À la mosquée des Bleuets, le “retrait temporaire” et contraint du controversé imam Ismaïl
Smaïn Bendjilali a annoncé se retirer de ses fonctions le temps de suivre une formation sur la laïcité, et afin d'éviter la fermeture de la salle de prière, dans le cadre de la procédure engagée par la préfecture de police.
Smaïn Bendjilali devant la mosquée des Bleuets le 9 septembre 2024. (Photo : CMB)
Des hommes, des femmes, des enfants et des adolescents sont assis en tailleur dans la salle principale de la mosquée des Bleuets, ce lundi soir. “Et encore, si vous venez pour la prière du vendredi, c’est plein, mais plein ! 200, 300, 400… Je sais pas comment compter”, déroule l’un des responsables de l’association qui gère ce lieu de culte du 13e arrondissement et qui préfère rester anonyme. “On a décidé qu’on s’effaçait derrière les avocats.” Les avocats, justement, ils sont là. Sefen Guez Guez et Rafik Chekkat encadrent le désormais célèbre imam de la mosquée, Smaïn Bendjilali. Ce dernier est venu dire au revoir aux fidèles. Ce lundi, il annonce son retrait de la salle de prière, seule condition exigée par la préfecture de police pour ne pas fermer les lieux.
“Le préfet de police a estimé qu’il voulait mon retrait coûte que coûte. J’ai décidé de me retirer temporairement pour préserver l’activité de la structure. Et parce que je traverse un drame familial et que j’ai besoin de me recentrer”, lâche-t-il dans le micro, en référence à la condamnation récente de son fils pour des violences familiales.
Trois semaines plus tôt, le 20 août, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône a engagé une procédure contradictoire de fermeture de la mosquée des Bleuets. Depuis, la salle de prière et son imam sont pris dans un ouragan médiatique qui a interrogé, entre autres, la popularité de la salle de prière, les bonnes actions qui y sont menées (maraude alimentaire, lutte contre le trafic), les convictions du religieux vis-à-vis des femmes, ses prises de position sur le conflit israélo-palestinien et, enfin, le casier judiciaire de son fils aîné.
Tout part du communiqué publié sur les réseaux sociaux par les services de l’État, dans lequel le discours de l’imam Ismaïl est qualifié de “fondamentaliste” et “légitimant le djihad, l’instauration de la charia et le recours à la violence” et “la discrimination et la haine contre les femmes” pour justifier la demande de fermeture validée par le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin. Ensuite, dans le cadre de la procédure contradictoire, une rencontre a eu lieu début septembre entre le préfet de police et les représentants de l’association qui gère la mosquée. Au terme de celle-ci, Smaïn Bendjilali s’est engagé à s’inscrire à un diplôme universitaire sur la laïcité et supprimé tous les contenus de ses réseaux sociaux, sur lesquels il jouit d’une petite popularité (10 000 abonnés sur X). La mosquée a aussi lancé le processus d’affiliation au Conseil du culte musulman des Bouches-du-Rhône.
Un procès pour apologie du terrorisme
Le lieu reçoit le soutien de nombreuses personnalités (dont l’élu à la Ville délégué aux taxis Sami Benfers et sa collègue Farida Benaouda). Mais les démarches engagées sont jugées insuffisantes. Le préfet de police pose le départ de l’imam comme condition pour ne pas fermer la mosquée. Il effectue en parallèle un signalement, qui est transmis au parquet, et qui vaut à Smaïn Bendjilali une convocation devant un juge pour “apologie du terrorisme” le 3 octobre. Selon ses avocats, deux contenus sont mis en cause. Il s’agirait d’un tweet daté du 15 juillet, et d’un retweet, qui concernent tous les deux la guerre à Gaza. Les deux contenus ont depuis été effacés et Marsactu n’a donc pas pu les consulter.
“Le fait d’être accusé d’apologie du terrorisme, je considère ça comme une insulte. Il n’y a jamais eu un seul départ de cette mosquée vers une zone de guerre, par exemple. Les accusations d’antisémitisme, aussi. Ici, on cultive un dialogue interreligieux, on a un rabbin qui vient à la prière du vendredi. On n’est pas dans quelque chose de façade”, conclut Smaïn Bendjilali, ensuite chaleureusement applaudi.
Les avocats prennent le relais. “On est dans un bras de fer inégal, ça nous est tombé dessus, comme ça, lance le médiatique Rafik Chekkat. J’ai beaucoup parlé avec les journalistes ces trois dernières semaines. On nous a balancé plein de termes : salafiste, salafo-frériste, islam radical et prêche radical, charia, valeurs de la République… J’ai l’impression que quand on parle d’islam, c’est comme si ça brouillait la compréhension des évènements. Nous, on est musulmans, mais on est là en tant qu’hommes de droit et on veut que seuls les faits soient interrogés.” Son confrère Sefen Guez Guez conclut : “C’est que de la communication. Il y a une volonté politique de montrer aux Français que le gouvernement agit sur l’islam radical. C’est tout.”
