Narcotrafic : à Marseille, deux ministres et un plan renvoyé à plus tard

Actualité
le 8 Nov 2024
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Les ministres de la Justice et de l'Intérieur, Didier Migaud et Bruno Retailleau, ont profité de leur première visite à Marseille pour présenter leur plan contre la criminalité organisée. Celui-ci s'appuie en grande partie sur une future loi, prévue à l'agenda parlementaire en 2025.

Didier Migaud et Bruno Retailleau à Marseille, le 8 novembre 2024. (Photo : CMB)
Didier Migaud et Bruno Retailleau à Marseille, le 8 novembre 2024. (Photo : CMB)

Didier Migaud et Bruno Retailleau à Marseille, le 8 novembre 2024. (Photo : CMB)

Pour leur premier déplacement à Marseille le 8 novembre, le garde des Sceaux Didier Migaud et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau ont choisi de ne pas aller sur le terrain. Au programme : entretien avec Benoît Payan, prison des Baumettes, tribunal judiciaire, commissariat Nord et Évêché, commissariat central. Ainsi qu’un point presse en préfecture, qui a permis aux deux ministres de présenter leur nouveau plan de lutte contre la criminalité organisée. Un plan national aux contours flous, dans l’immédiat du moins.

La raison ? Une loi dédiée se prépare pour l’année 2025. Le texte arrive au Sénat le 27 janvier prochain. Il est pensé à partir de la proposition de loi qui a émané du rapport sénatorial sur le narcotrafic, publié en mai dernier et qui prévoit de nombreuses évolutions. Avec la crainte, relayée notamment par le syndicat de la magistrature ce vendredi dans un communiqué, de créer un “régime d’exception”. La comparaison entre narcotrafic et terrorisme est désormais assumée. Elle a été martelée à plusieurs reprises ce vendredi par les ministres.

Juste avant la conférence de presse, les deux hommes ont rencontré des familles de victimes. Une séquence apparemment touchante, faite “d’émotions intenses”, qui a inspiré un petit discours introductif à Didier Migaud. Avant d’entrer dans le dur du sujet. “Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour conjurer le sort et prouver qu’il n’y a pas de fatalité”, entame le garde des Sceaux. Selon ce dernier, le combat contre la criminalité “doit se faire à armes égales”, ce qui justifie une augmentation significative des moyens de la force publique. Un combat qui doit se tenir “dans le cadre de l’État de droit. Mais notre législation doit évoluer”, précise-t-il.

Justice spéciale

Comme annoncé dans La Provence le 8 novembre au matin, Didier Migaud a réitéré sa volonté de mettre sur pieds une “DEA [Drug Enforcement Administration, agence fédérale américaine, ndlr] à la française”, qui passerait par la création d’un parquet national dédié. Reprenant la proposition formulée plusieurs fois par le procureur de Marseille Nicolas Bessone, le garde des Sceaux souhaite aussi créer un statut de “collaborateur de justice”, qui serait plus large que le statut, existant, de repenti.

Côté répression, le ministre pense à relever les sanctions maximales existantes et plaide pour la création de nouvelles infractions, notamment celle d’association de malfaiteurs au niveau criminel. Pour l’heure, l’association de malfaiteurs est un délit passible de maximum dix ans de prison. La criminalité organisée pourrait aussi être jugée par des cours d’assises spéciales, où les jurés sont exclusivement des magistrats professionnels. Seuls les crimes terroristes connaissent ce régime pour l’heure.

La future loi devrait mettre l’accent sur la répression financière qui, selon l’expression désormais consacrée, permettrait de “frapper les criminels au portefeuille”. Enfin, la justice des mineurs pourrait aussi être durcie, pour “mettre un terme à l’idée reçue que minorité est égale à impunité”. Le jugement en comparution immédiate pourrait désormais être étendu aux mineurs dès 16 ans.

Voilà pour les projections. Dans l’immédiat, le garde des Sceaux a promis des moyens supplémentaires. Parmi eux : renforcer les JIRS, les juridictions inter-régionales spécialisées, sans préciser lesquelles. Ce sont ces dernières qui sont chargées de la majorité des dossiers de criminalité organisée. Les magistrats marseillais ont souvent alerté sur leurs manques de moyens. La JIRS Sud-Est, basée à Marseille, couvre tout le bassin méditerranéen de Perpignan à Nice, en passant par la Corse. Les renforts promis ce vendredi n’ont cependant pas été détaillés ni chiffrés.

Dans l’immédiat toujours, le garde des Sceaux annonce dévoiler un “grand plan anti-corruption” dans les semaines qui viennent. Il veut aussi créer des “campagnes choc” à destination des consommateurs de drogues, systématiser les enquêtes financières, installer un magistrat de liaison à Bogota (deuxième du genre après Dubaï), créer des quartiers spécifiques en prison… Et ne “pas oublier les victimes” ni les associations qui les représentent.

Priorité à l’enquête

Son homologue de l’Intérieur enchaine. “Pour moi, nous avons atteint un point de bascule”, estime Bruno Retailleau. Le ministre reprend la métaphore elle aussi consacrée de la “pieuvre à tentacules” qui, “souvent à partir de Marseille”, s’étendrait partout en France. La comparaison avec le terrorisme ? “Je l’ai souvent employée.” Il y a “la sauvagerie et la violence, bien sûr”, mais aussi, selon le ministre, “le risque existentiel contre notre démocratie”.

