Dans les quartiers Nord, l’hôpital psychiatrique Édouard Toulouse au bord de la rupture

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le 30 Sep 2024
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Le pôle Littoral Nord de l'hôpital psychiatrique Édouard Toulouse est de nouveau en crise. Après le départ d'un énième médecin, le nombre de lits d'hospitalisation tombe de 36 à 24, entrainant un peu plus cette structure dans une situation à la limite de l'effondrement.

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L'entrée de l'hôpital Édouard Toulouse, dans le 15e arrondissement de Marseille. photo : VA

L'entrée de l'hôpital Édouard Toulouse, dans le 15e arrondissement de Marseille. photo : VA

Les allers et venues sont incessants. Le portail de l’hôpital psychiatrique Édouard Toulouse, situé dans le 15e arrondissement, au nord de Marseille, se ferme et se referme au gré des passages d’hommes et de femmes aux démarches brinquebalantes. Le pas est lourd, les visages déformés, le regard fixe, vers le sol. Jeudi 26 septembre, Amel* tient par la main son frère, plus grand qu’elle et qui ne parvient pas à s’exprimer. “Nous venons pour une première consultation, j’ai peur de ce que l’on va me dire”, se confie-t-elle, l’air inquiet. Quelques minutes plus tard, la jeune femme et celui qu’elle accompagne ressortent avec un petit bout de papier dans les mains. “On nous a dit de revenir dans deux semaines, mais qu’avant, il fallait passer un coup de fil pour être sûr que le médecin soit là”, glisse-t-elle avant de repartir, pas plus rassurée.

Voilà des années que le centre hospitalier non universitaire Édouard Toulouse est entraîné dans une spirale infernale. Il y a quatre ans, Marsactu racontait déjà les incidents qui se multiplient au sein de cette structure dédiée à la maladie mentale, les cris d’alarme des soignants qui y travaillent et, surtout, le manque de psychiatres. Alors que la direction affirmait à l’époque sa volonté et son engagement à recruter de nouveaux médecins et surmonter cette crise, aujourd’hui, la situation ne s’est pas améliorée. Voire, s’est dégradée. Le départ, ce mois-ci, d’un énième médecin a entrainé la fermeture d’une unité d’hospitalisation sur les deux qu’elle contenait, laissant un peu plus dans l’errance les patients d’un secteur où la folie se mêle à la précarité économique et la misère sociale.

“Début 2000, nous avions 120 lits, aujourd’hui, il y en a 24”

“Au début des années 2000, nous avions 120 lits, nous avons ensuite fermé l’unité des patients les plus chroniques. Il y a dix ans, nous étions à 70 lits, il y a quatre ans, c’était 44, et aujourd’hui, on passe de 36 à 24”, compte Marie*, une infirmière du pôle Littoral Nord de l’hôpital psychiatrique, qui subit de plein fouet la crise. “La moitié des lits sont occupés par des patients qui ne peuvent pas être remis dans la société, c’est-à-dire qui sont sous irresponsabilité pénale ou hospitalisés sous contrainte. Ils nécessitent des soins et une surveillance particulière. Bref, pour la population du 15e, il restera moins d’une quinzaine de lits”, poursuit celle qui est en poste depuis de nombreuses années dans cette structure.

En France, la psychiatrie fonctionne par sectorisation, autrement dit le lieu d’hospitalisation dépend du lieu d’habitation du patient. Le pôle Littoral Nord d’Édouard Toulouse (qui comprend en tout trois pôles) reçoit ainsi des patients du 15e, du 16e, des Pennes-Mirabeau et de Septèmes-les-Vallons, soit un bassin de population de 130 000 personnes. Le passage de 36 à 24 lits — ou plus précisément la fusion de deux unités de 18 lits en une de 24 — est la conséquence directe du départ du docteur Saïd. Marsactu n’a pas réussi à joindre ce dernier, mais il n’est pas le seul à avoir quitté le bateau ces dernières années. “Pour qu’un pôle soit actif, il faut des structures extra-hospitalières et 12 temps pleins pour les hospitalisations, détaille encore l’infirmière citée plus haut. Aujourd’hui, il y a 5,5.”

