Pas vraiment de quoi être (Euro) proud
S’il existait un tribunal de l’image de Marseille, gageons que le cas Europride serait instruit sans attendre la rentrée. L’originalité et le talent dont ont fait preuve les organisateurs de l’évènement pour nous étonner chaque jour est ahurissant : qui d’une annulation, d’un changement de dernière minute, d’une soirée ratée… c’est comme les Galeries Lafayette, il y a toujours quelque chose de nouveau ! Lors de ce procès, on aurait envie de tout mettre sur le dos de cette association (LGP), ça commencerait comme ça, et je suis sûr qu’un bon juge d’instruction aurait vite fait de nous étonner encore en appelant à la barre des complices : politiques, associations, institutions… car plus que l’échec d’une asso, je ne serais pas étonné que ce soit un flop bien collectif.
(Edit 23/07/13 en fin de billet)
Je me pose beaucoup de questions (naïves) sur cette Europride Marseillaise depuis le début… chaque jour apportant son lot de surprises, ma liste s’est allongée comme un jour de pluie :
- Comment se sont réparties les tâches depuis l’attribution ? Qui était en charge de la supervision globale du projet ?
- Comment a été estimé le nombre de participants ? En se basant sur quelles sources ?
- Pourquoi a-t-on volontairement éclaté les endroits (Docks des Suds, Friche, Plage, Estienne d’Orves) et multiplié les propositions au lieu de se concentrer sur un seul site ?
- A partir de quand les organisateurs ont-ils compris que la fréquentation ne serait pas à la hauteur ?
- Comment a été bâtie la stratégie de communication avant / pendant s’il y en avait une ?
- A quel point ont été inclus les acteurs locaux ?
- Des institutions ont-elles sciemment torpillé le projet, soit en faisant un chèque en blanc à des gens qui auraient manifestement eu besoin d’être plus encadrés ? Soit en intégrant le projet pour régler des comptes ?
- Comment un organisateur de soirées a pu avoir le droit d’installer des DJ pendant 10 jours sur les plages du Prado alors qu’on l’interdit aux autres, même pour une journée (Marsatac par exemple) ?
- A qui profite le flop ?
Curieux et intrigué, j’ai interrogé des connaissances que j’imaginais informées (militants, journalistes…), j’ai aussi laissé traîné mes grandes oreilles ci et là, afin de récolter un peu de matière et mieux comprendre. J’ai surtout compris que c’était un vrai sac de nœud, personne ne sait rien, sauf que “des gens disent…”. Il y a bien cette rengaine sur la lutte intestine entre les deux associations gays de Marseille : LGP (organisatrice de l’Europride) et Tous&Go, variable qui a sans aucun doute un impact significatif sur l’échec. Mais pour le reste, j’ai surtout du “il parait”, “on dit”, “ce serait”… Bref, je n’ai rien de concret, alors heureusement que j’ai des idées 😉 !
Puisque personne n’a pu répondre franchement à mes questions, je m’en tiendrai à des hypothèses (que je vous invite à commenter, contredire, valider, enrichir…), voilà l’histoire que je me raconte.
Un peu comme la CCI s’était dit “tiens, on va faire la capitale de la culture” et est allé le chercher à la bite et au couteau sous le regard malveillant des élus, une association se dit un jour : “on va faire l’Europride à Marseille”, alors sans trop de soutiens extérieurs ils montent leur dossier, et utilisant les mêmes artifices que les élus, Constructa, le Pavillon M et la CCI, arrive à vendre à l’Europe le fameux “potentiel de Marseille, sa mutation, le nouveau Miami bla bla bla” qui leur donne (vend?) le label sans connaître le dessous des cartes.
Les élus qui jusque-là ne s’en occupaient pas en pensant que l’asso foirerait toute seule se retrouvent à devoir gérer le bouzin. Ce qui fut vu comme une formidable opportunité de communication touristique à Madrid, Rome ou ailleurs est perçu comme un boulet par nos élus, il va bien falloir en faire quelque chose, mais quoi ? J’imagine la gêne : “On aurait pas pu avoir le défilé du 14 juillet décentralisé à la place ? Ou un truc qui passent mieux auprès des vieux ?”
Maintenant que l’asso a obtenu le label, les voilà en pleine dissonance cognitive : soit ils plantent tout mais ce serait trahir leur idée de développement touristique (selon les clichés, un homo est au moins aussi bankable qu’un croisiériste, sans parler des croisiéristes gays…), soit ils s’emparent du projet mais, outre le fait que c’est juste pas leur truc, attention au fameux retour du GuyTeissier (comme un retour de refoulé mais plus réac) !
C’est là qu’interviennent les querelles d’associations dans mon petit film perso : nos chers élus savent bien que les assos ne peuvent pas se piffrer, alors ils se disent qu’en faisant le minimum : donner les autorisations d’occupation de l’espace public et filer une subvention a minima et les obliger à bosser ensemble, il n’y aura plus qu’à laisser faire la rancœur et l’incompétence, le truc sera un flop et on pourra dire que franchement, le monde associatif n’est pas professionnel ! Les conservateurs se réjouiront de l’échec, dans 2 semaines, tout le monde aura oublié que Marseille était capitale européenne de la culture gay en juillet 2013 (au pire, on se paiera un 2e des racines et des ailes si nécessaire), et tout ira pour le mieux.
