À la Joliette, les commerçants des Docks tirent la langue ou baissent le rideau

Actualité
le 5 Fév 2019
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Trois ans d'activité et toujours pas de décollage pour le centre commercial des Docks, où sept boutiques ont lâché l'affaire depuis le mois de septembre. Plusieurs commerçants ont entamé une procédure pour contester les charges jugées trop élevées.

À la Joliette, les commerçants des Docks tirent la langue ou baissent le rideau
À la Joliette, les commerçants des Docks tirent la langue ou baissent le rideau

À la Joliette, les commerçants des Docks tirent la langue ou baissent le rideau

Le long des galeries endormies des Docks Village, les commerçants cadenassent les portes vitrées de leurs boutiques. Ce mardi 22 janvier à 19 heures, ils sont une quinzaine à se faire servir l’apéritif, accueillis par une poignée de main chaleureuse de la nouvelle directrice du centre commercial pour le compte du gestionnaire Constructa, Cindy Chagouri. C’est aussi l’heure à laquelle les employés des bureaux des étages s’en vont. Dans les couloirs, deux vigiles et un agent d’entretien brisent le silence des lieux. Trois amis sont attablés à Dakao, chaîne marseillaise d’asian street food. Les quatre cours des Docks sont arrosées de musique lounge. L’éclairage tamisé laisse apparaître en contrebas les terrasses vides des restaurants, tenus par leur bail de rester ouverts jusqu’à 23 heures, coûte que coûte.

Cindy Chagouri, ancienne vice-présidente des florissantes Terrasses du Port de l’autre côté du quai de la Joliette, est en poste aux Docks depuis le 2 janvier. Pour les locataires de ce centre commercial ouvert depuis octobre 2015, les changements de direction sont habituels. La première réunion marketing de l’année est alors boudée par de nombreux commerçants, lassés par une gestion jugée “catastrophique” qui a déjà poussé 26 boutiques à tirer le rideau. Parmi les absents, le président de l’association des commerçants, qui a d’ailleurs démissionné dix jours plus tard : “Je me suis beaucoup battu et je n’ai pas réussi à instaurer de dialogue”, lâche Emmanuel Laurand, par ailleurs gérant de l’Ambassade de Bretagne.

Une trentaine d’enseignes au lieu de 80

Cet entrepreneur, qui avoue des soucis de trésorerie, note que les départs s’accélèrent : “Il y a eu sept fermetures depuis septembre. Et qu’on arrête de nous dire que nous sommes des mauvais commerçants. Même les grandes maisons n’ont pas tenu : la boutique Reebok, le restaurant Le Passedat ont fermé alors que personne n’oserait douter qu’ils savent faire !” Dans ce centre commercial plusieurs fois primé pour sa beauté architecturale, seule une trentaine d’enseignes survivent aujourd’hui au lieu des 80 annoncées au départ.

Plusieurs commerçants dénoncent des loyers trop élevés. Selon le gestionnaire des Docks Constructa, “le loyer [annuel] moyen est entre 300 à 350 euros par m2, ce qui est très nettement inférieur aux loyers des centres commerciaux à proximité“. En effet, ce chiffre grimpe à 800 euros au Prado, 900 euros au Centre Bourse et 1150 euros aux Terrasses du Port selon une étude publiée par Euroméditerranée. Cela n’empêche pas de faire passer les comptes au rouge.

La boutique Reebok a fermé fin décembre.

“Nous avons signé des baux avec des loyers par palier qui augmentent sur les cinq premières années d’activité. Nous avons tous accepté ce deal car Marc Pietri [PDG de Constructa, NDLR] parlait d’un objectif de 10 millions de visiteurs par an. Sauf que les visiteurs ne sont jamais arrivés”, déplore un gérant de boutique. Il considère que le projet est un échec : “On nous a présenté un concept qui serait complémentaire aux Terrasses. Sauf qu’aujourd’hui le trajet d’un client typique, c’est qu’en sortant du métro, au lieu de passer par chez nous, il contourne les Docks pour aller aux Terrasses ! Et ça, ça nous tue.”

Prélèvements non-négociables

L’homme, qui souhaite rester anonyme assure que “tous les commerçants ont des impayés. Résultat, la direction saisit nos comptes sans prévenir.” Les 25 000 euros encore sur son compte ont été prélevés en octobre dernier. Constructa assure que ces saisies sont effectuées seulement “quand nous avons exploré toutes les pistes amiables et que nous avons essuyé des refus de négociation”. Les échanges de mails entre le commerçant et le bailleur révèlent pourtant que le gérant avait formulé une proposition d’échéancier, sans succès.

