À Bougainville, la possibilité d’un parc en terres polluées

Reportage
le 19 Avr 2022
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Actuellement en chantier, le futur parc de Bougainville doit s'installer sur d'anciennes terres industrielles, riches en métaux lourds et divers hydrocarbures. L'objectif : remettre de la nature sur une terre rendue stérile par des siècles d'activités.

À Bougainville, la possibilité d’un parc en terres polluées
À Bougainville, la possibilité d’un parc en terres polluées

À Bougainville, la possibilité d’un parc en terres polluées

À l’approche de la station Bougainville, la ligne 2 du métro offre un travelling sur une ville qui change. Un court instant, les voyageurs peuvent voir l’avancée du chantier d’un futur parc de quatre hectares. Pour l’heure, les engins s’affairent à araser, tasser et fouiller une vaste zone, soulignant plus encore le décalage entre les tours d’Arenc et les derniers bâtiments de l’arrière-cour d’un quartier portuaire.

Le temps fait son œuvre avec les aménageurs et on peine à se remémorer le paysage disparate qui composait ce coin de ville – quincaillerie, station essence ou de lavage, ateliers, fourrière municipale… – fiché entre le serpentin de la rue Caravelle et la ligne droite du boulevard de Briançon. Les couches successives d’activités économiques ont laissé plus d’un vestige. Car le parc que l’opérateur public Euroméditerranée veut voir naître ici s’installe en terres polluées.

Cocktail de métaux lourds et d’hydrocarbures

Le diagnostic environnemental fait froid dans le dos : on y trouve un panaché des différents dérivés d’hydrocarbures, solvants chlorés et métaux lourds – mercure, plomb, zinc, arsenic – en grande quantité. De quoi hérisser d’effroi les parents qui piaffent dans l’attente de l’ouverture du seul parc digne de ce nom dans le secteur. “Nous savons que nous arrivions ici sur une zone inscrite dans une histoire industrielle, explique Anita Leroux, directrice de projet au sein d’Euroméditerranée. Une fois que nous sommes devenus propriétaires du foncier, nous avons lancé une étude pour connaître l’état des sols et le type de pollutions”.

Cette problématique a donc été prise en compte très en amont avec une recherche historique sur le quartier. “La particularité des implantations successives sur le site est qu’on y trouve d’importants remblais constitués des différentes industries qui s’y sont installées, détaille Anita Leroux. En clair, les industriels ne s’embêtaient pas : pour installer leur activité, ils faisaient tomber les murs de l’entreprise précédente, aplatissaient le tout et construisaient dessus”. S’ensuit une lasagne de divers remblais de diverses tailles, piégeant des pollutions parfois fort anciennes.

Des sondages ont été réalisés pour connaître l’état des sols. Dès 2014, “des anomalies en composés organiques (hydrocarbures et solvants chlorés) et en métaux lourds” sont mis au jour dans divers endroits du futur parc et en particulier dans les remblais.

Cette partie du parc doit accueillir des prairies et plusieurs aires de jeux ainsi que des jardins partagés. (Photo: B.G)

Un niveau de pollution compatible avec les usages futurs

À la suite de ces premières découvertes, une nouvelle phase d’études débute en 2017 avec des investigations plus poussées, notamment pour vérifier “la compatibilité de la zone avec son usage futur”. Une évaluation quantitative des risques sanitaires est également menée.

“Elle conclut que le risque n’est pas pénalisant pour une personne qui resterait 40 ans sur place”, sourit Édouard Rauline, le conducteur d’opération. Bien entendu, cette absence de risque est corrélée avec la gestion des diverses pollutions. Cela passe par “une isolation du sol de surface”, soit par une dalle de béton, soit par au moins 30 centimètres de terre.

Pour les points les plus pollués, notamment en métaux lourds on enlève et on évacue. Pour les zones moins polluées, on choisit de traiter sur place.

