À Aubagne, 450 000 tonnes de déchets pour transformer une carrière en espace vert ?

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le 28 Oct 2022
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Abandonnée depuis 57 ans, la carrière Borie est au cœur d'un plan de réaménagement visant à la combler par des déchets issus du BTP, avant de la renaturer. Réticent au projet, un collectif de riverains a lancé une pétition qui a déjà rassemblé plus de 31 000 signatures.

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L'ancienne carrière Borie appartient aujourd'hui à la commune d'Aubagne. (Photo Tom Bertin)

L'ancienne carrière Borie appartient aujourd'hui à la commune d'Aubagne. (Photo Tom Bertin)

Derrière les murs tagués et les quelques décharges sauvages qui jonchent les recoins de l’ancienne carrière Borie, la végétation tente peu à peu de reprendre ses droits. À l’abandon depuis 1965, ce site situé au sud-ouest d’Aubagne est aujourd’hui au cœur d’un projet de réaménagement de grande ampleur. L’objectif : combler ce gouffre de 15 mètres de haut et le remettre en état naturel. L’entreprise marseillaise Bronzo Perasso, à l’initiative du projet, a proposé à la mairie de remplir ce trou avec 450 000 tonnes des déchets inertes issus du BTP, notamment de terrassements et déconstructions. Ce chantier devrait durer entre deux à trois ans et rapporter 180 000 euros au total à la municipalité, propriétaire des lieux.

Séduite, la mairie, accompagnée de l’entreprise, a présenté le projet au comité d’intérêt de quartier (CIQ) de La Perussonne mi-septembre. “L’intérêt, c’est de sécuriser la zone. Une faille si haute, c’est dangereux et compliqué à gérer. De plus, cela permettra de limiter les nuisances sonores et les rassemblements de motards souvent signalés dans la carrière”, explique le premier adjoint Alain Rousset, délégué à l’aménagement du territoire. Cette proposition a été dans un premier temps plutôt bien accueillie par le CIQ. La plupart de ses membres se sont prononcés favorablement au moment de la présentation du projet. “Un niveau d’acceptation que je n’avais jamais vu”, note même Patrick Rolland, directeur de Bronzo Perasso. “On enlèverait une épine du pied à la mairie, car c’est une opération qui leur aurait coûté des millions. Nous, on stocke nos déchets plus près et la mairie gagne de l’argent, tout le monde y gagne !”, ajoute-t-il.

Un lieu de balade investi par les riverains

Le dossier n’avait donc plus qu’à être validé par le conseil municipal le 15 novembre, avant d’être adressé à la préfecture en vue d’obtenir l’autorisation des services de l’État. Sauf qu’entre temps, l’information s’est peu à peu diffusée dans les rues d’Aubagne et elle est loin de faire l’unanimité. En témoigne la naissance du collectif Carrière Borie, constitué de riverains réticents. “Seulement une cinquantaine de familles ont été consultées, alors que plus de 500 habitent dans le quartier !”, déplore Catherine Paradisi, l’une des membres du collectif.

Ces Aubagnais craignent l’impact écologique de ce réaménagement, via le trafic des camions (40 par jour), la poussière des déchets, l’abattage des arbres gênants… Et s’inquiètent pour leur confort de vie, au vu des risques de ruissellements et de pollution sonore. “Ce qui est malhonnête, c’est que l’entreprise présente le projet comme un réaménagement, alors que c’est juste un moyen de se débarrasser de leurs déchets”, regrette Marc Pagano, membre du collectif, habitant le quartier depuis 1968.

Un bike park y a été aménagé par des jeunes du quartier. (Photo Tom Bertin)

Il s’attriste à l’idée de voir disparaître ce lieu, que les habitants se sont peu à peu appropriés à travers les années. “Quand j’étais jeune, à la fin des années 60, je venais jouer au ballon ici”, se souvient-il. Aujourd’hui, les gens y promènent leurs chiens, les jeunes du quartiers y trainent et y font du vélo dans un bike park, qu’ils ont aménagé eux-mêmes. “C’est un endroit symbolique de l’enfance de beaucoup de jeunes du coin. C’est tout sauf une zone abandonnée. Pour nous, elle représente une certaine idée de la liberté”, insiste Jean Froissart, riverain de 24 ans, qui se souvient de la forte occupation du lieu pendant le confinement. Pour l’entreprise Bronzo Perrasso, loin de cet attachement, cette zone “est une friche industrielle, qui comporte pas mal de risques. C’est tout sauf un espace naturel protégé”.

La pétition du collectif recense 31 000 signatures

Le CIQ est finalement revenu sur ses pas en demandant à la mairie de “surseoir à ce projet” et d’organiser en urgence une réunion de quartier, dans l’objectif de garantir une consultation “ressentie par tous comme satisfaisante”, peut-on lire dans une lettre envoyée au maire le 7 octobre.

Le collectif, bien décidé à faire entendre sa voix, a lancé une pétition intitulée “NON à la transformation d’une zone naturelle protégée en décharge”. En ligne depuis le 20 octobre, elle regroupe déjà plus de 31 000 signatures. “C’est un record absolu dans l’histoire aubagnaise. Le succès incroyable de cette pétition, c’est la démonstration de l’absurdité du projet. Il doit être retiré de l’ordre du jour du conseil municipal du 15 novembre”, réclame le groupe local d’Europe Ecologie Les Verts dans un communiqué.

