À Fos, la pollution imprègne les habitants jusqu’au sang
Une nouvelle étude sur l'impact de la pollution industrielle sur les habitants du bassin de Fos vient d'être dévoilée. Elle confirme la présence importante de certains polluants dans l'organisme des habitants de Fos et rend de plus en plus compliquée la position de l'État.
Fos-sur-mer.
“C’est la première fois qu’une étude d’imprégnation d’une telle ampleur est réalisée dans un contexte industriel”. Professeur de chimie environnementale et président de l‘Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions, Henri Wortham, annonce ce lundi soir à Fos les résultats de l’étude dénommée Index. De 2015 à 2018, une équipe de l’institut – association financée par la Ville de Fos et le conseil de territoire Ouest Provence – a ainsi analysé l’urine et le sang de près de 230 personnes afin de comparer le taux d’imprégnation de certains polluants. Résultat : les habitants de Fos-sur-mer présentent une surimprégnation de certains polluants par rapport à ceux de communes plus éloignées du bassin industriel, Saint-Martin de Crau et Mouriès. Les polluants en question sont le plomb, deux sortes de furanes, molécules typiques des émissions industrielles, et le benzène chez les personnes les plus âgées.
Aucun dépassement de seuils au-delà desquels la présence de ces polluants a un risque pour la santé n’a été constaté. Mais ces résultats viennent s’ajouter à plusieurs études menées récemment sur la qualité de l’air (Scenarii) ou la santé (Epseal) des habitants de cette zone industrielle. Leurs conclusions convergent : à Fos, on est plus exposé à la pollution, plus imprégné par certains polluants et plus atteints par certaines maladies.
Jardiner, un facteur aggravant
Le cadre de l’étude Index ne va pas jusqu’à examiner les effets que produisent la pollution sur le corps humain. Mais jusque-là, aucune étude n’était allée aussi loin. “C’était courageux d’aller jusqu’au bout”, a même félicité la représentante de l’ARS, l’agence régionale de la santé, présente ce lundi au théâtre de Fos pour l’annonce au grand public des résultats de l’étude. En comparant les habitudes des participants à cette étude à celles des zones témoins, les chercheurs d’Index ont également réussi à mettre en lumière des facteurs aggravants de l’imprégnation.
“Par exemple, les personnes qui pratiquent le jardinage à Fos présentent une contamination plus grande au PCB [ dérivés chimiques chlorés interdits en France pour leur toxicité mais encore présents dans les sols. Ndlr] qu’ailleurs, explique Sylvaine Goix, chargée de mission santé et environnement de l’Institut écocitoyen et doctorante dans ce domaine. Idem pour le cadmium [substance cancérigène. Ndlr] pour les Fosséens qui mangent les produits de leur jardin.”
Il en va de même pour la consommation de produits locaux de la mer. “La consommation de produits locaux de la mer (poissons de mer, fruits de mer) était associée à une élévation des imprégnations en PCB, dioxines/furanes, mercure et chrome”, peut-on lire dans la conclusion de cette étude de plus de 280 pages. Ces facteurs s’ajoutent donc au simple fait de vivre à Fos. Par inhalation, les Fosséens testés présentent une surimprégnation des quatre polluants cités en introduction. “Pour limiter la contamination, les habitants de Fos doivent suivre des recommandations simples comme bien laver les légumes de leur potager ou se laver les mains, et celles des enfants, après les avoir mises dans la terre. Ils ne doivent pas non plus manger plus d’un produit marin dans la semaine”, complète la scientifique.
“Pistes concrètes pour les industriels”
Mais les chercheurs de l’Institut écocitoyen espèrent bien que leur étude ira plus loin que de simples recommandations. “Ces résultats constituent des pistes concrètes pour les industriels. Grâce à nos résultats, ils peuvent accélérer les mesures qui visent à réduire les émissions de polluants de façon ciblée, rend compte Philippe Chamaret, directeur de l’institut écocitoyen. Au lieu d’engager des actions tous azimut, ils pourront cibler et mettre en place des mesures moins coûteuses et plus efficaces.” L’équipe d’Index considère donc son étude comme un “outil d’aide à la décision pour les industriels mais aussi pour l’État, et les collectivités locales qui doivent maintenant s’en emparer”, pose Henri Wortham.
