À Air-Bel, les habitants se sentent exclus de la rénovation du quartier

Actualité
le 27 Oct 2022
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Alors que les premières démolitions démarrent à Air-Bel, les résidents de la cité du 11e arrondissement disent leurs doutes et leur sentiment d'être écartés de la réflexion sur son devenir.

Début des travaux de rénovation urbaine à Air-Bel (11e) en octobre 2022. (Photo C.By.)
Début des travaux de rénovation urbaine à Air-Bel (11e) en octobre 2022. (Photo C.By.)

Début des travaux de rénovation urbaine à Air-Bel (11e) en octobre 2022. (Photo C.By.)

La mâchoire mécanique se referme sur la bordure du toit et arrache un lourd pan de béton. Fracas, poussière, décombres. Air-Bel, cité de 6 000 résidents du 11e arrondissement,  connaît depuis le début de la semaine le ballet des engins de travaux. Les premières démolitions d’immeubles – déconstruction dans le jargon lissé du renouvellement urbain –  ont commencé ce lundi 24 octobre. Signe tangible du démarrage du vaste chantier de rénovation qui doit la transformer. Ici, 853 logements vont être réhabilités et 209 démolis pour un coût global de 120 millions d’euros porté à 60 % par les bailleurs sociaux (Erilia, Unicil, Logirem) et à 40% par les collectivités.

Une inauguration officielle du début des travaux a été initiée à la hâte par Samia Ghali, maire adjointe divers gauche en charge de la relation avec lʼAgence nationale de rénovation urbaine (Anru). Outre l’adjointe, il y a là le préfet à l’égalité des chances Laurent Carrié, le maire divers droite du secteur Sylvain Souvestre, le directeur général du bailleur social Unicil Eric Pinatel, le conseiller départemental Thierry Santelli et beaucoup de représentants d’institutions. Mais qu’une petite poignée d’habitants. Dans son local au pied de l’immeuble 37, Djamila Haouache, présidente de l’association de locataires Il fait bon vivre dans ma cité, fulmine : “C’est normal, on a reçu l’invitation samedi dans la journée pour lundi. Vous croyez quoi, qu’ils ne travaillent pas les gens d’ici ? Qu’ils sont disponibles en permanence  ?”

“Notre cadre de vie”

L’anecdote n’a l’air de rien. Elle en dit beaucoup pourtant. À balader dans Air-Bel une fois que les élus et les émissaires des bailleurs ont quitté les lieux, c’est l’amertume qui prédomine. La rénovation urbaine ? Pourquoi pas, mais pas en laissant de côté les résidents, disent les principaux intéressés. “C’est quand même de notre cadre de vie qu’il s’agit”, souligne Yamila, croisée devant le centre médical.

Nordine Sahnoun, fondateur du Ring Club Valley, le club de boxe d’Air-Bel (11e). (Photo C.By.)

Au rez-de-chaussée d’un immeuble prochainement rasé, Nordine Sahnoun encourage quatre gamins réunis sur un ring. “Un coup droit, un crochet  !”, ordonne le fondateur du Ring Club Valley, le club de boxe qui a vu passer des centaines d’habitants d’Air-Bel en 30 ans d’activité. Le quinqua couve du regard les 300 mètres carrés de la salle. À côté d’un cliché du célèbre boxeur Marcel Cerdan et d’une photo du rappeur Naps tout minot s’étale l’impressionnant palmarès de cette institution locale.

Ils sont arrivés comme le Père Noël en nous disant “qu’est-ce que vous désirez ?” Moi si tu me dis qu’une salle de 1000 mètres carrés c’est possible, je ne vais pas dire non !

Nordine Sahnoun

Celui que tous ici appellent Noré ne craint pas que le club disparaisse corps et bien dans la rénovation urbaine. Mais il ne sait pas comment va s’écrire son futur : “Avant le début des travaux, il y a eu la concertation. Des jeunes de groupes d’études sont venus. Ils sont arrivés comme le Père Noël en nous disant qu’est-ce que vous désirez  ? Moi si tu me dis qu’une salle de 1000 mètres carrés c’est possible, je ne vais pas dire non  ! Mais après je me suis fait allumer dans une réunion avec les institutions. Et on en est resté là.”

Aucune garantie

Le bruit mat des gants contre les sacs de sable ponctue la conversation. Nordine Sahnoun sait que le bâtiment d’un étage qu’il occupe sera grignoté d’ici à un an. Et après ? Il lève les mains au ciel. “Le préfet et Samia Ghali sont favorables à une relocalisation. Leur discours est rassurant, mais je n’ai aucune garantie.” Une pause et un sourire en coin : “Que la parole des élus.”  À Air-Bel, les clubs de sport, comme les commerces et les services publics ne sont pas légion. Raison pour laquelle Samia Ghali promet “que chaque équipement sera repositionné là où on peut le mettre.”

