[Piscines de fortune] L’exode aquatique vers Gardanne

Reportage
le 1 Août 2016
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Troisième épisode de notre série sur les bassins alternatifs, insoupçonnés, lointains ou méconnus. Marsactu pose cette fois-ci sa serviette à la piscine de Gardanne, refuge aquatique pour bien des Marseillais, et notamment pour les jeunes des quartiers Nord.

Le plongeoir de la piscine de Gardanne. (LC)
Le plongeoir de la piscine de Gardanne. (LC)

Le plongeoir de la piscine de Gardanne. (LC)

Affalés les uns au dessus des autres sur les escaliers de la passerelle de la gare de Gardanne, une vingtaine de pré-ados somnolent, au milieu de sacs à dos et de serviettes de bain. Il est 19h20 et ils attendent le train qui les ramènera à la maison après une après-midi d’évasion. Tallya, une des plus grandes, âgée de 15 ans peut-être, a le regard perdu dans le vide. Ses camarades ont les yeux tout aussi rougis par le chlore. Comme plusieurs fois par semaine, la petite bande venue de la cité du Castellas (15e arrondissement) s’est enfuie des quartiers Nord pour rejoindre la ville rouge et surtout sa piscine en plein air pourvue de toboggans, plongeoir et autres réjouissances aquatiques et ludiques.

Les piscines dans leurs quartiers ?  “La piscine des Micocouliers, elle est cramée”, lance Axel – comprendre nulle, voire mal fréquentée – et surtout, elle est fermée en juillet. Et à choisir entre la mer et la piscine de Gardanne, leur choix est sans appel. “La piscine !”, braillent-ils en chœur. “Elle est propre et grande !”, fait remarquer l’un quand un autre assure qu’“au moins l’eau est chaude !”. Et surtout, argument sans appel, “on met 20 minutes pour y aller”. Contre une bonne heure au minimum pour rejoindre les plages depuis leurs quartiers en transports en commun. En grimpant dans le train à Saint-Joseph, Saint-Antoine ou Picon-Busserine, en “oubliant” bien souvent de payer leurs tickets, ce n’est l’affaire que de quelques arrêts suivis d’un peu de marche. Ils sont des dizaines à emprunter cet itinéraire chaque jour.

La piscine dispose d'un solarium, espace détente apprécié des familles. (LC)

La piscine dispose d’un solarium, espace détente apprécié des familles. (LC)

Plus tôt dans l’après-midi, devant la piscine, Bilel, sourire d’ange de 14 ans, avançait les même arguments. Accompagné de Nassim et Mehdi, il fait le voyage “au moins trois fois par semaine” entre copains ou en famille, depuis la gare Saint-Charles, puisqu’ils habitent tout près, boulevard national (3e arrondissement). Mais eux alternent avec les journées à la plage. La piscine Saint-Charles, est de toute façon fermée pour l’été, “et pas en plein air”, fait remarquer Mehdi. Et puis à Gardanne il y a “le plongeoir [qui] fait des ravages !”, épicentre des heures passées dans l’eau, où il est de bon ton de frimer en sautant de 3 mètres de haut. “Le meilleur c’est quand il y a tout le monde !”, s’enthousiasme Nassim. Les groupes venus de différents quartiers marseillais fusionnent en effet avec plus ou moins de bonheur une fois dans le bassin. Et puis l’excursion dans la petite ville a quelque chose d’exotique pour les citadins qu’ils sont. “J’aimerais bien vivre ici, c’est calme… et puis ils ne sont pas menacés par Daech au moins”, songe Nassim.

Une piscine au bord de la saturation … remplie de Marseillais

“Ici, les Marseillais, c’est 98% des baigneurs”, assure -au doigt mouillé- un agent de la sécurité de la piscine en montrant les ados plongeant sans précautions dans les bassins bondés. “Pour les reconnaître c’est facile, beaucoup partent en urgence pour attraper le train de 18 h 30”, s’amuse un autre membre du personnel. Le seul centre aquatique public de plein air avec des aménagements ludiques à des dizaines de kilomètres à la ronde offre un ticket d’entrée à seulement 2 € 60. La piscine de Gardanne, 20 000 habitants, n’est pas loin d’être submergée par des centaines de Marseillais, qu’ils soient des familles arrivées par l’autoroute ou des ados sans surveillance venus en train. Si cette après-midi là, les employés de la piscine ont compté 500 baigneurs, la jauge de 900 personnes maximum est régulièrement atteinte. Et c’est à la réouverture de 14 heures que l’ambiance peut vite devenir électrique. L’attente pour atteindre l’une des deux caisses peut prendre énormément de temps.

