À la Belle-de-Mai, le collectif Mira redonne aux femmes leur place dans l’espace public
Composée d'habitantes du quartier, Mira est née du désir de voir les femmes se réapproprier les espaces publics ou urbains. Régulièrement, les membres de ce collectif se retrouvent dans des bars du quartier pour générer de la mixité dans des lieux souvent occupés par une clientèle 100 % masculine.
Les femmes du collectif Mira, à la Belle-de-Mai. (Photo : C.By.)
“Une noisette !” La commande est lancée, depuis une table un peu éloignée du comptoir, du ton assuré de l’habituée des lieux. Foulard plissé noué sur deux belles tresses rectilignes, Dalila Zouachi sirote son petit café matinal à côté de Zelikha, Yamna et Stéphanie. Comme chaque matin, ces habitantes du quartier de la Belle-de-Mai (3e arrondissement) se retrouvent au bar. Souvent ici, au Diplomate, à quelques pas de la place Caffo. Parfois ailleurs, en terrasse.
Ces femmes se connaissent depuis des années. “Certaines sont mères célibataires, d’autres non. Certaines travaillent, d’autres pas. On se voit tous les jours ou presque”, synthétise Zelikha El Djou, cheveux blonds cendrés et verbe posé. Avec Dalila, maman de six enfants, Zelikha est l’une des chevilles ouvrières de Mira, le collectif qu’elles ont créé, il y a deux ans. “Au départ, ça démarre avec Dalila, se remémore-t-elle. Après avoir déposé les enfants à l’école, on cherchait souvent un lieu pour nous poser le matin, pour prendre un petit temps pour nous. Mais ce n’était pas toujours facile. Parfois, on allait à la Friche ou bien chez l’une d’entre nous. Et puis on s’est dit qu’il n’y avait pas de raison, qu’on pouvait aller dans un bar, aussi.”
Nous, on cherche juste notre place, pas un numéro de téléphone.
Dalila Zouachi
Prendre place en terrasse ou franchir le seuil d’un café du quartier ? Pas si évident. À Marseille comme ailleurs, il arrive que l’espace urbain ou public soit confisqué par la présence masculine et que les femmes, invisibilisées, n’y trouvent pas aisément leur place. “Au début, quand on entrait, il y avait des hommes qui ne nous lâchaient pas des yeux. Parfois, ils nous jetaient des regards de mépris, parfois ils nous draguaient. Mais nous, on cherche juste notre place, pas un numéro de téléphone”, résume Dalila, en levant au ciel ses yeux ourlés de longs cils noirs.
Archaïsme
Nassima Bouchelghouma, toute en tchatche et en survêtement de l’OM, rejoint la troupe avant d’aller travailler. “Le premier jour, quand je suis entrée ici, il n’y avait que des hommes, et j’étais mal-à-l’aise. Dalila et Zelikha étaient installées là et je leur ai demandé si je pouvais rester avec elles.” Comme Yamna Tellan, psychologue clinicienne à la ville, la mère de famille se désole d’une forme “d’archaïsme des gens qui pensent qu’un bar est un lieu de drague”. Un lieu où l’on boit, aussi. Bref, un espace où une femme “comme il faut” n’a pas sa place.
Au fil des mois, la troupe a vu le nombre de ses adeptes grossir. Elles sont régulièrement cinq ou six désormais autour de la table, le matin. “Plus nombreuses, on est plus fortes”, pose Stéphanie Grangier, la plus discrète de la bande. “C’est ça qu’il représente, ce collectif, des femmes fortes, c’est tout”, dit-elle encore. Car des souvenirs cuisants, les membres du collectif en ont.
Pousser la porte d’un bar c’est un truc simple, naturel. C’est un droit, une prise d’usage!
Zelikha El Djou
“Ce qui fait mal, c’est de se sentir jugée”, cadre Nadia qui vient d’arriver avec son ciré rose trempé de pluie et son chariot de courses. Mimi, une amie du petit groupe, passe claquer des bises, puis repart. Autour de la table, toutes égrainent les expériences parfois désagréables qu’elles ont subies. Un serveur dans un bar du coin qui refuse de les servir, un autre qui leur dit “des gros mots” lorsqu’elles prennent place, un dernier qui fait un geste de la main “comme pour dire, dégage!” lors de la commande d’un thé… “Pour ces hommes, la place des femmes est à la maison et c’est tout“, constate Yamna.