Face à cela et contrairement à son prédécesseur, Bruno Retailleau n’a pas évoqué une seule fois l’action policière de terrain. Au menu, pas d’opérations “place nette”, ni classiques ni XXL, et place aux services d’enquêtes, qu’il faut renforcer et, surtout, mieux coordonner. “On a d’un côté, des réseaux pyramidaux, et de l’autre, un État et des services qui fonctionnent en silo”, résume-t-il, avant de proposer une refonte de l’Ofast, l’office anti-stupéfiants, qui n’a que cinq ans d’existence.

La future loi devrait permettre aussi, selon lui, de créer des “coffres-forts” au sein des procédures, qui empêcheraient les mis en cause d’avoir accès à certaines informations, dont les identités des collaborateurs de justice, des enquêteurs, et certaines de leurs techniques d’investigation. Le délai légal de garde à vue pourrait passer de 48 à 96 heures. Lui aussi veut mettre l’accent sur la répression financière en créant une injonction de justification de revenus (“Tu roules en grosse cylindrée ? Très bien, donne-nous des preuves que tu as l’argent”). Au risque de tout mélanger et de mettre dans la même phrase les trafiquants du haut du spectre, “les commerçants véreux” et les petits délinquants, dont les familles pourraient se voir privées d’allocations.

Deux chiffres ont été annoncés en fin de conférence : 25 enquêteurs supplémentaires seront affectés à Marseille, 96 agents viendront renforcer les effectifs de voie publique. Un “plan anti-stupéfiants” sera prochainement annoncé. Avant la loi de 2025.

Suite à ces annonces, le Parti socialiste a organisé une conférence de presse dans l’après-midi. Parmi ses membres présents : l’adjoint à la sécurité Yannick Ohanessian, la sénatrice Marie-Arlette Carlotti, le député aixois Marc Pena et Jérôme Durand, sénateur de Saône-et-Loire et rapporteur de l’enquête parlementaire sur le narcotrafic. Ces derniers ont critiqué, entre autres, le volet répressif des annonces, notamment concernant les consommateurs, et questionné le rôle de Bercy dans le volet financier de la lutte. De quoi promettre des débats parlementaires, mais sans contredire Bruno Retailleau, qui a conclu de cette phrase : “Je suis certain qu’à l’Assemblée, le texte trouvera une majorité.” Reste à savoir à quel prix, et comment le texte en question sera reçu à Marseille.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    mouais, bon.
    il semble que volonté soit affichée de faire en sorte de taper au vrai centre du porblème : l’argent.

    il faudra maintenant que ce soit suivi d’effets.
    et ça c’est pas gagné.
    les propositions sont intéressantes, mais restent floues.

    dans l’attente.

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  2. Gentiane Gentiane

    Philippe Pujol doit être dépité, ses jeunes “cramés” et leurs familles ne sont pas prêts de sortir de l’enfer …
    Pas de volet social, pas de volet santé … Le mot “prévention” a disparu des politiques publiques ?
    Rien de prévu pour éviter que ces jeunes , gse fassent happer par le grand banditisme,

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  3. Gentiane Gentiane

    Philippe Pujol doit être dépité, ses jeunes “cramés” et leurs familles ne sont pas prêts de sortir de l’enfer …
    Pas de volet social, pas de volet santé … Le mot “prévention” a disparu des politiques publiques ? A quand un “grand plan anti-misère sociale “?!
    Rien de prévu pour éviter que ces jeunes se fassent happer par le grand banditisme… et puissent se reconstruire s’ils veulent en sortir.
    Et rien non plus sur la santé mentale , notamment concernant les consommateurs. Peut-on parler de lutte contre le narco trafic sans regarder en face le sujet des addictions ?

    Bien sûr, chacun est responsable de ses actes, et tout délit doit être puni, tant mieux si la police et la justice ont plus de moyens. Mais sans prendre en compte les différentes dimensions de la situation, ces nouvelles déclarations de nouveaux ministres rejoindront rapidement celles de leurs prédécesseurs.

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    • Marc13016 Marc13016

      +1
      Bon, le duo des deux ministres ont quand même parlé de “créer des “campagnes choc” à destination des consommateurs de drogues”.
      On peut s’attendre à quelque chose du genre “un rail le samedi soir, ça va, 3 rails par jour, bonjour les dégâts” …, en boucle à la télé et à la radio. Ma foi, c’est un début. Si ça pouvait motiver une prise de conscience sur la prévention et la santé mentale parmi les politiques, ça aura au moins ce mérite. (Espérons qu’ils écouteront les pubs à la télé !).

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  4. Patafanari Patafanari

    2 ministres = plan-plan

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  5. Richard Mouren Richard Mouren

    Ces deux ministres sont évidemment à Marseille pour marquer leurs territoires face au Premier ministre. Un tel plan demanderait une action gouvernementale coordonnée en particulier avec le ministère de l’Économie et des Finances sans qui aucune action d’envergure contre les narco-traficants peut être envisagée. . Chacun de nos nouveaux ministres déballe ses fantasmes pour voir jusqu’où ils ne peuvent pas aller sans aucune volonté de travailler ensemble. C’est déplorable.

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