“La piscine alternative de Marseille, c’est nous”, reconnaît Jacques, maître de bassin un peu lassé et stressé de devoir jouer à la police. “Il y a beaucoup de jeunes non accompagnés. Avant il y avait plus d’éducateurs avec eux. Aujourd’hui, cela induit des effets de groupe, c’est plus dur de discuter. Les gamins font des saltos, des figures en sautant, qu’on n’autoriserait peut être pas ailleurs. Et donc forcément, il y a plus de stress et d’insécurité.” 

Le petit bassin, bondé. (LC)

Le petit bassin, bondé. (LC)

Mais attention, l’équipe est formelle : les problèmes et tensions ne viennent pas seulement des ados. Pour preuve, l’année dernière, c’est à cause d’un trentenaire qui a menacé un employé avec un couteau que les salariés ont exercé leur droit de retrait. Depuis, “on est encore moins nombreux que l’année dernière”, assure un employé. Toutefois, cette année, la fréquentation est en baisse, permettant aux équipes de faire redescendre la pression. Mais Jacques sature : “Trois mois ici, c’est trois mois horribles”.

“C’est pour des minots comme ça qu’ils ont appelé la gendarmerie ?”

Tant et si bien que les Gardannais se détournent de leur piscine, assure-t-on dans l’équipe. “Ils viennent seulement en matinée, l’après-midi ils vont à Fuveau”, explique une employée originaire de la ville. “Du temps où la piscine était municipale, les Gardannais avaient droit à un abonnement qui faisait coupe-file, ce n’est plus le cas depuis que la piscine dépend du pays d’Aix, et il arrive encore que certains s’en agacent”, regrette Jacques. Au grand malheur des Gardannais, en 2018, la métropole devrait récupérer officiellement la piscine, qui appartiendrait dès lors tout autant aux Marseillais.

Christine, une Gardannaise, à la cinquantaine joviale, attend devant l’entrée que les vestiaires soient vidés pour pouvoir accéder au cours d’aquagym de 19 h 15. “La semaine dernière, je suis revenue à la piscine pour la première fois depuis très longtemps. Avant, je trouvais qu’il y avait trop de monde, trop d’incivilités et on ne pouvait pas nager. La piscine a mauvaise réputation, il y a eu des agressions, des vols. Mais cette fois-ci on a trouvé qu’en matinée, c’est plus familial, c’est très bien.” Une voiture de gendarmerie apparaît alors. “Des jeunes qui ne veulent pas sortir”, peste Jacques. Une visite des gendarmes dans les vestiaires met fin au scandale et les fauteurs de trouble sortent l’air penaud. “C’est pour des minots comme ça qu’ils les ont appelés ? Ils ont même pas 14 ans !”, s’étonne Christine.

Des éducateurs pour traquer les incivilités dans le train

À l’heure de repartir, les petits Marseillais retournent par grappes à la gare. Les plus grands traînent mollement leurs claquettes. Sur le quai, les attendent des éducateurs de l’Addap 13, association de médiation sociale et éducative, qui a une équipe spécialement dédiée au TER, tout au long de l’année. Et les jeunes usagers de la piscine de Gardanne sont pour eux un public bien particulier. “Le train ne fait pas partie de leur quotidien. Donc notre travail c’est d’établir un lien en quelques minutes, pour être reconnus par eux. On va parfois partir des incivilités – les pieds sur le fauteuil, la cigarette- pour créer un contact en faisant passer les règles de civilité dans le train”, détaille Olivier Luciani, un des éducateurs. Le train de 19 h 30 est réputé être le plus délicat.

Vols, fusée de détresse déclenchée à l’intérieur, incendie de poubelles, les anecdotes ne manquent pas. “Ils arrivent en gros groupe depuis la piscine et peuvent ramener l’ambiance du dehors dans l’espace clos du train. Si c’est un contrôleur ou la SUGE [la sûreté ferroviaire, ndlr] qui les rappelle à l’ordre, il peut vite y avoir un effet de solidarité contre leur autorité.” Les éducateurs de l’Addap ne portent pas de t-shirts siglés, justement pour créer un autre rapport aux jeunes et parvenir à temporiser. Et ils sont lucides sur les raisons du désordre provoqué par les jeunes. “En même temps, en terme d’équipements ludiques à Marseille, il n’y a rien pour eux”, tranche Olivier Luciani.