Vraiment ? Bon, on passera encore pour des amateurs, on désespérera quelques milliers de touristes supplémentaires, on donnera des billes à ceux qui pensent qu’il ne faut surtout pas organiser d’évènements d’ampleur à Marseille… Et alors ? Alors si le tribunal spécial pour l’image existait à Marseille, il faudrait rendre des comptes.
Et surtout, si les financeurs avaient encadrés les associations, leur avaient mis le holà quand ils se sont enflammés, avaient lancés des études sérieuses pour évaluer la fréquentation, pour assumer dès le départ qu’une Europride marseillaise peut raisonnablement tabler sur une fréquentation à la Zurich ou Oslo, et dimensionner l’évènement en conséquence. Bref, s’ils étaient emparés de ce cadeau que leurs faisaient des associations vraisemblablement plus douées pour séduire un jury que pour organiser quoi que ce soit.
A l’inverse, on assiste encore une fois à quelque chose que l’on avait un moment pensé se débarrasser en 2012 : le concours d’incompétents. Et rien que pour ça, il n’y a vraiment pas de quoi être fiers.
Edit 23/07/13 : un complément d’informations pour intégrer les apports laissés par quelques lecteurs dans les commentaires, et deux articles parus aujourd’hui dans La Marseillaise et Télérama.
Alors d’abord ne pas sous-estimer la part de responsabilité de l’association organisatrice, la LGP, qui admet dans Télérama “avoir pêché par ambition” et qui avait fantasmé des centaines de milliers d’euros de subventions qu’elle n’a pas eu ou trop tard (ce qui me permet de maintenir que toutes les collectivités ne se sont pas emparées du projet, la seule l’ayant faite étant la Ville de Marseille – un geste à saluer – 120 000 euros supplémentaires venant de partenaires privés).
On peut aussi s’interroger sur l’adéquation du projet avec la “communauté” gay de Marseille : les propositions militantes ont apparemment trouvé leur public, et c’est surtout les soirées à 40€ qui ont été annulées, peut-être que les homos marseillais (puisque les touristes n’arrivent qu’au dernier moment si j’ai bien compris) sont plus militants que festifs, voire peut-être même pas trop intéressés par ce genre d’évènements, et surtout pas au point d’y mettre le prix demandé.
La Marseillaise conclut l’article par une phrase qui m’a fait rire tellement elle concerne la plupart des évènements marseillais (bien au-delà de l’Europride) : « L’idéal serait une réunion de tous les acteurs afin de revoir certains fondamentaux en matière d’organisation ». Alors, celle-là, c’est pas la peine de la ranger parce qu’on risque d’en avoir encore besoin bientôt !
Edit 30/07/2013 : Une nouvelle hypothèse arrivée par les commentaires, un article de Rue89 étaye la thèse d’un favoritisme de la Mairie. En clair, la subvention aurait été conditionnée à l’emploi d’un proche de Gaudin qui aurait mal fait son travail et couté très cher.
Commentaires
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Honnêtement, je ne partage pas la théorie de la malveillance des collectivités : on leur a demandé de l’argent et des espaces publics, elles les ont donnés sans trop sourciller. Quand tu vois la com de la mairie, même Gaudin a compris l’intérêt, ne serait-ce qu’en terme d’image, d’accueillir l’Europride.
Mais, à moins de reprendre entièrement l’organisation en direct – ce qui, à mon avis, n’est ni faisable ni souhaitable – les collectivités n’ont pas d’autre choix que de laisser faire les organisateurs… et ils ont merdé. Voilà tout.
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Benjamin a raison, la responsabilité des organisateurs et leurs jeu de chaises musicales ne doit pas être minorés. Mais tout échec n’a pas d’origine unique et unilatérale, le bilan devra donc être réalisé de manière transversal et sans parti pris.
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Je dois toujours voir le mal côté élus, question d’habitude… J’attends de lire tous les commentaires et je ferai un edit en intégrant les remarques / étayant les hypothèses.
Merci de ton apport en tous cas
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Cf commentaire plus haut, merci de ta contribution.
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C’est du pur “gouvernement à distance”… à l’échelle locale ce truc ! Et sinon, dans le tribunal de l’image de Marseille, tu te vois quel rôle ?
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Instruction ? Et toi ?
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Dessinateur d’audience.
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Autre hypothèse: peut-etre que la communauté gay reste assez réduite à Marseille (non pas qu’il y ait moins de gays qu’ailleurs évidemment, mais que la dimension activiste soit moins forte qu’ailleurs).
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Peut-être, ou en tous cas moins “Ibiza” qu’ailleurs, ce qui n’est pas franchement une mauvaise nouvelle. Merci de ton apport.
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Et celle-là d’hypothèse, tu l’avais pas vu venir ?
http://www.rue89.com/2013/07/29/derriere-lechec-leuropride-marseille-parfum-favoritisme-244623
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Merci de ce nouvel éclairage, et une hypothèse de plus, une !
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