MARSEILLE : UN MARCHÉ MÉDITERRANÉEN (2)
Poursuivons le regard entrepris la semaine dernière sur le marché à Marseille.
La ville s’est construite avec les marchés
Même si, comme nous l’avons vu, les marchés et leur histoire sont parallèles à ceux des villes et ne se confondent pas avec elles, c’est autour des marches que les villes se sont construites. L’histoire des villes est celle des marchés. C’est ainsi que l’histoire de Marseille naît avec celle des échanges mis en œuvre par les Grecs venus de Phocée. Deux histoires vont, finalement, se dérouler ensemble et parallèlement l’une à l’autre, celle de la cité et celle des marchés. L’histoire de la ville, comme on peut s’en rendre compte avec l’aménagement des vestiges de la cité grecque à côté de la Bourse et du Centre Bourse, se déroule le long de l’histoire des marchés. Partie du lieu occupé aujourd’hui par le Centre Bourse, qui est celui de l’agora phocéenne, l’histoire de Marseille se poursuit avec les marchés dont on peut avoir la trace derrière le quartier de l’Hôtel de Ville, puis avec les marchés aménagés au Moyen Âge, au dix-septième siècle, pour aboutir aux moments contemporains, au XIXème siècle et au XXème. Dans tous ces moments de son histoire, on peut retrouver et lire le temps des activités commerciales se déroulant dans les marchés. On peut, notamment, trouver une trace de l’histoire de la ville dans l’apport de la colonisation en Afrique du Nord dans les activités des marchés, au XIXème siècle et à notre époque. Tant les marchands que les marchandises qu’ils proposent sont des expressions de la place importante de la colonisation et de la décolonisation dans l’histoire de la ville.
Marché légitime et marché illégitime
À Marseille comme ailleurs, il a toujours existé deux marchés, l’un, légitime, celui des marchés proposant des biens et des échanges conformes à la loi et à la morale, notamment dans le domaine de l’alimentation, du vêtement ou du bricolage, et l’autre, illégitime, non reconnu par la loi voire condamné par elle, le marché de la transgression, qui propose des marchandises servant à des activités clandestines – je pense, notamment, au marché clandestin des stupéfiants ou à celui des biens issus des trafics des douanes ou à ce que l’on appelle des biens « tombés des camions ». Cette partition entre deux sortes de marché ne fait que refléter dans le domaine des échanges l’opposition classique de la loi et de la transgression. Au-delà des marchés eux-mêmes, c’est ainsi toute une économie parallèle qui s’instaure dans l’économie de la ville. On peut dire que l’économie de la ville, à Marseille, repose sur la confrontation entre ces deux marchés. Si l’économie marseillaise est bien une économie politique, c’est qu’elle consiste dans l’articulation de ces deux marchés ou de ces deux économies, l’une dont on peut parler, qui a un nom et des acteurs reconnus, et l’autre clandestine, qui échappe au langage et aux mots du lexique du marché. L’histoire de Marseille repose en grande partie sur la coexistence de ces deux marchés, celui de la visibilité des halles et de la rue et celui de l’économie souterraine des échanges et des produits illicites.
Le marché : une vie urbaine particulière
La vie de la ville, celle qui consiste dans les événements, dans la vie des habitantes et des habitants, est l’histoire des relations entre les habitants et entre les habitants et leur espace. Dans cette histoire de la vie urbaine, le marché est le domaine d’une vie particulière et a une histoire propre. D’abord, il existe une rhétorique et un vocabulaire propres à la communication et aux échanges qui se déroulent dans les marchés. La façon de s’exprimer et le lexique des marchés ne se confondent pas avec ceux des autres habitants de la ville. Mais, surtout, on pourrait dire que le marché est une sorte de théâtre de la ville : il met en scène dans son espace celles et ceux qui vivent dans la ville et leurs pratiques ordinaires de l’a société urbaine. Cette vie urbaine propre au marché est une représentation de la vie de la ville, elle la représente, d’une manière plus intense. C’est ainsi que nos deux exemples, celui de Noailles et celui de la Plaine, sont des aperçus de la vie de Marseille. En assistant au spectacle qu’ils nous donnent, on peut assister à une représentation de la vie propre de Marseille, notamment à trois points de vue : le théâtre du marché se joue sur la scène de la rue, les produits proposés dans les marchés représentent la dimension méditerranéenne de la ville, en particulier dans l’alimentation et dans les vêtements, et, enfin, la scène du marché manifeste la dimension imprévisible de la vie urbaine, mise en scène dans l’imprévisibilité des marchés et leur absence d’ordre dans l’aménagement.
Le marché dans l’urbanisme et dans les plans d’aménagement
C’est pour cette raison que je me propose de terminer ce premier tour d’horizon des marchés marseillais par un regard sur le place qu’ils occupent dans les politiques d’urbanisme et d’aménagement. D’abord, on peut noter que c’est autour des lieux de marchés que la ville s’est construite et que son espace s’est transformé au fil du temps. Les lieux de marché comme la Plaine, Noailles ou Gèze représentent des étapes successives dans l’histoire de la ville, mais, en même temps, ces lieux situent l’urbanisme de la ville dans l’aménagement de la ville. Par ailleurs, on peut noter que les deux grands axes de la ville, l’axe Est-Ouest, celui de la Canebière, et l’axe Nord-Sud, celui de rue Paradis, de la rue Saint-Ferréol, sont ceux des magasins et des activités commerciales : ceux des « marchés en dur ». Les marchés proprement dits sont, en quelque sorte, les noyaux de l’histoire des aménagements de la ville, comme à la Plaine ou à Noailles. Surtout, on peut comprendre que l’espace du marché populaire est un espace qui échappe aux plans et aux projets : il s’agit de la vie urbaine en ce qu’elle résiste aux politiques toutes faites et imposées d’en haut par les dirigeants. Les marchés ordonnés et tout construits comme ceux des centres commerciaux ne sont pas les véritables marchés, ne serait-ce que parce qu’ils sont clos. La leçon des marchés est là : ce sont les marchés ouverts qui donnent sa vie et sa vitalité à la ville. Surtout, la vie des marchés manifeste, en particulier à Marseille, la différence entre deux villes : celle des élites et des pouvoirs et celle du peuple qui fait vivre pleinement la ville. L’identité politique de Marseille est là : dans cette confrontation entre la ville imposée par les pouvoirs dans leurs plans et dans leurs prévisions économiques de construction et d’aménagement et la ville née de ses habitantes et de ses habitants, celle de la mobilité, de la rencontre et de la parole, celle, justement, qui est pleinement imprévisible.
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