Repoussoir et spirale infernale

Plus que le manque de moyens, c’est véritablement la présence de médecins qui fait défaut ici. “C’est très compliqué, l’enjeu de pénurie médicale existe depuis longtemps. Il y a de l’argent, mais le manque d’attractivité est plurifactoriel, explique Yves Guillermain, vice-président de la commission médicale d’Édouard Toulouse. La psychiatrie est une spécialité en crise, c’est la queue de peloton de la médecine.” Et le docteur d’évoquer la “technicisation” du soin psychiatrique, basée sur des prescriptions médicamenteuses et la diminution de la prise en compte de l’aspect relationnel. Mais au-delà de cette image générale peu attirante de la psychiatrie, celle d’Édouard Toulouse agit aussi comme un repoussoir, expliquent les personnes interrogées par Marsactu.

L’une des chambres d’isolement de l’hôpital Édouard Toulouse. (Photo : VA)

“Le quartier est difficile, ce ne sont pas les mêmes profils qu’à Montperrin, l’hôpital psychiatrique près d’Aix. Les maladies sont les mêmes, mais l’étayage social est différent. Quand les patients sortent, ils ne sont pas forcément accompagnés par leur famille, ils n’ont pas toujours de logement, ils sont dans la précarité”, développe un autre infirmier du pôle Littoral Nord. Nous, on travaille pour stabiliser la maladie, mais dès qu’ils sortent, ils retournent dans la rue et la stabilisation ne dure pas longtemps.” Ainsi commence la spirale infernale. “Nous devons les faire sortir plus tôt pour faire de la place. Sauf que, comme ils ne sont pas bien stabilisés, ils reviennent. Comme ce patient qui est revenu une semaine après sa sortie, mais cette fois-ci sur ordre de justice…”, raconte Marie. Comme un cercle vicieux, le manque de médecins motivés pour travailler dans le secteur entraine donc des fermetures de lits, qui obligent les soignants restants à anticiper les sorties des patients. Parmi ces patients dont l’environnement contribue à aggraver à la maladie, beaucoup reviennent encore plus malades, et donc, de plus en plus difficiles à soigner. “La sectorisation est censée lutter contre les inégalités sociales, là, c’est l’inverse”, observe encore l’infirmière.

“Là-bas, j’étais seul”

Marsactu a pu joindre un ancien médecin d’Édouard Toulouse qui a quitté l’hôpital il y a quelques années. Ce dernier, qui souhaite également rester anonyme, va plus loin. “La psychiatrie est un travail collectif, mais là-bas, j’étais seul. La chimie ne marche même plus tellement il y a de crack, tellement les gens sont à la rue, tellement il a de précarité…”, énumère ce psychiatre, dont les souvenirs semblent encore à vif, malgré les années passées. Pour tenter de colmater les brèches de ce navire qui craque, des intérimaires ont été recrutés. Des équipes mobiles ont également été constituées pour tenter d’apporter des soins à domicile aux malades dont l’hospitalisation est impossible, faute de places. Des solutions provisoires qui ont leurs limites, disent à l’unanimité les personnes interviewées. “On va faire des soins à domicile à des personnes qui vivent dans la rue ?, interroge faussement le médecin susmentionné, qui ajoute : Et les intérimaires, ça s’appelle du morcellement, ça participe à la folie.”

En 2020, dans l’un des pavillons de l’hôpital dont les locaux datent des années 1990, la quasi-totalité des murs ont été gribouillés par un même patient. (Photo : VA)

Contactée, la direction, comme en 2020, dit être consciente du problème. Mais se dit également dans l’incapacité d’agir. “Ce n’est pas satisfaisant, je sais bien. Si j’avais un bus de psychiatres qui se présentait là, je les recruterais tous, répond à Marsactu Thierry Acquier, le directeur d’Édouard Toulouse. Mais aujourd’hui, je n’ai pas de dispositifs financiers règlementaires entre les mains à proposer. C’est un cercle vicieux et je sais que je dois recruter trois ou quatre jeunes médecins en même temps pour que cela fonctionne.” Du côté des syndicats comme des soignants interrogés, on réclame notamment des primes pour l’exercice d’une fonction en territoire difficile, comme pour les enseignants, les policiers ou les pompiers. Pour l’heure, elles n’ont aucune existence légale. Surtout, la crainte de voir les postes vacants disparaître se fait sentir. “Il est question de réaffections. Mais si demain, quatre médecins arrivent, comment on fait si tout le monde a été réaffecté ailleurs ?”, imagine Kader Benayed, de Sud Santé.