Justement, lors de la communication des résultats au public, l’ARS était présente et a pris la parole. “C’était important pour nous d’être là pour prendre connaissance des résultats. Nous avons suivi cette étude dès le début”, a déclaré Muriel Andrieu-Semmel, représentante de l’ARS. Mais si les pouvoirs publics ont effectivement fait partie du comité scientifique, cela n’a pas toujours été le cas. “Santé publique France était présente aux premières réunions du comité. Ils ont suivi l’élaboration du protocole et se sont chargés des cas de surimprégnation qui n’avaient pas de lien avec les paramètres que l’on suivait. Après ça, ils ne sont plus venus aux réunions, sauf à la dernière”, retrace Philippe Chamaret. De son côté, Muriel Andrieu-Semmel conçoit que “cela n’a pas toujours été commode, à cause de certaines réticences des institutions sur le principe d’une étude invasive [qui implique des prises de sang et des prélèvements, ndlr] notamment”. L’ARS, qui a eu connaissance de l’intégralité de l’étude en même temps que le grand public n’a pour le moment pas validé officiellement ses résultats. “Mais il s’agit d’une étude robuste et j’ai confiance en ces résultats”, a ajouté Muriel Andrieu-Semmel*.
“Pas le même timing que l’État”
Le directeur de l’institut pointe pourtant des décalages au niveau “de l’approche, de la mise en œuvre, du timing et de la gestion des délais”. Avec, comme souvent dans ce domaine, l’État dans le rôle du dernier arrivé. L’équipe d’Index attend entre autres les résultats de l’étude nationale Esteban qui vise a mesurer l’exposition aux mêmes substances nocives sur tout le territoire français. “La dernière étude date de 2006. Quand on compare avec nos chiffres, ils sont en moyenne du même ordre, mais ce sont des données anciennes et la comparaison n’aura une réelle valeur que lorsque nous aurons des chiffres plus récents”, s’impatiente Sylvaine Goix. Du côté de Santé publique France, on confirme cette nécessité tout en justifiant le rôle de l’institution dans cette étude : “Nous avons apporté un appui à l’élaboration du protocole de l’étude Index afin que celui-ci permette d’aboutir à des résultats comparables à ceux qui seront obtenus dans le cadre d’Esteban que met en œuvre Santé publique France”. Cette dernière étude, réalisée tous les dix ans, s’est achevée en 2016*.
“L’autre limite de notre enquête réside dans le fait que nous ne connaissons rien de l’effet cocktail de ces polluants, ni de l’impact des particules ultrafines qui s’ancrent encore plus profondément dans l’organisme”, ajoute la chercheuse de l’Institut. Un fléchage pour l’ARS. “Index a permis d’attirer notre attention sur les particules ultrafines. Il faut approfondir de ce côté là“, reconnait Muriel Andrieu-Semmel*.
“Il faut maintenant réaliser une étude épidémiologique. Pour pouvoir définir clairement les effets de ces polluants sur le corps humain”, continue, énergique, Sylvaine Goix. Pour l’heure, seule l’étude Epseal donne des pistes alarmantes de la surreprésentation de certaines maladies. Depuis plusieurs années, l’Institut écocitoyen demande, dans cette même optique et de concert avec le maire de Fos, l’élaboration d’un registre des cancers dans cette zone. “Un observatoire du cancer est en cours de consolidation et sera utile pour défendre la mise ne place locale d’un registre”, promet la représentante de l’ARS qui souligne par ailleurs “qu’une réelle volonté de partager les informations entre les différents acteurs existe sur ce sujet”*.
Des mesures insuffisantes selon René Raimondi, le maire divers gauche de Fos. “Depuis 2001 nous demandons ce registre sans succès. Ces études sont là pour dire à ceux qui détiennent la police de l’environnement que si on veut continuer à vivre sereinement, il va falloir rendre publique les choses et agir vite”, a-t-il alerté ce lundi soir. Pour le directeur de l’Institut éco-citoyen, l’analyse est vite vue : “Les pouvoirs publics restent circonspects car cela déterminerait des responsabilités“. Une position qui devient pourtant, à chaque nouvelle étude, de plus en plus inconfortable.
