À Belsunce, Manifesta expose la “belle mémoire” de la cité Bassens

Échappée
le 27 Juin 2020
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Si la biennale d'art contemporain Manifesta a repoussé son lancement pour cause de Covid, le Tiers QG, petite salle d'exposition en centre-ville, a déjà démarré sa programmation. Y sont mises en avant les "Archives invisibles" d'associations marseillaises. Ce mois-ci, la cité Bassens (15e) est mise à l'honneur.

Mosaïque réalisée par Sara Sadik à partir des archives de M.A.D.E. (Image LC)
Mosaïque réalisée par Sara Sadik à partir des archives de M.A.D.E. (Image LC)

Mosaïque réalisée par Sara Sadik à partir des archives de M.A.D.E. (Image LC)

C’est dans un petit coin de Belsunce, à la lisière de la gare Saint-Charles, que la biennale d’art contemporain Manifesta a trouvé refuge en attendant son heure. Le lieu, nommé le Tiers QG, avait ouvert en amont de l’événement d’abord programmé pour juin. L’ouverture officielle ayant été repoussée à fin août pour cause de Covid, c’est entre ces quelques baies vitrées que se joue pour le moment l’alchimie annoncée entre scène contemporaine internationale et acteurs locaux.

Lire notre entretien sur les ambitions de Manifesta pour le territoire.

Depuis décembre le Tiers QG tisse sa propre programmation. Chez Manifesta, on aime hybrider les concepts, les pratiques, brouiller les pistes. Et même si le lieu, un ancien snack aujourd’hui absorbé dans une résidence étudiante, a pour mission la médiation artistique, il vit à son propre rythme sans s’appuyer sur la programmation principale – ce qui tombe bien quand celle-ci ouvrira avec plus de deux mois de retard. Se déploient donc dans le petit local les “Archives invisibles”

Le Tiers QG, à proximité de la gare Saint-Charles. (Image Manifesta)

Trois expositions se sont succédé jusqu’ici, et à chaque fois le principe est le même : un artiste va à la rencontre d’une association marseillaise et met en scène le fond d’archives de celle-ci. Une façon de faire entrer la mémoire populaire, militante, au musée, ou plutôt, dans une biennale internationale d’art contemporain. Un grand écart qui se passe finalement, en douceur à en voir les premiers résultats. La première association à se prêter au jeu fût celle des commerçants de Belsunce.

Ont suivi les Excursionnistes marseillais, puis Hôtel du Nord. Tous, associés à un artiste contemporain confirmé et dans la plupart des cas, marseillais. “Chaque artiste a une approche différente. Pour les Excursionnistes, Gethan&myles ont proposé des objets de création, d’autres vont davantage vers des expositions didactiques, plus archivistiques”, observe Joana Monbaron, coordinatrice de la partie médiation et éducation de Manifesta.

“Ce n’est pas mon histoire, je voulais faire ça bien”

Et depuis le 12 juin et jusqu’au 11 juillet, c’est au tour de l’association M.A.D.E. in Bassens, active depuis les années 90 dans cette cité du 15e arrondissement d’abord bidonville transformée en cité d’urgence et un des premiers bastions de la lutte contre l’habitat indigne. Sara Sadik est l’artiste qui a été choisie pour dialoguer avec l’association. Actuellement résidente des ateliers municipaux de la Ville, l’artiste manie photo, vidéo et performance pour explorer en particulier ce qu’elle appelle le “beurcore”, autour de la culture des jeunes de quartiers, et souvent les codes de la masculinité qui y ont cours : virilité exacerbée, survêtement en synthétique fuselé, casquette et baskets.

Pour Le Voyage marseillais, le nom donné à l’exposition en cours au Tiers QG, Sara Sadik n’a laissé sa patte transparaître que par petite touches et laisse le foisonnement des archives photographiques prendre toute la place dans le petit lieu. “Ce qui était important pour moi, c’était de rester à ma place. Ce n’est pas mon histoire, je voulais faire ça bien”, a déclaré Sara Sadik lors de l’inauguration.

Le Voyage marseillais semble ne pas avoir d’autre prétention que celle de vouloir donner au visiteur, en quelques minutes de visite, l’impression de partager un bout de mémoire de la cité et un aperçu de son présent. Deux pans de murs sont recouverts de mosaïques de photos, en noir et blanc pour le passé lointain des premiers militants gitans et arabes de la cité, en couleurs pour les images plus récentes des fêtes de quartiers et des retrouvailles entre copains, des bons moments volontairement valorisés. Les archives dialoguent et se superposent. D’un côté, le profil d’anciens habitants en lutte dans les années 70 se détachent en noir et blanc. De l’autre, les images de la vie collective de la cité qu’ils ont voulu améliorer, les visages des générations suivantes toujours rassemblées.