“On s’est cloisonnées”
Or reprend-elle, “pousser la porte d’un bar, c’est un truc simple, naturel. C’est un droit, une prise d’usage !” Pour se l’octroyer, il leur a aussi fallu surmonter leurs propres freins. “L’habitude s’est instaurée dans la société, à la Belle-de-Mai mais ailleurs, aussi. Et nous, les femmes, on l’a laissée s’installer. On s’est cloisonnées. Ce n’est pas que la faute des hommes, mais la nôtre aussi”, analyse la mère de famille. Devant son orange pressée, Nadia appuie : “C’est aussi une question d’éducation et de culture.” Elle vit à la Belle-de-Mai depuis 35 ans et souligne qu’elle a vu “le quartier évoluer, se dégrader et s’appauvrir par endroits” et se développer çà et là “un esprit grégaire“.
C’est contre lui que le collectif Mira lutte. “Nous ne sommes pas dans une lutte féministe en tant que telle. Nous voulons juste avoir accès à des espaces dans lesquels nous nous sentons légitimes. Pousser cette porte et boire un café ici, c’est une lutte”, enchaîne Zelikha. Le collectif, d’ailleurs, étend ses actions à d’autres champs : jouer une pièce de théâtre avec la compagnie Organon, prendre part à un spectacle de danse sur la place Cadenat… Les femmes de Mira sont aussi présentes au festival Les Plus Belles de Mai. Organisé sur quatre semaines par la mairie des 2/3 dans quatre bars du secteur tenus par des femmes, il vise à promouvoir la place féminine dans les espaces urbains et publics. Zelikha est l’autrice de Je suis F, un texte sur la féminité qu’elles récitent tour à tour, dans une multitude de langues.
Parole libérée
Au sein du collectif, les femmes avancent sans avoir envie qu’on les “accompagne”, poursuit Zelikha. Elle regrette, dit-elle, que certaines structures associatives se comportent parfois à l’égard des habitantes des quartiers populaires comme “des soignants envers des soignés” ou comme “des profs avec des élèves”. Sûres de leur démarche, les femmes du collectif veulent porter “une parole des femmes qui soit libérée, respectée et écoutée.”
La présence de ces clientes, Samir Amroun, le patron du Diplomate, lui, la souhaite : “Leur place n’est pas légitime, elle est désirée ! D’abord parce qu’on n’est pas dans une démarche communautaire. Mais aussi parce qu’elles apportent de la vie. Dans un bar, il y a la présence physique des personnes, mais aussi l’espace social qu’elles occupent. Ces femmes rient, elles amènent une autre ambiance, cela génère de nouvelles interactions sociales. Elles rendent l’espace plus agréable.”
Le brouhaha est monté d’un cran à l’intérieur du petit bar. Le vaste écran de télévision diffuse un clip d’Aya Nakamura, des clients entrent acheter des jeux à gratter ou des cigarettes, à une table deux hommes mangent des sandwichs. Le groupe de femmes, lui, s’est agrandi. Pour que chacune ait une place, il faut désormais approcher la table d’à côté. L’homme qui y était installé se déplace. Zelikha en sourit, sans ironie, mais avec un rien de malice : “Symboliquement, j’adore ! Avant, on était dans le petit coin sous la télé. Et maintenant, c’est eux qui nous font de la place.”
Festival Les Plus Belles de Mai, samedi 4 mai, au bar Jo, 41 rue de la Belle-de-Mai (3e arrondissement).
Commentaires
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réconfortant, militant, motivant et très respectable !
je suis admiratif du collectif mira.
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Pour moi qui habite rue de Crimée et qui ne voit pratiquement aucune femme sur les terrasses du quartier, de National à toutes les rues perpendiculaires, c’est une très bonne chose. J’habite ce quartier depuis bientôt 15 ans et je ne vois pas d’amélioration de ce côté là, ce qui m’ennuie beaucoup. Bravo les filles, nous avons parfaitement le droit d’aller boire un café ou même un verre où nous voulons. Cette atmosphère est pesante.
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Chouette article !
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nous sommes bien en 2024 ?
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“Ceci n’est pas une lutte féministe”, dit-elle, avant de décrire ce qui a toutes les apparences d’une lutte féministe.
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