*Mise à jour le 30/05 des réponse de l’ARS et de Santé Publique France à Marsactu.
Retrouvez tous les articles de Marsactu sur le sujet dans notre dossier Pollution industrielle
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Commentaires
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Des mesures concrètes via cet outil d’aide à la décision ? dommage de ne pas préciser lesquelles. Dépolluer les sols de Fos (donc en gros, enlever 30 cm au moins ?) dépolluer les eaux du golfe (par filtration ?)
A chaque fois que vous traitez le sujet, Mme Artaud, vous vous complaisez à dire en gors, que l’Etat refuse de reconnaître la présence de polluants, et donc de morbidités, et donc ses responsabilités. Pourquoi cet acharnement ? L’Etat n’est quand même pas responsable unique ! L’industrie fait bien vivre les gens aussi dans la zone, que je sache. La commune de Fos est riche de taxes professionnelles !
On sait que Fos-sur-Mer est sous le vent de Sollac/Arcelor depuis les années 50. Il n’y a qu’une vingtaine d’années qu’on se préoccupe de pollution de l’air : quand bien même les émissions de l’usine auraient diminué de façon importante (ce qui semble être le cas, allez voir le répertoire IREP des pollutions !), imaginez ce qui est déjà retombé sur les sols, dans les eaux en presque 70 ans ! Bien sûr que tout est pollué, enfin, on dirait à chaque fois qu’on déouvre de l’eau sur Mars, à vous lire !!
On peut discuter des années sur le degré de nocivité, étude contre étude, mais sur le fond tout le monde, l’Etat y compris, sait bien qu’il y a un problème. Alors que fait-on concrètement pour les habitants ?
Qu’attendez-vous de l’Etat ? Evacuer Fos sur Mer ? Déclarer la zone insalubre ? Soyons sérieux.
La seule chose concrète que pourra(it) faire un Préfet, c’est interdire par arrêté la consommation de légumes produits localement, et de la pèche locale, pour “protéger la population”. Ce qui leur fera une belle jambe et va être vécu comme une nouvelle violence de l’Etat et générer de nouvelles frustrations pour les maraîchers, pêcheurs, jardiniers. Sans compter les emplois éventuellement détruits.
Ah, oui, ou alors décréter la fermeture de l’aciérie, 4500 employés et sous-traitants. Ce qui causerait d’autres dégâts il me semble. Inextricable ? Oui, un peu, sans doute. Mais l’Etat n’est pas le seul responsable !
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Il est du devoir de l’Etat de garantir la sécurité sanitaire des citoyens.
Il est du devoir des politiques d’obliger les entreprises à produire “propre” (elles ne le feront jamais de leur propre chef !)
L’emploi ne donne pas un permis de polluer.
Ce n’est pas parce qu’il y a eut des erreur dans le passé qu’il ne faut pas commencer à inverser la tendance, c’est même une nécessité si l’on veut que les générations futures héritent d’une planète viable, et c’est bien le rôle des médias de nous alerter quand des exactions sont commises .
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Tout a fait d’accord avec ce commentaire sensé !
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Bien évidemment, mais il se trouve que les grosses usines sont marquées à la culotte par la DREAL depuis de longues années et avec des normes qui ne font que se durcir, polluant par polluant. Je crois vraiment qu’on ne peut pas/plus parler de “permis de polluer” mais il se trouve qu’une aciérie de la taille d’Arcelormittal par exemple, ne peut pas être complètement anodine pour son environnement. Idem pour une raffinerie ! Même en dehors de toute considération sur l’emploi local, conserver de telles entreprises sur le sol français est aussi un enjeu géopolitique important (=ne pas dépendre totalement d’acier ou de produits raffinés qui viendraient de l’étranger). M. MITTAL, indien comme vous le savez, n’est pas un philanthrope et vu de chez lui, fermer une aciérie en France pour la rouvrir dans un pays moins exigeant en Europe ne serait pas un drame. Il y a donc forcément un compromis à trouver dans ce qu’on peut exiger de son usine.
Après, on peut discuter du degré de sévérité appliqué, ou de la densité des contrôles menés, bien sûr.
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