Djamila Haouache, présidente de l’association “Il fait bon vivre dans ma cité”, à Air-Bel (11e). (Photo C.By.)

L’incertitude baigne également les échanges dans le petit local de l’association de locataires Il fait bon vivre dans ma cité. Un homme au crâne glabre interpelle Djamila Haouache : “Et le centre médical, il tombe  ? Et la pharmacie, elle va où ?” Maxime, fonctionnaire hospitalier vit là depuis des années, pourtant, assure-t-il, il ne se sent pas suffisamment au fait du chantier qui démarre. Bien sûr, il a vu collées çà et là les affichettes qui surlignent de rouge les édifices bientôt déconstruits. “Mais je trouve qu’on ne nous demande pas notre avis. La concertation, c’est une mascarade.” À ses côtés Djamila abonde : “Oui il y a eu des ateliers. Ils ont pris les doléances et avec ils ont fait une grosse salade qu’ils ont oubliée quelque part.”

S’il y a des choses qui ne conviennent pas on les modifiera. On va construire le projet ensemble.

Samia Ghali

Lundi, alors que la pince mécanique s’apprêtait à croquer le béton, Samia Ghali promettait que rien ne se ferait sans l’aval des résidents d’Air-Bel : “Ce n’est que le démarrage. S’il y a des choses qui ne conviennent pas, on les modifiera. On va construire le projet ensemble. Nous allons mettre en place des comités de suivi.” La promesse, rituelle lors des opérations de cette envergure, laisse les acteurs sociaux dubitatifs. “On ne place pas les habitants au cœur des réflexions alors que ce sont des préoccupations qui les touchent en premier lieu. Leur expertise est écartée”, regrette Karima Berriche du Syndicat des quartiers populaires de Marseille.

“Je me retire de tout ça”

En tant que représentante associative très impliquée dans la vie du quartier, Djamila fait partie des interlocuteurs conviés depuis des mois aux réunions où siègent la Ville, l’État, la métropole et les bailleurs. Assise derrière son bureau, cigarette à la main et œil furibard, elle ne décolère pas, prête à jeter l’éponge : “Je me retire de tout ça  ! Parce que nous les associations, on fait le lien entre ceux qui font le projet et les habitants. Mais comme on n’est pas entendus, à la fin qui c’est qui va morfler  ? Nous.”

Dans le local associatif, les locataires défilent. Zohra et Yamina, tout aussi remontées, détaillent les manquements des bailleurs dans l’entretien courant qu’ils devraient assurer dans la résidence. Ici les huisseries neuves qui cassent, là les réparations de plomberie jamais achevées malgré la très épineuse problématique de la légionellose. “Et vous voulez qu’on leur fasse confiance pour mener la rénovation du quartier  ?”, pique Djamila. Zohra s’irrite du devenir flou de la cité : “Pas un courrier pour nous expliquer vraiment. Ils nous prennent pour des illettrés. Ils arrivent et ils disent : Nous, on fait les travaux et vous, vous fermez vos gueules  !” Morad ne sait pas quand son immeuble, le 38, sera détruit, ni comment il sera relogé. Le quadra dit attendre une “grande réunion officielle” associant la population et les décideurs pour tout éclaircir. Vu l’ambiance qui règne dans le local, la rencontre risque d’être électrique.

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Commentaires

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  1. marseillais marseillais

    Dénoncer l’absence de concertation, c’est juste, mais il est surprenant qu’une (talentueuse) journaliste limite son enquête à la seule des deux associations de locataires d’Air Bel. Pourtant, l’autre, association l’Amicale des locataires, est très engagée dans ce combat et aurait eu son mot à dire.

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    • Coralie Bonnefoy Coralie Bonnefoy

      D’abord, merci de nous lire et de réagir à nos articles. Pour ce qui est de votre remarque, nous avons bien sûr sollicité l’Amicale qui malheureusement n’a pas pu donner suite à notre demande dans les délais impartis à la publication de ce reportage.

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  2. Bentouch Bentouch

    C’est de la concertation ou du clientélisme ?

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  3. Dark Vador Dark Vador

    Présent aussi “le conseiller départemental Thierry Santelli”, celui-là même qui possédait un logement insalubre loué à de pauvres gens. Invité en tant qu’expert” certainement…

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  4. BRASILIA8 BRASILIA8

    Samia Ghali promet “que chaque équipement sera repositionné là où on peut le mettre.”
    Voilà une promesse qui n’engage à rien , remarque type d’une pro de la politique
    A qui veut on faire croire que les travaux ont commencé sans plan de masse ( obligatoire pour le permis de construire) et sans connaitre l’affectation des bâtiments !

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