“Il y aura des conséquences sur l’AP-HM”

Dans les locaux de l’ARS, l’agence régionale de santé, qui représente l’État sur le territoire en ce qui concerne les questions de santé, le problème de la psychiatrie en général, et d’Édouard Toulouse en particulier, ne peut être éludé. Mercredi 18 septembre, tandis que la directrice départementale présentait devant la presse les grandes actions pour l’année à venir, la problématique a forcément été évoquée. Sans qu’aucune solution ne soit pour autant proposée. “Sur Édouard Toulouse, le budget de 6,4 millions d’euros est maintenu. Il n’y a pas de réduction de moyens. Cette organisation est réversible et temporaire dans une situation difficile et nous travaillons à trouver des solutions efficaces et concertées”, a tenté de rassurer Caroline AgeronUn discours que certains prennent avec des pincettes.

“Les médecins qui restent sont dans une phase d’épuisement. Il va falloir faire preuve de créativité, car sinon, c’est l’effondrement. Et si Édouard Toulouse s’effondre, il y aura des conséquences sur l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, prévient Yves Guillermain. Parfois, on se demande s’il y a vraiment une volonté de s’attaquer au problème ou si on laisse un hôpital à la dérive.” D’autres, comme Marie, ne se posent plus la question : “Cette fermeture d’unité, c’est comme si on nous amputait, et qu’on nous tenait la main le temps de…”. Pendant ce temps, le portail d’Édouard Toulouse continue de se fermer, puis de se rouvrir. Au loin, le frère d’Amel lui a lâché la main. Il crie et part dans une autre direction.

*Les prénoms ont été modifiés.

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Commentaires

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  1. RML RML

    Un article proprement glaçant. Et très inquiétant.
    Un vrai sujet qui est souvent decorrélé de ses conséquences societales…

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  2. julijo julijo

    très inquiétant. et cela fait au moins 2 décennies que l’ensemble du domaine psychiatrique est dévoyé, abimé, supprimé aussi.
    alors de temps en temps, nous entendons parler d’un fait divers….une attaque au couteau dans la rue, un pétage de plomb…..on ne s’en étonne qu’à peine.
    et si le malade mental est blanc, et + ou – hétéro, bfm-cnews-praud ou hanouna ne s’en emparent pas, et ça passe aux oubliettes…..ainsi va la vie.

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  3. Richard Mouren Richard Mouren

    Eh, oui! Ça coûte un pognon de dingue ! Et en plus destiné à aider le petit peuple nécessiteux qui ne fait rien pour s’en sortir en traversant la rue. Les décideurs ont, eux, le pognon pour utiliser des cliniques privées très discrètes et bien pourvues en matériel et encadrement.

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  4. Jeanne 13 Jeanne 13

    La situation de l hôpital Édouard Toulouse et ce qu en dit le médecin psychiatre qui a fini par se sauver c est bien l impossibilité d avancer sur des parcours de soin avec des patients en trés grande précarité…
    Les malades psy se retrouvent tous les jours dans nos rues et soignent leurs problèmes mentaux par la prise de produits stup alcool et maintenant crack ….c est vraiment un danger pour eux mêmes et pour nous tous….l ARS répond nous octroyons un budget constant mais ce n est clairement pas suffisant..pour répondre aux besoins qui ne cessent d augmenter …merci marsactu pour cet article très bien fait

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  5. JK JK

    Catastrophique !

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  6. didier L didier L

    L’Education, la Santé, la Justice, le logement … sont les piliers d’une société démocratique qui fonctionne, là dessus on peut construire. et ctéer. Ces pilers craquent de toute part et pour colmater le tout on joue de la sécurité et du ” rétablissement de l’ordre” c’est sans doute nécessaire mais cela ne suffira pas. A moins qu’on se passe un jour de la démocratie !
    Les prisons sont déjà au 2/3 occupées de détenus qui relèvent de la psychiatrie; la psychiatrie est à la rue et la drogue circule partout, les déficits se creusent , l’effet JO, du pain et des jeux n’y suffira pas ! Jusqu’à présent tout va bien

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