Actualité et ablutions
Né à Marseille de parents d’origine algérienne, Smaïn Bendjilali apprend l’arabe une fois adulte, lorsqu’il commence à s’intéresser à la religion. “Nos parents sont religieux mais peu pratiquants”, précise l’une des deux sœurs de l’imam, qui a directement contacté Marsactu, entre deux appels aux avocats, avec l’envie de “rétablir la vérité” sur son frère, qu’elle décrit comme “hors de tous les courants” et “Marseillais avant tout”.
Formé entre l’Égypte et Paris, où il a vécu avec sa femme, Smaïn Bendjilali était l’imam principal de la mosquée des Bleuets depuis 2010. Bientôt, il pourra ajouter une nouvelle ligne à son CV, avec la formation universitaire “Laïcité et valeurs de la République”, qu’il suivra à Aix à partir de fin septembre, pour une durée de neuf mois. Après quoi il souhaite retrouver sa place à la mosquée des Bleuets. La préfecture de police n’a pas réagi publiquement ce lundi soir à propos de ce calendrier. “La préfecture de police attend la réponse officielle de l’association pour lui répondre et ensuite répondre à la presse”, indique-t-on.
À la fin de la conférence de presse à la mosquée, plusieurs fidèles expriment leur émotion. Mohamed-Emine, 23 ans, nous interpelle. “J’ai l’impression qu’à chaque fois qu’on essaye de faire quelque chose de bien et de s’élever, on nous…” Il laisse tomber ses bras. Le jeune homme travaille dans un garage voisin de la mosquée et vient ici chaque vendredi depuis deux ans.
“C’est le seul endroit où on nous parle d’actualité. Pendant les élections législatives par exemple, on nous a expliqué les enjeux. Personne d’autre fait ça pour nous. Alors qu’on est Français et qu’on a notre mot à dire comme tout le monde ! Dans les autres mosquées, on va juste nous dire comment faire nos ablutions alors que ça, on sait déjà le faire ! Et pendant ce temps, on parle pas des problèmes. Alors que si vous regardez, autour de chaque mosquée, il y a un point de deal. Mais pas ici, parce qu’on les a empêchés de venir !”
Dehors, on croise un groupe de jeunes femmes qui suivent des cours ici, mais ne peuvent pas venir prier, car la salle réservée aux femmes n’était pas aux normes et a été détruite. “Mais bon, c’est comme ça partout… Et ici, au moins, ils ont dit qu’ils voulaient la refaire”, explique l’une d’elles. Le groupe vient de Sainte-Marthe, Saint-Just, Saint-Tronc… “Ici, il y a un pôle important de convertis. Si c’est pas la preuve d’une ouverture d’esprit, ça…”, estime son amie. En repartant, les fidèles souhaitent à leur futur ex imam du “courage” pour son audience du 3 octobre, où le fond des propos litigieux sera (enfin) débattu. D’ici là, l’association de la mosquée cherche un nouvel imam dès à présent pour conduire le prêche de vendredi.
Commentaires
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C’est un peu bizarre d entendre que c est à la mosquée qu’on parle des élections. Si on me disait que c’était à l’église, je bondirais. Ce n’est pas du tout le rôle des religieux dans un état laïque…
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Il me semble que la laïcité c’est le contraire : ce n’est pas dans les services de l’état ou dans les administrations locales que l’on doit parler de religion.
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Mais on parle politique dans certaines églises, ou on en fait en invitant/recevant certains élus qui parfois s’y expriment (si j’ai bonne memoire, Catherine Pila à Ste Anne, Valerie Boyer à st Marcel..), dans les écoles privées catholiques on fait de la politique auprès des parents (et dans certains cours)…
N’oublions pas que les mosquée sont des lieux de sociabilité et d’enseignement. Ce ne sont pas seulement des lieux de culte.
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A propos du sujet, cet article amène à nuancer l’image que d’autres médias ont dessinée de cette mosquée et de son imam. Je n’ai personnellement pas assez d’informations pour porter un jugement.
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L’administration n’a aucun lieu à faire du prosélytisme.
Compte tenu du PDT qui cherche à se favoriser les bonnes grâces des Juifs et des catholiques, il est quand même Chanoine de Latran…!
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Sauf celui de défendre la Laïcité.”la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion”. Surtout quand des religieux sortent du principe précédemment évoqué.
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un scandale cette chasse aux sorcières qui vise les musulmans. La dérive laïciste réactionnaire.
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Et allez la stigmatisation, et toujours la stigmatisation. Les musulmans ne font pas l’objet d’une chasse aux sorcières en revanche les imams et prédicateurs extrémistes qui appellent à l’intifada en France et à Marseille en particulier.Dehors!.
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