Bien qu’il “comprenne les inquiétudes” du collectif, Patrick Rolland, directeur de Bronzo Perasso, tente de fournir des garanties : “On est l’activité la plus contrôlée du monde industriel. Il y a une traçabilité complète des déchets qui arrivent chez nous”. En plus des contrôles de la DREAL, l’entreprise a accepté la demande du CIQ qui réclamait la création d’un comité de suivi constitué de riverains. Ils pourront, s’ils le souhaitent, se faire accompagner par des experts. Quant aux risques de nuisances sonores, Alain Rousset promet qu’“il n’y aura pas d’activité tous les jours après 17 h, le week-end et l’été”. Dans l’accord, il est également prévu que les camions, qui viendront d’une autre carrière exploitée par Bronzo Perasso à Aubagne, circulent via le camp militaire de Carpiagne, plutôt qu’en traversant la zone résidentielle.

La gestion des déchets du BTP, un “enjeu sociétal”

Ce projet s’apparente plus à un écocide qu’a une solution traitement des déchets.

David Chiousse, EELV 13 EST

Le collectif n’a pas l’intention d’accepter de compromis. “Pour nous, il n’y aura pas de garanties suffisantes. Vu la manière dont ça a été fait, on n’a pas confiance”, affirme Marc Pagano. David Chiousse, co-animateur du groupe local EELV abonde : “Ce projet s’apparente plus à un écocide qu’a une solution de traitement des déchets. 400 000 tonnes de déchets à 200 mètres à vol d’oiseau du Parc national des calanques, c’est un risque absurde. On s’y opposera avec tous les moyens légaux”, prévient-il.

Pour le directeur de Bronzo Perasso, le stockage de ces déchets représente pourtant un vrai “enjeu sociétal”, au vu des nombreuses décharges sauvages de la région. “Marseille et sa métropole produisent chaque année 1,8 millions de tonnes de déchets issus du BTP. On peut dire qu’on n’en veut pas, mais alors on en fait quoi ? Tout le monde comprend l’intérêt général, mais tout le monde préfère laisser le problème chez le voisin.” Pour tenter de trouver un consensus, une réunion entre la mairie, Bronzo Perasso et le collectif est prévue le 2 novembre, afin que Borie connaisse la suite de sa carrière.

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Commentaires

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  1. Titi du 1-3 Titi du 1-3

    C’est possible de renaturer 15 m de hauteur de gravats ? Quant à l’écocide à 200 m du parc des calanques où pratiquement toute activité humaine est autorisée, y compris la chasse……… De la mauvaise foi de chaque côté garantit une solution à la marseillaise.

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    • RML RML

      Et je comprends pas bien ce que la chasse vient faire dans l affaire?

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    • Collectif pour la carrière borie Collectif pour la carrière borie

      Non ce n’est pas possible de renaturer sur les gravats. Et sous les gravats, ils prévoient d’enterrer une vingtaine d’arbres adultes.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    C’est vraiment très louche. Les arguments mis en avant par l’entreprise et par la municipalité sonnent faux. Chacun sort les grands mots (du côté EELV “ecocide” et “200 m du parc national des calanques”= arguments excessifs inutiles). On sent bien qu’il y a juste un arrangement entre une entreprise qui veut se débarrasser des dechets du BTP à bon compte (et qui est rémunérée pour cela) et la municipalité d’Aubagne (dont on se demande quels sont les intérêts au delà de l’indemnité que versera l’entreprise). On n’y croit pas à leur soucis de la sécurité, de la tranquillité des riverains, de l’aménagement d’un espace “naturel”… par contre on voit très bien le ballet des camions, la poussière, les déchets du BTP, le bruit, et des questions sur la nature et la composition desdits déchets.

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    • Collectif pour la carrière borie Collectif pour la carrière borie

      La Mairie donne les clefs de la carrière à une entreprise privée pour 3 ans renouvelables. Les chemins vont être élargis de 2,5m à 8/10m pour l’accès des camions. 40 camions par jour, 5 jours par semaine soit 800 à 1000 camions par mois.

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  3. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Peut être aussi à l’avenir un projet de maisons en lotissement qui s’affaiserontcomme cela s’est produit ailleurs .

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  4. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Le directeur de Bronzo Perasso pose une vraie question : “Marseille et sa métropole produisent chaque année 1,8 millions de tonnes de déchets issus du BTP. On peut dire qu’on n’en veut pas, mais alors on en fait quoi ?”

    Peut-être faudrait-il que le secteur du BTP soit enfin responsabilisé sur la gestion de ces déchets, et apprenne à les recycler, plutôt que de les abandonner ici ou là dans la nature.

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    • julijo julijo

      mais c’est l’objet de l’entreprise bronzo perasso le recyclage des déchets….. alors à quoi ça rime ce besoin de déposer 450 000 tonnes.
      le recyclage permet de ré utiliser, pas d’entreposer !! si ?

      il n’est pas encore arrivé ” l’état naturel”

      est ce que ce sont les même “bronzo” qui se chargent ou se chargeaient (?) des ordures ménagères des arrondissements au nord de marseille ?
      si oui, question nature, on n’est pas sauvé !

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  5. Patafanari Patafanari

    Les carrières! Les nouvelles vaches sacrées de l’occident. Que ce soit la vieille de La Corderie à Marseille ou l’abandonnée de 57 ans d’Aubagne, dès qu’on songe à les reboucher, c’est Sacrilège!!!

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    • Regard Neutre Regard Neutre

      Le sacrilège est plutôt de vouloir déposer des matériaux sur un ancien carreau de carrière en front de taille. Cette ancienne carrière a recouvré apparemment un équilibre ajusté par le temps et la nature.
      Les anciennes carrières en excavation sont plus propices, quant à elles, à recevoir des déblais inertes ,voire des déchetteries. Follow the money …

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