veut éviter que far-west s’installe dans notre ville. La mafia s’est toujours installée là où l’Etat est défaillant.

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  4. LOU GABIAN LOU GABIAN

    faudrait peut être penser a pénaliser le squat ca règlerait beaucoup de problème , mais bon le squat ca rapporte aussi beaucoup a beaucoup trop de monde, et paradoxalement ca prive aussi de moyen les squatter en matière d’aide sociale

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  5. Tyresias Tyresias

    Ça a toujours existé, mais en effet créer une société avec pignon sur rue, c’était innovant :;

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  6. pm2l pm2l

    Je m’étonne toujours de ces discours angéliques qui évitent soigneusement de qualifier le squatt pour ce qu’il est : du vol ! C’est d’ailleurs l’un des rares cas où le voleur est protégé par la loi et le volé risque d’être condamné si il veut récupérer son bien … Avec un tel système, il ne faut pas s’étonner si certains cherchent à contourner une loi qui est d’ailleurs piétinée sans vergogne par ceux qui s’en réclament.

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  7. A13xandra A13xandra

    Quand on voit les activités de ces personnes et les commentaires on se demande si il reste encore un peu d’humanité sur terre… Les personnes qui occupent illégalement des logements vides sont principalement des personnes très précaires, parfois des familles, parfois des réfugiés, en bref des personnes fragiles qui méritent d’être accompagnés pour s’en sortir, pas de se faire menacer, casser la gueule et reloger dans des logements indécents.

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  8. didier L didier L

    Le squat est illégal … vider un squat est illégal ( sauf quand la préfecture donne le feu vert, mais les procédures sont lentes, lentes,lentes… et puis où reloger des familles précaires et s’ il y a des enfants ?) Le manque de logements sociaux ou dédiés manquent cruellement., la faute à qui ? Nous sommes dans une société à plusieurs vitesses qui jette de plus en plus de gens à la rue, sans parler des migrants et de ce qui se passe dans certaines cités où les squateurs sont plus nombreux que les locataires. Les pouvoirs publics et les politiques sont défaillants sur ces sujets depuis des années, on arrive au bout d’un processus. Alors le système D de la population se mets en marche. Imparable mais terriblement dangereux … et que fait la République ?

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