Florence Bliek, l’avocate de l’association des commerçants, rappelle que ces saisies sont légales, mais estime qu’elles “ne témoignent pas d’une volonté de régler les choses à l’amiable”. Selon elle, “pour cette histoire de loyers surévalués, la question d’une tromperie va finir par se poser”.

Bataille de chiffres

Pour le moment, c’est au titre d’un autre motif que quatre procédures judiciaires sont engagées devant le tribunal de grande instance : notamment une estimation jugée fautive des provisions pour charges. En effet, les premiers projets de baux fixaient les charges à 80 euros par m2 mais depuis l’ouverture du centre, ce montant a presque doublé. Une hausse justifiée par Constructa dans un mail adressé à l’association des commerçants en février 2016 par une “majoration du budget”, qui l’explique seulement par la mise aux normes de deux postes de sécurité des Docks.

Dans un courrier de réponse, l’association des commerçants estime qu’il s’agit plutôt d’une “information erronée qui a été donnée aux preneurs lors des négociations”. Elle conclut surtout que le montant final “remet en cause l’ensemble des business plan des commerçants des Docks. S’il avait été connu en amont, certains n’auraient pas signé, d’autres auraient pris des surfaces moins conséquentes.” 

Un an plus tard, les commerçants demandent à recevoir les justificatifs des charges de 2016 et 2017. Un document sur lequel ils découvrent que la surface de référence du centre commercial est de 10 000 m2. Or, les premières estimations de surfaces communiquées en 2015 faisaient état de 17 000 m2. Autant dire qu’en divisant le montant global des charges par ce dernier chiffre, le résultat au m2 serait largement inférieur. L’association des commerçants s’interroge sur une éventuelle dissimulation de la réelle surface du centre. Questionné sur la surface actuelle des Docks Village, Constructa balaye la polémique de chiffres et tranche pour… 14 000 m2.

Plusieurs années en perte

Souvent déçus des réponses du gestionnaire, les commerçants déplorent surtout l’absence de dialogue avec le propriétaire principal, Amundi Immobilier. Si Constructa est bien à l’origine du projet de transformation de l’immeuble de bureaux, le promoteur agit pour le compte de propriétaires successifs. En octobre 2017, cette société de gestion immobilière a racheté à JP Morgan la majeure partie des Docks, commerces et bureaux compris. Le montant de la transaction n’a pas été communiqué, mais il apparaît dans les comptes annuels de Joliette Bâtiment SAS, le bailleur du propriétaire : 231 millions d’euros. Un chiffre à mettre en perspective avec le bilan très mitigé de l’activité du bâtiment : 12 millions d’euros de perte en 2016, et 11 millions d’euros de perte sur les 9 premiers mois de l’année 2017.

Contacté par Marsactu, Amundi n’a, dans un premier temps, pas souhaité répondre à nos questions, obligeant ainsi Constructa à suivre la même voie. C’est seulement après plusieurs échanges téléphoniques, sous l’impulsion de Marc Pietri, convaincu d’avoir “des bonnes nouvelles à communiquer”, qu’un entretien est organisé avec Sandra Chalinet, directrice de portefeuille pour Constructa aux Docks. Cet entretien est doublé d’un mail à notre attention, qui récapitule les réponses dans un document long de cinq pages.

Y sont énumérées les “actions marketing” censées faire décoller le centre : café histoire, expositions, pop-up store anti-gaspi… De quoi juger “l’activité commerciale satisfaisante au regard de la fréquentation” : + 8 % par rapport à l’année 2017. “Cela nous amène à une fréquentation de plus de 3,5 millions de visiteurs pour 2018”, résume Sandra Chalinet, précisant que ce chiffre comprend aussi les allées et venues des 3000 salariés des bureaux. Constructa assure que de prochaines signatures dans les étages amèneront “environ 1200 salariés et étudiants” supplémentaires en 2019. Un potentiel de futurs clients bienvenu, mais bien insuffisant pour atteindre l’objectif initial de 10 millions de visiteurs annuels.

Vous pouvez retrouver cette enquête dans le numéro de février du Ravi, le mensuel régional d’enquête et de satire dont nous sommes partenaires.

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Commentaires

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  1. Zumbi Zumbi

    Messieurs Gaudin, Moraine, Tian, Gilles et compagnie ont une solution : un centre commercial à La Plaine ; et même un plan B : un centre commercial à l’usine Legré-Mante. Le plan C est en préparation, mais encore secret. D’après les fuites, ce serait une marina à la Commanderie.