Anita Leroux, directrice de projet

Mais pas question pour l’aménageur de reproduire les méthodes des glorieux anciens. L’ensemble des points chauds de la pollution identifiés par les sondages systématiques doivent être traités. “Nous avons mis en place un plan de gestion des terres polluées qui prévoit deux types de traitements, détaille Anita Leroux. Pour les points les plus pollués, notamment en métaux lourds on enlève et on évacue. Pour les zones moins polluées, on choisit de traiter sur place”.

Cette méthode de traitement par bio-tertre va débuter sous peu. Elle est déjà visible sur une vaste zone du site, non loin de l’ancienne station de service connue des habitués de l’avenue Salengro. Pour l’heure, elle forme un vaste quadrilatère couvert de cailloux. “La base du tertre est constituée de plusieurs films imperméables et d’une couche drainante de pierres”, décrit Édouard Rauline. Les eaux de ruissellement sont récupérées tout au long d’un processus de traitement. Sur ce dispositif les diverses terres polluées aux hydrocarbures sont étalées. “Ce sont ensuite des bactéries qui doivent permettre de traiter les différents composants”, reprend le conducteur d’opération.

Le site d’entreposage des terres polluées attend d’être transformé en bio-tertre. Photo : B.G.

La durée de l’entreposage relève de différents aspects : “Le type de polluants, la concentration et la disponibilité du site”. Ici, l’aménageur dispose d’un an pour traiter les terres polluées. En bout de course, si les concentrations de polluants répondent aux normes en vigueur, elles seront réutilisées sous la couche de terre végétale, nécessaire aux plantations. Pour l’heure, elles patientent en bout de parcelle, en tas de différentes tailles et couleurs selon les endroits d’où elles ont été extraites. Ce traitement systématique permet un suivi précis.

“Globalement, le terrain du site est très peu fertile”, reconnaît Édouard Rauline. L’ensemble de la partie plantée du parc sera donc recouvert d’une couche de terre arable. Cela vaut pour la prairie et les jardins partagés qui jouxteront les tours de la cité Bellevue, les rives du ruisseau des Aygalades “renaturé” et les “différents espaces de nature”.

Le traitement des “points chauds” se poursuit

Pendant ce temps, sur le reste du site, des ouvriers s’affairent à l’excavation des autres points chauds de pollution, là où l’évacuation est nécessaire. “Nous avons toujours le même type de traitement des zones où la pollution est très concentrée, reprend Édouard Rauline. D’abord on évacue sur une certaine profondeur et on fait des prélèvements en fond de fouille et autour. Si la concentration est toujours très forte, on approfondit”.

La cuve polluée découverte lors des excavations des “hot spots” de pollution. Photo : B.G.

Comme les sondages ont été réalisés tous les cinq mètres cela laisse de la place pour quelques belles surprises. Ainsi, non loin de l’endroit où doit être édifié un relais nature qui servira de point d’entrée principal du parc, les ouvriers ont découvert une cuve jusque-là inconnue à quelques mètres à peine d’une zone d’excavation où l’eau de la nappe phréatique affleure. Elle devra être évacuée et le sol qui l’entoure sera sondé pour connaître l’état des pollutions liées. D’autres surprises peuvent intervenir à d’autres endroits du site.

Aujourd’hui, le ruisseau est busé et rendu quasiment invisible par de hauts murs. Demain, son lit sera élargi pour réduire le risque d’inondation et offrir un coin de fraîcheur. Photo : B.G.

Le traitement de la pollution ne se limite pas aux sols. L’aménageur a une surveillance attentive du cours d’eau qui doit servir d’épine dorsale au parc. L’ancien biaou des Aygalades traverse une vaste zone industrielle depuis les bassins versants du massif de l’Étoile. “Pour cela nous travaillons avec l’institut méditerranéen de biodiversité d’écologie (IMBE) qui réalise une étude sur le long terme de cette rivière urbaine, complète Édouard Rauline. Ils étudient notamment les niveaux de concentration de certaines bactéries et micro-organismes qui renseignent sur l’état de la rivière et la concentration de certains polluants“. En 2020, Marsactu avait raconté comment le ruisseau présentait des taux élevés de chrome VI, justement révélés par les chercheurs de l’IMBE. Si les minots pourront bientôt patauger dans le ruisseau, il faudra attendre longtemps avant qu’ils y croisent un poisson. Et malheur à eux s’ils envisagent de manger le produit de leur pêche…