La pièce d’exposition, aménagée par des étudiants de l’école d’architecture de Luminy, a été ponctué de rappels avec le décor de la cité. Une paroi est peinte du saumon crépi bien reconnaissable des cités des quartiers Nord. Devant sont apposées deux cages à poules, écho aux gallinacés qui courent entre les bâtiments de Bassens. Enfin, un journal papier a été spécialement réalisé pour l’exposition à partir d’image d’archives et de textes déjà écrits par l’association. Une façon, non pas de réécrire l’histoire mais au contraire, d’offrir aux visiteurs comme aux habitants un petit bout d’archives à emporter.

“Ne pas faire de cliché et de misérabilisme”

Pour mettre en forme le projet, Sara Sadik et Schéhérazade Ben Messaoud, fondatrice de M.A.D.E. se sont rencontrées plusieurs fois. La seconde a confié à la première son fonds de photographie amassées depuis plus de 20 ans. Et la seconde a sélectionné, organisé. Pour finir, elle a filmé sur place, notamment un échange avec des jeunes du quartier qui est projeté dans l’exposition sur la question de l’avenir, mis en contraste avec les images des ruines d’un incendie dans le quartier. Un travail d’immersion qui a dû malheureusement être écourté quand le confinement a été décidé.

Schéhérazade Ben Messaoud et Sara Sadik lors du vernissage en juin. (Image Manifesta)

Pour l’association M.A.D.E, le pari est réussi. “C’est le mot “archives” qui m’a intéressée. Un de nos axes de travail, c’est justement la mémoire, connaître son identité, savoir d’où l’on vient, indique Schéhérazade Ben Messaoud qui évoque aussi l’importance donnée à la création artistique dans sa démarche associative, fortement marquée par le travail de son propre frère, Malik Ben Messaoud. Ma première demande, c’était de ne pas faire de cliché et de misérabilisme. Son envie c’était justement de montrer des gens, vivants, et c’est ce qu’elle a fait”. La militante salue notamment la capacité de l’artiste à se faire accepter de ses interlocuteurs, qu’elle met en comparaison avec “les artistes [qui] viennent et repartent comme le font les anthropologues. Quand un artiste vient à la rencontre, s’intègre, ça donne ce qu’on peut voir aujourd’hui pour Archives invisibles”. L’exposition est aussi une occasion de contrebalancer les réguliers articles et reportages qui évoquent la cité d’abord pour les questions de pauvreté et les faits-divers liés au trafic.

Outre le fait que la participation aux Archives invisibles est rémunérée par Manifesta pour l’association, comme pour l’artiste, l’exposition est un coup de projecteur bienvenu. “Être exposé en centre-ville, ça donne une place dans l’histoire de cette ville. On utilise cette opportunité pour dire “coucou on est là, on existe”, revendique-t-elle, heureuse que les écoliers, notamment de Belsunce, qui se rendent régulièrement au Tiers QG puissent découvrir que Bassens “est une des rares cités à avoir été reconstruite sur site à Marseille parce que des gens ont dit “on a le droit nous aussi”. Pour l’inauguration, puis pour une visite particulière, des habitants de la cité ont pu investir le Tiers QG, avec même l’organisation d’un barbecue dans le jardin attenant.

La militante note néanmoins que sans la proposition de Manifesta, une telle exposition sur la mémoire de Bassens n’aurait jamais vu le jour. “Quand on me dit “une artiste qui s’appelle Sara Sadik est intéressée pour venir”, je ne peux pas dire non. Mais un projet comme le Voyage marseillais, on ne nous l’aurait pas financé si on avait été seuls à le porter. On ne nous reconnaît pas comme artistes, pourtant du talent on en a.” Les deux femmes se sont promis de maintenir le lien qu’elles ont créé, et Schéhérazade compte bien sur Sara pour continuer à offrir aux habitants de Bassens de beaux souvenirs : “Beaucoup de gens y vont et en reviennent contents. C’est un retour en arrière qui fait du bien, une belle mémoire”.

Le Tiers QG est ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h, au 57, rue Bernard du Bois (1er arrondissement). Plus d’informations ici.

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