L'heure du retour a sonné pour le petit groupe. Il ne reste plus qu'à grimper dans le train de 19h30. (LC)

L’heure du retour a sonné pour le petit groupe. Il ne reste plus qu’à grimper dans le train de 19h30. (LC)

À l’approche du train, les mines endormies se réveillent et les éclats de voix surexcités de la piscine refont surface. Dès les quais de la gare, les éducateurs commencent donc le dialogue pour canaliser l’énergie et s’assurer de leur sécurité. “Mets ton t-shirt, si il y a un contrôle tu auras des problèmes”, suggère d’une voix posée Rabia Bekkouche à un petit encore torse nu. À l’arrivée du train, sans hausser le ton, les deux éducateurs font en sorte que la vingtaine de minots se dispersent dans chaque wagon. Le collègue de Rabia passera saluer chacun d’entre eux d’un “vous avez passé une bonne journée ?”. Les baigneurs du jour sont plutôt très jeunes, ils bavardent et ricanent fort, surtout quand passe la contrôleuse, qui file sans leur prêter attention.

Les rares autres usagers du train font la sourde oreille. Parmi eux, un des maîtres-nageurs de la piscine observe. “J’ai l’impression que la génération des années précédentes est partie et qu’on a plus de petits, qui sont plus calmes en ce moment. Enfin, la saison n’est pas encore finie…” Alors que le train approche de Saint-Joseph, un jeune homme trentenaire rassemble les troupes. “Cet après-midi, j’ai proposé d’accompagner mon neveu à la piscine, explique Nasser, lui-même ancien médiateur. Tous les voisins m’ont demandé de surveiller aussi leurs petits.” Il a accepté de bon cœur, mais reconnaît qu’“on sent que ça peut vite dégénérer”. En tout cas, il tient rigoureusement sa petite tribu qu’il houspille quand le train marque l’arrêt. L’aventure du jour se finit ici, et le silence regagne ses droits.


L’intégralité de la série

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Commentaires

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  1. neplusetaire neplusetaire

    Effectivement, tout est dit il n’y a rien à MARSEILLE, La piscine est ouverte exclusivement aux associations aux miccocouliers en juillet, je vais voir pour le mois d’août. Les trajets en bus et métro sont long, pas de toilettes publics ! Les jeunes vont jusqu’à GARDANNE ce qui n’est pas évident pour les Gardannais, Comment occuper les enfants quand il n’y a pas les moyens financiers ?

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  2. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Merci pour cet excellent article !

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  3. CAN. CAN.

    Article très instructif !
    Met en évidence une carence Marseillaise au détriment de Gardanne qui nécessiterait une réponse politique

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  4. Véronique Véronique

    J’habite les quartiers nord, de la classe dite moyenne, et j’amène aussi de temps en temps mes enfants à la piscine de Gardanne. C’est la seule piscine que je connaisse aux alentours de Marseille dont les bassins extérieurs sont adaptés à tous les âges, des bébés aux adultes. C’est tout de même un comble d’habiter la 2ème ville de France et d’être obligée d’aller dans les piscines des communes voisines!

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  5. Benoit Campion Benoit Campion

    Même pour les marseillais des quartiers sud, l’accès aux piscines n’est pas évident. Elles sont dans un état déplorable, ou fermées. La meilleure alternative est d’aller à Cassis où il y a une très belle piscine. Mais il faut une voiture, et l’entrée est assez chère.

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  6. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Même absence de piscine dans les quartiers sud. Il faut faire 50 km aller et retour pour aller à la piscine de Gemenos qui offre également une salle de sport et un hamann. Toute ces activités sont complémentaires tant sur le plan des loisirs que sur celui de la santé personnelle (et donc de la santé publique).

    Mais les tarifs sont un peu élevés pour les non résidents (hors Gemenos) …

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  7. CJ R CJ R

    Et «l’Oasis du Charrel» que la “nouvelle” mairie d’Aubagne n’a heureusement pas fermé contrairement à la piscine du Bras d’Or ? Si on en parlait ? Car c’est grâce au tramway que ses abords ont été généreusement réaménagés et embellis !!!

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  8. Jean Jean

    Hier c’était le 1er jour d’inscription aux animations des piscines marseillaises.
    L’année dernière je n’ai pas pu m’inscrire au cours d’aquagym du mercredi soir à la piscine de Frais vallon faute d’avoir réussi à joindre le standard d.Allo mairie assez tôt dans la journée (plus de places).
    Cette année, j’ai eu le standard vers 10h pour me rendre compte qu’il n’y a plus de cours d’aquagym le soir à frais vallon ( précédemment il y avait des séances le soir au moins 2 fois par semaine).
    Les seules séances d’aquagym le soir pour tout Marseille, sont à la piscine de la Martine (15eme) le jeudi de 17h à 18h et de 18 à 19h. J’habite à 5mn de la piscine de Frais vallon. La Martine, c’est trop loin pour y aller le soir avec les embouteillages.
    Sinon tous les cours ont lieu à 12h ou 13h dans diverses piscines
    Chaque année les prix augmentent et les créneaux se réduisent.

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