Une livraison en deux parties
L’épidémie a eu raison du calendrier prévisionnel du chantier du parc Bougainville. Le jardin partagé qui devait voir le jour en 2021 est encore en travaux. La première partie du parc devait être livrée en mars 2023. Elle est aujourd’hui en pleine dépollution. Elle comprendra des prairies et plusieurs aires de jeux, avec des gradins à proximité d’une ombrière construite à partir de la structure métallique de l’ancienne fourrière municipale. La seconde partie du parc, bâtie autour du ruisseau était initialement attendue pour 2024. Là encore, un décalage est à prévoir.

Le plan du parc et ses usages. Groupement D’Ici là
Zakarian-Navelet, Biotec, 8’18, Arcadis Adeus, teknicité.

Globalement le parc épouse le dénivelé du terrain pour éviter au maximum les effets de clôture, avec un saut de loup qui forme une douce douve en bordure du boulevard de Briançon. “L’entrée principale se fera du côté du métro Bougainville pour relier le parc au reste de la ville par les transports en commun”, explique Anaïs Cadier, la directrice de l’aménagement d’Euromediterranée. Deux autres entrées du parc sont prévues : une du côté de Félix-Pyat, l’autre au niveau du boulevard de Lesseps dans un raccordement avec le futur parc des Aygalades.

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Commentaires

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  1. BRASILIA8 BRASILIA8

    Spécialité marseillaise, le Parc du 26 ième Centenaire a été réalisé sur l’emplacement de l’ancienne gare du Prado d’où partait le train des bordilles
    Donc quand le coût de dépollution d’un terrain est trop élevé pour le rendre constructible on le transforme en espace vert et on vérifie ” sa compatibilité avec son usage futur” ce qui ne veut rien dire.

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    • SN SN

      vous racontez n’importe quoi
      compte tenu de la valeur de la charge foncière sur Marseille et en particulier sur ce périmètre en devenir l’aménageur pouvait tout à fait supporter les coûts de dépollution et vendre ensuite la charge pour y faire du bureau ou du logement il serait largement rentré dans ses frais
      le choix ici est de simplement créer un grand espace vert pour notamment, avec le prolongement sur le parc des aygalades (le devenir de la gare du canet) gérer l’impact des ilots de chaleur
      je vous invite d’ailleurs à trouver l’étude réalisée par météo France et qui mesure précisément l’impact de ce parc sur ces ilots de chaleur
      ces éléments sont dans le plan guide présenté par euroméditerranée, aménageur d’Etat, il y a plus de 10 ans déjà
      donc ce choix n’est certainement pas piloté par le coût de dépollution puisque le niveau de pollution par définition ne peut être connu avant les premiers sondages, alors que le choix d’un parc a été réalisé il y a 10ans !!

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  2. Dark Vador Dark Vador

    Une question me taraude : les terres trop polluées seront enlevées et évacuées… Où? Dans quelle(s) décharge(s)? Quand on connaît le “soucis” de ceux qui les gèrent (coucou Guerrini) il y a de quoi se faire du mauvais sang…

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  3. vékiya vékiya

    entre arbres pollués et pas d’arbres du tout, il faut choisir. l’aménageur pourrait faire comme le nouvel échangeur, rond point “capitaine gueze” : on met du bitume de partout et c’est bon.

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    • Andre Andre

      Normal! Le service voirie et circulation de la Métropole ont pour mission de goudronner et non pas de planter des arbres. C’est ainsi que ça marche…
      La Communauté urbaine puis la Métropole ne se sont jamais dotées d’un service d’aménagement urbain contrairement à l’ancienne administration municipale.

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  4. LOU GABIAN LOU GABIAN

    C est pas grave au pays des pauvres

    Les quartiers nord c ‘étaient des zones d’usine en tous genres, avec des taudis autour pour loger les travailleurs étrangers…..

