Guillaume Origoni vous présente
Les fantômes de l'hôpital

[Les fantômes de l’hôpital] Le Crocodile Dundee de Sainte-Marguerite

Chronique
le 25 Jan 2025
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Après "Marseille secret", le photographe et journaliste Guillaume Origoni lance une nouvelle chronique dans les hôpitaux de la ville. Il y traque les histoires de revenants. Cela commence avec une silhouette au chapeau à Sainte-Marguerite.

Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas
Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas

Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas

Nathalie est franco-libanaise. Cette infirmière d’une cinquantaine d’années exerce dans l’un des grands hôpitaux de l’AP-HM. Le caractère affirmé et le verbe haut, elle pose les conditions de l’entretien : “Vous vous débrouillez comme vous voulez, mais je ne veux pas de photos et aucun élément qui me rende identifiable. On me prend déjà pour une originale dans le service, si en plus on apprend que j’ai vu un fantôme…”

Nathalie résume bien la difficulté qui pèse sur cette nouvelle série de chroniques. En effet, comment recueillir des témoignages sur les récits qui circulent dans les établissements de soins du département tout en se tenant à bonne distance d’une ironie qui ne dit pas son nom, mais aussi d’un sensationnalisme bon marché ?

Accordons-nous donc préalablement sur quelques points importants pour réaliser cet exercice délicat. Tout d’abord, pour le sujet qui vit une expérience, même si elle confine au surnaturel, celle-ci n’en relève pas moins de sa réalité. Ensuite, il semble important d’accepter que la constitution des récits et légendes peuvent suffire à produire un intérêt tant pour moi que — j’espère — pour vous. Enfin, je vous propose d’aborder le récit de Nathalie et ceux qui suivront en se débarrassant tout de suite des questions liées aux croyances.

Pour plus de clarté, je ne crois personnellement pas aux phénomènes surnaturels. Nathalie non plus, d’ailleurs. Mais notre positionnement vis-à-vis des histoires qui circulent dans les services n’a aucune importance. Ce qui en a, par contre, c’est d’accepter que nous sommes tous ontologiquement et anthropologiquement enclins à produire nos propres légendes. Écoutons donc celle de Nathalie.

“Peut-être que les fantômes passent par là ?” Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas

Accroche-toi, cher lecteur, car cette histoire est à la fois drôle et intrigante.

La mémoire des murs et les tripes de l’hôpital

“Lorsque j’arrive à l’hôpital Sainte-Marguerite en 2016 [Nathalie n’exerce plus dans cet hôpital depuis plusieurs années], je m’intègre assez rapidement en circulant entre les services. Un peu comme une sentinelle, j’ai rapidement pris l’habitude de faire mon « tour de garde » autour du bâtiment historique. Cette déambulation, c’est un peu mon petit rituel. De cette façon, je m’approprie la configuration du complexe hospitalier et je m’imprègne de son histoire.”

Pour Nathalie, les hôpitaux sont des lieux à la fois au cœur de la société et en dehors du commun : “Il y a sans aucun doute possible une coupure avec le monde extérieur. Ici, les règles sociales sont parfois abolies, on va à l’essentiel, on est dans le dur et en même temps, c’est un lieu de souffrance et de mort et c’est peut-être pourquoi le personnel soignant est plutôt superstitieux.” Elle marque une pause, puis poursuit : “En tout cas, les aides soignantes et les infirmières le sont souvent, les médecins s’expriment rarement sur ces sujets, vraisemblablement par crainte de se voir affublés du qualitatif de dingo qui pourrait leur nuire.

Les backrooms nocturnes. Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas

Nathalie a raison, les couloirs d’hôpitaux s’apparentent, surtout lorsque la nuit est avancée, aux backrooms chers à la culture geek. Ces alignements fonctionnels, débarrassés du bourdonnement diurne, possèdent le pouvoir de rendre palpable le concept de dystopie et génèrent une légère inquiétude qui se transforme littéralement en crainte lorsque l’on arpente ses parties cachées. Réseaux souterrains, toiles d’araignée, néons blafards qui se dérobent aux yeux de l’impétrant. Les intestins de l’hôpital sont pourtant en mouvement constant.

Peut-être que les fantômes passent par là ? C’est même très probable. Je connaissais naguère un homme qui travaillait dans ce réseau souterrain, loin de la surface et des couloirs éclairés. Dominique m’expliquait alors qu’il avait toujours un réel malaise lorsqu’il traversait, à l’heure du loup, ces interminables boyaux. Il répondait d’ailleurs à cette angoisse avec ses propres grigris, “un poing américain sur la main droite et un autre sur la main gauche“. Boxeur ambidextre, Dominique avait recours à ses propres doudous pour affronter un cerveau générateur de ses propres récits.

Les créatures qui prolifèrent dans les tripes de l’hôpital. Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas.

Pour Nathalie, par contre, pas de matraque, de gazeuse ou autres joujoux dont le port est prohibé, lorsqu’elle circulait dans les allées et les couloirs de Sainte-Marguerite, “Je n’ai jamais eu peur, ni d’une agression potentielle, ni d’une rencontre étrange. Il faut dire que dans nos métiers, on est quand même blindés émotionnellement.

