À la Busserine, “on remet la mosquée au milieu du village”
Alors que des milliers de musulmans marseillais se réuniront bientôt pour célébrer la fin du ramadan, Marseille n'a toujours pas de grande mosquée. En revanche, plusieurs mosquées neuves sont apparues ces dernières années, dans les quartiers Nord essentiellement, comme à La Busserine où un lieu a ouvert ses portes au début de l'année.
La mosquée Arrahma à la Busserine, dont la façade et le minaret écrivent Allah en arabe (Photo : IH)
La voie ferrée direction Aix-en-Provence fend les cités de Picon et de la Busserine, dont la halte porte le nom. Entre les barres d’immeubles, le gymnase et l’école, la mosquée Arrahma a pris sa place en plein coeur du 14e arrondissement, à quelques pas de la gare. Un bâtiment carré, dont la façade se laisse doucement découvrir quand on s’approche, révélant un discret minaret. Farid Amri, l’imam de la mosquée, est assez fier du bâtiment flambant neuf : “Les donateurs ont insisté pour en avoir un, donc on l’a intégré au décor. Le minaret et la façade ensemble composent le mot Allah en arabe, c’était une belle idée de l’architecte”.
Plus qu’une apparence imposante, c’est le flux important de population qui attire le regard vers le bâtiment. En ce vendredi, jour de prière collective en Islam, on y vient à pied depuis les quartiers voisins, on stationne à proximité, parfois dirigé vers les parkings par des bénévoles reconnaissables à leurs gilets. Une partie arrive de la gare Saint-Charles, du reste de Marseille. Parmi eux, Fabien a un accent qui détonne. Travailleur détaché arrivé de Paris il y a quelques années, il a tous les codes du néo-marseillais et un détail en plus, qu’il garde habituellement plutôt dans l’intime : sa conversion à l’Islam il y a une dizaine d’années.
Fabien, rencontré sur place, vient du centre-ville pour prier à La Busserine.
“De toutes les choses surprenantes que j’ai constatées en arrivant à Marseille, c’est ce qui m’a le plus marqué. Pour une ville où il y a autant de musulmans, qui a cette image dans l’imaginaire populaire en France, il n’y a pas beaucoup de mosquées, et encore moins en centre-ville”. Il raconte une recherche faite sur internet, une découverte des salles de prières du centre-ville, des prières effectuées dans des conditions rocambolesques ou un peu triste. Il a donc fait entrer dans sa routine les passages de train sporadiques à la gare de Picon-Busserine, chaque vendredi et dès qu’il le peut. “C’est triste à dire, mais honnêtement sinon je n’aurais peut-être jamais eu de raison de venir dans le 14e”.
“En centre-ville, il y a pas de mosquées comme chez nous”
Jamel, 30 ans, est plus habitué au secteur. Électricien spécialisé dans l’installation de fibre optique, il peut se permettre de ne pas programmer d’intervention le vendredi entre midi et deux. Une habitude à laquelle il a récemment joint son fils de deux ans, qu’il passe chercher pour l’amener à la mosquée. Non sans fierté : “Je viens de la Busserine et même si je n’y habite plus, j’aurai toujours un lien avec le quartier. Et plus tard, je veux que mon fils pense plutôt à la mosquée qu’à ce dont on parle habituellement dans les médias”. Il se souvient de son adolescence, des rapports un peu étranges avec les gens “d’en ville”, du mépris à peine déguisé parfois. “Maintenant, je suis fier de dire qu’en centre-ville, il n’y a pas vraiment de mosquées comme chez nous”. Après celle des Cèdres (13e), la mosquée de la Busserine est en effet la deuxième construction de mosquée neuve arrivée jusqu’à sa réalisation récemment à Marseille.
Jamel salue beaucoup de gens. “Souvent, on connait les familles de tout le monde. Et franchement, les gens qui habitent la Busserine mangent plus souvent du halal que du halouf [du porc], c’est sûr. C’est normal et ça fait plaisir qu’il y ait ça ici : on remet la mosquée au milieu du village”.
Durant la khotba, le rappel religieux effectué avant la prière du vendredi, l’imam fera un passage dans la continuité de cette place nouvelle de la mosquée dans le village urbain de la Busserine. Il rappelle que les enfants ne sont pas concernés par l’obligation du mois du ramadan, et que l’éducation est primordiale pour eux. Un cadrage qui fait suite à une alerte par le personnel de l’école primaire sur des enfants qui essayent de jeûner et n’ont pas toujours l’énergie de suivre en classe.
“Chacun a aidé comme il pouvait”
Comme beaucoup d’autres, Jamel mettra la main à la poche durant son passage à la mosquée. Les bénévoles se fraient tant bien que mal le passage dans la salle bondée pour récolter les dons, à l’aide d’un sac pour les espèces ou d’un terminal de paiement pour la carte bleue. Car l’une des conditions sine qua none imposées par les collectivités à l’association cultuelle de type loi 1905 pour l’obtention d’un terrain est l’interdiction de fonds provenant de l’étranger. Et un projet pareil, même lorsqu’il est porté par des bénévoles, est assez onéreux : 2 millions d’euros simplement pour le bâti.
En faisant visiter la future salle de conférences, Farid Amri souligne la vue sur la lointaine Bonne-Mère visible de l’étage, symbole religieux mais surtout de Marseille. Il veille aussi sur les derniers détails des travaux, en chef de chantier improvisé, sa troisième casquette après son emploi dans une auto-école et son statut d’imam. Après avoir confirmé un horaire de livraison aux ouvriers pour du matériel, il se rappelle que l’aide ne s’est pas limitée aux dons : “Un frère entrepreneur dans le bâtiment nous a fait des tarifs préférentiels sur certains matériaux, parfois il nous en a trouvés gratuitement. De manière générale, chacun a aidé comme il pouvait”.