    Tout est pollués même les nappes d’eau…

    BOn on construit dessus, mieux vaux ne pas habiter au rez de chaussée ou au 1er

    Merci Gaston et jean Claude

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    • Patafanari Patafanari

      Légèrement faux. Les quartiers nord, selon les époques, c’était plutôt les bastides, les grandes propriétés, quelques briqueteries. Le 7° arrondissement, St Victor, St Lambert, était un quartier d’industries: Savonneries, corderies, tanneries. Les sols sont toujours bien pollués par les produits chimiques employés naguère. Quant au 9 éme arrdt.:
      « Une vingtaine d’usines étaient implantées sur le territoire du Parc national des Calanques pendant les XIXe et XXe siècles. Elles produisaient majoritairement du plomb, de la soude et du soufre, mais aussi du calcaire et du verre. Elles laissent un héritage ambivalent, entre vestiges architecturaux et résidus pollués.« Sans parler de la vallée de l’huveaune, etc, etc. Les industries étaient implantées dans toute la ville.

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  5. Alfonse Alfonse

    Merci pour cet article très intéressant qui explique la réalité du terrain et les solutions mises en œuvre.

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  6. Alceste. Alceste.

    Et Gaston et Jean Claude se sont ingeniés à vider Marseille de ses industries pour des raisons différentes, ainsi l’appauvrissement s’est mis en route avec les conséquences que nous connaissons aujourd’hui.

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  7. Andre Andre

    Des parcs dans des terrains pollués mais aussi inondables, donc non constructibles. C’est la spécialité d’Euromed.
    Ce sera le cas du parc linéaire du ruisseau des Aygalades, tout en longueur dans le lit du dit Bachas.
    Pourquoi pas? Mais a-t-on pensé à la gestion ?
    Faire des espaces ingérables n’est pas la meilleure solution en matière d’aménagement urbain. Ah mais la gestion, ce ne sera plus Euromed, ce sera la Ville!

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    • pierre-yves pierre-yves

      Très étonnant de lire tous ces avis négatifs sur ce parc.

      Oui c’est bien que les terrains soit dépollués
      Oui c’est bien d’acter que des zones sont en zone inondable
      Oui c’est bien de les transformer en parc.
      Oui c’est bien un parc avec des zones de fraicheur, des potagers, des zones de détentes et de jeux

      Que proposez vous ?

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    • Andre Andre

      Je propose qu’en toute logique urbaine, on aménage des parcs et jardins là où ils seront stratégiques et utiles, dans le cadre d’un projet d’urbanisation qui les prenne sérieusement en compte. Mais cela ne relève pas de la logique comptable qui est celle d’Euromed. A l’inverse, l’établissement public ne fait que profiter de simples opportunités foncières sur des terrains naturellement inconstructibles et pas a priori les plus pertinents de par leur localisation .
      Ensuite, qu’on transforme ces terrains en EV supplémentaires, pourquoi pas, à condition qu’on sache les gérer, ce qui n’est pas gagné!

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    • SN SN

      justement l’objet du parc est avant tout de réaliser un ouvrage hydraulique pour gérer les risques d’inondation sur une zone en PPRI rouge ; ce parc sera un lieu de destination pour les résidents mais aussi et surtout une éponge géante qui permettra de gérer les risques d’inondations lors des phénomènes cévenoles de plus en plus fréquents ; lorsque ces pluies très importantes se produiront, le parc sera fermé quelques jours et jouera son rôle d’éponge pour éviter la saturation en aval
      quant à la gestion, pour votre gouverne, la ville qui en aura la charge est partie prenante du CA d’Euromediterranée et donc des choix réalisés
      tout ces infos sont publiques et disponibles

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  8. zebulon13 zebulon13

    Et dire qu’en lieu et place des anciens établissements Colas sur des terrains reconnus pollués, les élus veulent à marche forcée obliger des dizaines de gamins à occuper les lieux (pour empêcher les squats) d’ici l’été. Une dépollution en moins de trois mois? je n’y crois pas une seconde…….

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