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  2. one live one live

    Et si c’était tout simplement un positionnement intermédiaire erroné des boutiques qui était la cause de la désaffection. En effet l’upperclasse recherche les marques haut de gamme ou premium, tout comme la clientèle basique. Et les classes moyennes privilégient l’entrée de gamme type boutiques ou rayons d’hypermarché. Résultat, l’offre intermédiaire ne correspond à personne surtout dans une ville ou le paraître est roi. Les choix d’enseignes ou de restauration soi disant alternative sont la vraie cause de la désaffection.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Le miracle de la multiplication des centres commerciaux par Saint Jean-Claude n’a pas eu lieu. On trouve dans un rayon de quelques centaines de mètres le Centre Bourse, les Terrasses du Port, les Docks et les Voûtes de la Major, sans parler de la rue de la République et ses commerces de pied d’immeuble. Le tout dans un contexte où les achats sur internet connaissent une croissance annuelle à deux chiffres. Qui est surpris des difficultés rencontrées, honnêtement ?

    Mais Gaudin s’en fout : les difficultés, ce sont celles des autres. Son inculture économique lui fait préférer le contenant au contenu, et les discours à la stratégie. Lui, il a fait ce qu’il sait faire : faire couler du béton et servir ses amis promoteurs immobiliers.

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  4. vékiya vékiya

    et attendons les résultats du centre commercial du prado, je n’y vois pas grand monde. avant de vouloir faire dépenser de l’argent aux citoyens il faut leur permettre d’en gagner. MARSEILLE pète plus haut que son cul.

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  5. bud_ice13010 bud_ice13010

    Comme je l’avais dit bien avant, le positionnement tarifaire des boutiques était mal placé pour la population qui travaillait sur les Docks… Le déménagement des bureaux de la Métropole à la TLM n’a rien arrangé… Pas besoin d’être devin pour comprendre que le projet capoterai surtout dans une ville plutôt pauvre et le fait que les touristes sont assez intelligents pour ne pas être pris pour des vaches à lait !

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  6. Commerçant Commerçant

    Comme d’habitude, avec ce genre d’article, on interroge que les mécontents. Ne voyez pas que la face sombre!

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    • julijo julijo

      Alors allez-y, racontez nous la face “réjouissante” !!!
      Je suis depuis son ouverture un inconditionnel de cet endroit. Je m’y promène souvent…je déjeunais régulièrement dans un resto très sympa, tout au bout (pas de pub , il est fermé) bouffe correcte, prix sympa, bon vins proposés…. et loyer insupportable, charges incroyables, …travail à perte : fermeture !
      La promenade est sympa, l’architecture y est agréable, et c’est….calme !! trop calme ! sûrement. Comme tout le monde je fais des courses dans les centres commerciaux. Mais la multiplication de ces endroits n’a pas multiplié mon pouvoir d’achat…..
      Personne ne peut réellement être étonné du fiasco commercial des docks…. c’était quasiment un fiasco annoncé. Attendons de voir ce que va donner celui du prado…..

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  7. mrmiolito mrmiolito

    Bonjour, j’ai lu presque le même article (un peu plus court) dans Le Ravi, vous en êtes également l’auteure, rien à redire…
    Il me semble néanmoins qu’il serait de bon aloi de préciser ce partenariat également sur votre média, ne serait-ce que pour faire un peu de pub à Le Ravi ? Merci !

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    • Clara Martot Bacry Clara Martot Bacry

      Bonjour, c’est fait !

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  8. Oreo Oreo

    Du point de vue de la conception, il y a une grosse bourde : l’archi (parisien ?) a ouvert les vastes portes des cours à l’ouest, en plein mistral ! On est pris dans des courants d’air glaçants tous les 20 m, ça vous coupe net l’envie de flâner et de faire des achats.

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    • Tarama Tarama

      Le bâtiment était mieux avant, et avait dû être réfléchi en fonction de ce “détail”.

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  9. CAT13 CAT13

    C’est tellement facile de multiplier les centres commerciaux, Terrasses du Port, Centre Bourse, Prado, Bonneveine, Valentine, Grand Littoral, Plan de Campagne (liste non exhaustive), je pensais qu’on faisait des études marché avant de lancer de tels projets…Ah oui c’est vrai Gaudin et les promoteurs, une grande histoire…

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  10. corsaire vert corsaire vert

    Beaucoup de flâneurs et rares acheteurs … c’est ce qu’on appelle un concept …
    Quant à une étude de marché , là n’est pas le souci majeur, l’important c’est le fric que va faire le promoteur !
    Il y a longtemps que les enseignes solides financièrement ont quitté les lieux !
    “pas folles les guêpes ” !
    … et ainsi de suite pour tous ces centres commerciaux qui ne correspondent pas au niveau de vie des Marseillais , quant aux croisiéristes ils ont tout à bord et ne passent pas à Marseille pour les boutiques qu’ils trouvent chez eux !
    S’encanailler dans le Chicago français et se faire un frisson à Noailles , quelle aventure !!!