S’il y a une telle fierté à présenter ce bâtiment, c’est que son inauguration officialisée par une commission de sécurité il y a quelques semaines était très attendue. Dès le début des années 2000, comme dans beaucoup d’autres quartiers, il y a déjà plusieurs salles de prière à la Busserine, ou à Picon, mais aucune mosquée. C’est la réunion de ces salles de prière qui a mené à la fondation de l’association Le collectif des musulmans du 14e arrondissement, à qui la mairie de Marseille a confié le terrain en 2014, via un bail emphytéotique.
Mais les financements ont souvent manqué au fil des années : la première pierre n’est posée que deux ans plus tard et en 2018 les travaux ont dû être arrêtés un temps. Le président de l’association, Abdelmallek Ben Lahssania, se permet donc un sourire teinté de soulagement : “On est contents d’en être arrivés là, ça a été long et compliqué …”.
La chimère de la grande mosquée
Si l’État ou les collectivités ne mettent pas la main à la poche, ils sont tout de même concernés. C’est la mairie qui a cédé le terrain de plus de 1000m2 qui accueille la mosquée de la Busserine, quartier en périmètre prioritaire de rénovation urbaine. Denis Rossi, conseiller métropolitain délégué à la politique de la Ville et à la rénovation urbaine, est élu dans le secteur depuis six mandats. Il connaît donc la chronologie du projet, et n’y voit que du bon sens : “C’est une réalité sociologique : les gens ont des cultes et il faut le prendre en compte. Ailleurs, il n’y a pas forcément la place et le périmètre de rénovation urbaine permet de céder des terrains à cet usage”.
Malheureusement, il n’est encore pas acquis que les musulmans de Marseille puissent accéder à des lieux de culte dignes.
Denis Rossi, conseiller métropolitain
Lorsqu’il faut financer la construction dans le cadre de la rénovation urbaine d’un cheminement qui amène vers la mosquée, c’est donc pour lui une question de voirie basique et pas de laïcité : “On est loin du lieu exclusivement cultuel, c’est une maison de Dieu et une maison de quartier, qui attire du passage. C’est notre obligation. Malheureusement, il n’est encore pas acquis que les musulmans de Marseille puissent accéder à des lieux de culte dignes”.
Un constat de réalité qui rappelle aux faits historiques : derrière l’histoire de la mosquée de la Busserine il y a l’épouvantail de la grande mosquée de Marseille. Une chimère éternelle fondée sur l’espoir de fonds venant de l’étranger dont l’absence est le symbole d’un demi siècle de manque d’organisation de la communauté musulmane. “Les divisions communautaires existantes ont été entretenues volontairement, dans un but politique. On ne peut s’en prendre qu’à nous d’abord et avant tout : nous n’avons pas su les dépasser, et prier dans des conditions décentes c’est encore compliqué”, déplore Abdelmalek Ben Lahssania. Il dresse un portrait sans concessions mais pas sans espoir : “On a affronté beaucoup de difficultés mais sur cette mosquée il y a eu une réponse collective très forte, d’abord localement dans le 14e mais aussi partout en France, pas seulement à Marseille. Beaucoup de musulmans, à Paris, Lille, Montpellier et ailleurs ont contribué pour qu’on y arrive”.
Il souligne également, dans cet élan, que l’association actuelle est née du rassemblement de plusieurs structures plus axées sur leurs communautés d’origine respectives, comoriennes ou algériennes notamment. Un élément noté aussi par Denis Rossi : “Dès le début, le concept a fédéré l’ensemble des communautés musulmanes du quartier, c’est un signal important”.
Culte de la transparence
Comme pour tirer les leçons du passé, l’association semble afficher sa volonté d’être dans les clous. Les financements et leurs utilisations sont publics, le consignes de sécurité et de respect du quartier et du stationnement affichées et projetées régulièrement dans la mosquée et rappelées au micro. Un étalage de bonnes pratiques qui semble vouloir faire face à une anticipation. Sans vouloir s’y attarder, croyants, bénévoles ou membres de l’association semblent l’avoir intériorisé : une mosquée fait souvent sourciller.
Du côté politique aussi, Denis Rossi raconte des réticences de part et d’autre : “J’ai eu de nombreuses remarques, mais jamais publiquement : on m’a dit qu’ils avaient déjà des salles, ou alors il y a quelques années j’ai beaucoup entendu que dans le contexte d’attentats terroristes, ce n’était peut-être pas le bon moment d’aider à bâtir des mosquées. Je rappelle que la laïcité, ce n’est pas interdire le culte des autres, c’est le respecter”.
D’ici là, en cette fin de ramadan, la mosquée Arrahma, ou de la miséricorde, a prévu de recevoir beaucoup de monde pour la prière de l’Aïd, vendredi ou samedi. À tel point qu’elle se déroulera en partie en extérieur, sur le terrain de sport voisin. Dans une autre partie centrale du village de la Busserine.
Commentaires
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Les grenouilles de bénitier ne sont pas en voie de disparition.
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Je trouve cet article très intéressant. Quant à votre commentaire permettez-moi de vous suggérer d’apprendre par cœur le premier alinéa de l’article premier de notre Constitution : « la France est une République indivisible laïque démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous ses citoyens sans distinction d’origine de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances »
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