Quelle drôle de dégaine !

Un soir d’hiver, alors que le soleil a déjà disparu depuis plusieurs heures et que seul l’éclairage au sodium déchire l’obscurité, Nathalie fait son habituel “tour de garde“. Il n’y a pas grand monde, voire personne. Seul le mistral assure le sound design de cette scène qui aurait ravi David Lynch.

Les sentiers du fantôme de Sainte. Photo : Guillaume Origoni Agence Hans Lucas.

Entre deux allées, Nathalie croise un homme. Elle le trouve marrant avec son “chapeau à la Crocodile Dundee et son gilet multipoche semblable à celui des explorateurs ou des vieux reporters“. L’échange est assez bref et anodin, typique d’une communication que les linguistes définissent comme fonctionnelle, c’est-à-dire dont la finalité n’est pas l’échange d’informations, mais la volonté de deux sujets de faire société, de se reconnaître comme étant membres de la communauté humaine.

“Quelle drôle de dégaine !”, pense Nathalie lorsque la discussion cesse. En poursuivant son chemin, elle jette un dernier coup d’œil en arrière et constate que le Crocodile Dundee de “Sainte” a été aspiré par la nuit après être passé sous la lueur du réverbère. Dans les semaines qui suivent, elle oublie cette rencontre, somme toute assez banale.

: “elle jette un dernier coup d’œil en arrière et constate que le Crocodile Dundee de
“Sainte” a été aspiré par la nuit après être passé sous la lueur du réverbère.” Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas.

Quelques mois plus tard, Noël approche et draine avec lui la bonne humeur et le désir de se rapprocher. Entre les différents services, les occasions de boire un coup et de partager des sucreries se multiplient. Nathalie est donc conviée à l’une de ces fêtes improvisées par ses collègues du service psy. On se détend “à cinq ou six autour de la table. Les plaisanteries et les vannes fusent. À ce moment-là, on est simplement bien ensemble“, explique Nathalie.

Est-ce cette harmonie temporaire qui facilite les confidences ?  Peut-être. En tout cas, les collègues de Nathalie “se lâchent” et avec malice lui font part d’un secret qui à cet instant fait office de rite d’affiliation.

Les copains se regardent et je vois bien dans leur attitude qu’ils se consultent en silence. L’un d’eux prend alors la parole suite à l’approbation silencieuse de tous”, raconte Nathalie, avant de poursuivre son récit :

– Il faut que l’on te mette au courant, tu es des nôtres maintenant.

– Au courant de quoi ?, répond-elle mi-intriguée, mi-amusée.

Son interlocuteur ménage un peu son effet, puis s’explique :

–   Il y a un fantôme dans l’hôpital !

 –    Ah bon ?!, lâche Nathalie, étonnée.

–  Oui, nous sommes plusieurs à l’avoir vu dans les couloirs ou à l’extérieur entre le bâtiment historique et le service psy.

De plus en plus captivée, Nathalie attend avec impatience la suite du récit, car l’espace “entre le bâtiment historique et le service psy“, c’est aussi le mini-territoire constituant son “tour de garde“. La suite arrive et laisse Nathalie sans voix : “Le fantôme de “Sainte”, c’est un homme et tu vas croire qu’on délire, mais il ressemble un peu à Crocodile Dundee, avec son chapeau et son gilet. Tu as vu le film ?”

: Le vestiaire clandestin du fantôme de “Sainte” ? Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas.

Un ange passe, puis la réponse de Nathalie fuse : “Non seulement j’ai vu le film, mais je lui ai parlé, moi, à cet homme !

La révélation de Nathalie ne soulève aucune incrédulité. Bien au contraire, elle précipite la curiosité de son auditoire : “Ah bon ? Mais quand ? Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?

– “Je ne sais plus exactement, en novembre, je crois. Il a demandé son chemin, c’était bref. Je me souviens très bien de son chapeau et de son gilet…”

Les sourires entendus circulent autour de la table, un peu comme pour dire que “plus on est de fous, plus on voit, mais plus on est de fous, plus on croit”.

Cependant, cher lecteur, puisqu’il est question de croyance, je te demande à mon tour de me croire sur parole. Personne n’est fou, ni Nathalie, ni ses collègues, pas plus que moi ou toi qui as déjà vraisemblablement compris que les fantômes existent. Ils prennent naissance dans nos pratiques, nos rites, nos bricolages culturels et cognitifs. Ils viennent aussi du fond des âges et d’un héritage que ni la modernité, ni la technologie n’ont effacé. Une culture orale archaïque et tribale qui élabore ses propres réalités. Le vrai mystère reste de savoir à quoi servent ces réalités.

Je te le promets, dans les chroniques futures, je te raconterai d’autres histoires de fantômes et de chambres maudites qui hantent les services des hôpitaux et ensemble, nous explorerons les fonctions sociales de ces réalités ancestrales. En attendant, si tu crois que j’invente tout, va donc conduire tes propres enquêtes sur le fantôme de “Sainte” et tu verras qu’il est toujours présent dans les esprits…

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