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  11. Alceste. Alceste.

    Quand on regarde a posteriori les chiffres avancés par VLASTO sur les dépenses estimées des croisiéristes à Marseille à l’époque ( aux alentours de 500 € par tête de pipe. Pour mémoire Barcelone est à 150 €) , visiblement le jaune fait plus de dégâts que la sangria sur les neurones des élus en matière de chiffres.
    Tout est fait à la mairie de cette façon , on gonfle , on gonfle et puis un jour on explose.
    Tiens à ce titre , j’ai une pensée émue pour l’hôtel TOYOKO St Charles , qui a du non pas écouter les sirènes d’Ulysse mais plutôt les fifres municipaux vanter le nouveau quartier branché de Pelletan , il se trouve au milieu d’un no man’s land depuis pas mal de temps et vu la vitesse des travaux cela risque de durer un bon bout de temps.
    Je pense qu’ils doivent bénir tous les matins le Jean Claûûûûûûûûde.

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    • one live one live

      Et en plus pas sur que l’occupation actuelle leur fasse de la publicité, même si ces pauvres gens n’y sont pour rien.

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  12. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    franchement je me demande si à Marseille on sait faire des études de marché, moi sans être une professionnelle es-commerce, je savais déjà que les Terrasses du Port ne serait pas la locomotive pour les Docks qui il est vrai est une réussite architecturale, mais pas plus. Idem pour le centre commercial du Prado où quelques grandes enseignes sont parties “emportées par les courants d’air”!! Catastrophe commerciale annoncée . la municipalité mène cette ville à la ruine et n’a toujours pas compris que beaucoup d’habitants sont pauvres

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    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      Non sans raison, Alain Minc, l’homme qui parle à l’oreille des présidents, a trouvé le grand oral d’Alexandre BENALLA devant la commission sénatoriale « éblouissant ». « Du haut de ses 26 ans, sous la pression médiatique Alexandre BENALLA en aurait remontré, par sa maîtrise, à tous ces jeunes hauts fonctionnaires qui sortent de l’ENA avec encore du lait dans le nez » « Un directeur d’école aurait dû repérer BENALLA,… il aurait suivi la filière d’excellence française… il aurait fait polytechnique. (Source Le Canard)
      Pourtant les spécialistes des études de marché ne devraient pas manquer. Il existe, en effet , implantée sur deux emprises, à Marseille une école de commerce, oh pardon, une business School, dénommée KEDGE (pourquoi faire simple ?). La première implantation de cet établissement se trouve à proximité du parc national des Calanques, sur le campus de LUMINY qui prétendent-ils « intègre une architecture moderne au sein d’un environnement naturel. Il se situe à 20 minutes du centre-ville en bus et à quelques km de Cassis »
      la seconde implantation, le campus de La Joliette (Espaces Gaymard/Grand Large) est dédiée à la formation continue, est située au cœur de Marseille dans le quartier d’affaires de La Joliette.
      À ce propos, plutôt que de vandaliser les pins séculaires du site de Luminy, n’aurait-il pas été plus rationnel de regrouper les deux sites dans le quartier des affaires de la Joliette, ce qui aurait permis aux étudiants actuellement à Luminy, de se trouver à proximité du quartier d’affaires de la Joliette et du Grand Port Maritime

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  13. David David

    On ne peut pas créer des clients ex nihilo, l’offre sur Marseille et ce secteur est juste hallucinante, mais sans doute les escrocs qui ont mis en place cette martingale le savaient-ils… Malgré ce que la mairie souhaiterait, Marseille reste une ville pauvre, avec un nombre important de gueux, qui n’ ont pas les moyens d’aller jouer aux bobos dans les lounges et autres boutiques artychic qui parsèment les rêves des désigners metrosexuels importés par wagons entiers de TGV de la capitale…

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  14. ALIBI ALIBI

    Jouons à la conjugaison :
    Je con-somme
    Tu …
    Il-elle-on …
    Nous …
    Vous …
    Ils-elles …

    Si vous êtes en forme, passez au verbe “être”, vous verrez, c’est assez cool comme sensation.

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