Le projet immobilier à deux pas de l’abbaye Saint-Victor crispe les associations de quartier

Michel Thibout, Robert Gilles et Guy Coja dans le petit jardin Lamy attenant au projet immobilier (Photo AC)

Pour l’heure le terrain reste vague, et ce, depuis une dizaine d’années déjà. Sur un brise-vue en métal de la rue Sainte qui délimite le secteur, à deux pas à l’ouest de l’abbaye, le permis de construire d’un projet immobilier a été affiché à la fin du mois de juillet. Le promoteur veut faire sortir de terre deux immeubles de 44 appartements dont 14 logements sociaux, une crèche privée et un local commercial. Sous terre, un parking sur trois niveaux pouvant accueillir jusqu’à 72 places de voiture et autant de vélos. Sur terre, un jardin privé réservé aux habitants de la copropriété et aux minots de la crèche. Le petit square public Lamy avec ses mouches agressives, situé à l’angle des rues Sainte et du Commandant Lamy sera quant à lui préservé.

Depuis la validation du permis de construire, certains habitants du quartier veulent faire connaitre leur mécontentement. Plusieurs associations du 7e arrondissement de Marseille organisent une réunion publique ce jeudi soir 18 h au centre municipal d’animation pour faire connaitre leur opposition. Lancée il y a plus d’un an, une pétition portée par l’association Cas 7ème réunie plus de 5 000 signataires contre le projet au nom de la préservation des vestiges de l’abbaye.

Sandrine Touyon, présidente de cette association de quartier, est révoltée contre ce projet. “La crypte risque de s’écrouler, ce n’est pas des paroles en l’air. Quand on descend, on n’a pas le droit d’aller à tous les endroits, ce n’est pas pour rien”, s’inquiète-t-elle, très énervée par ce permis de construire tombé en plein milieu de l’été. “Ce n’est pas un bâtiment qu’ils veulent construire, c’est un blockhaus. Il est vraiment affreux. Le jardin Lamy sera défiguré, même s’il faut admettre qu’il n’est déjà pas beau”, s’empresse-t-elle d’ajouter. Donnant actuellement sur un terrain vague et le Vieux-Port pour les plus hauts perchés, la vue des habitations sera obstruée par un sérieux vis-à-vis. Sandrine Touyon avait d’autres projets pour ce terrain : “On souhaitait un jardin ludique d’enfants avec une buvette, et pourquoi pas un musée en plein air.”

Le permis de construire du projet a été affiché le 23 juillet 2024. (Photo : AC)

La commission urbanisme de la fédération des CIQ du 7e aurait également souhaité l’aménagement d’un parc urbain. “On enferme l’abbaye au lieu d’essayer de la faire respirer” s’étonne Robert Gilles, membre de la commission et archéologue de profession qui a justement commencé sa carrière dans les fouilles de ce bâtiment classé. “Comme on sait que le projet va certainement se faire, on a proposé des solutions alternatives pour préserver la vue sur l’abbaye. Reculer la construction ou le modifier”, explique-t-il en montrant un plan réalisé par ses soins en septembre 2023 qui proposait une orientation différente des futurs bâtiments. Désormais, il milite pour laisser le passage public au rez-de-chaussée du bâtiment située rue Sainte afin de garder les galeries et les servitudes accessibles et de garantir une vue dégagée sur l’abbaye.

Dialogue régulier

Hasard de reportage, le cabinet MAP, maitre d’œuvre qui a dessiné les plans, appelle à ce moment-là pour fixer un rendez-vous avec les membres du CIQ le 10 septembre, pour discuter de ce point. Guy Coja, vice-président du CIQ Saint-Victor, attend beaucoup de ce rendez-vous. Ce n’est qu’à la suite de cet entretien que la décision de déposer un recours ou non sera prise. Les habitants ont jusqu’au 23 septembre pour le faire.

Ce sera le troisième rendez-vous du cabinet d’architecte avec les membres du CIQ, visiblement dans le dialogue. Dans sa notice architecturale, le cabinet explique que son équipe a “conscience de la responsabilité qui est la sienne” car cette friche utilisée en parking “mérite un projet réfléchi et donc co-construit dans la nécessaire composition de tous les ingrédients qui procurent à un tel projet sa réalité économique ainsi que son impact urbain positif.”

Sur ce parking vide, il y aura une partie du jardin de la copropriété et des bâtiments, cachant la vue de l’abbaye. (Photo : AC)

Mais ce sont les sous-sols qui inquiètent et particulièrement les trois niveaux de parking. L’ancienne délimitation de l’abbaye s’étend sous le terrain constructible. Les habitants ont peur qu’en creusant, les fondations de l’abbaye, déjà protégées par des murs de soutènement, ne soient encore plus fragilisées.“On s’appuie sur des données scientifiques, géologiques, archéologiques pour le dire” soutient Gilles Robert. La commission urbanisme de la fédération des CIQ avait commandé à Michel Villeneuve, directeur de recherche honoraire au CNRS, une étude du cadre géologique du site.“Nous recommandons de ne pas creuser le sous-sol calcaire pour construire des garages en profondeur, mais de construire ceux-ci en surface comme c’est le cas dans d’autres bâtiments et notamment dans les immeubles de la cité la Rouvière où les garages sont sur le sol et non dans le sol”, préconisait-il en juillet 2023.

Un accord assorti de prescriptions

Contrairement aux différentes associations de quartier, Sandrine Rolengo, déléguée de l’association Sites & Monuments Paca, n’a pas du tout le même son de cloche et attend le résultat des fouilles. “L’architecte des bâtiments de France a blindé son avis et dit qu’en fonction des fouilles tout peut changer”, explique-t-elle. En mars 2024, l’architecte des bâtiments de France a rendu un accord assorti de prescriptions concernant ce projet immobilier. “Cet accord est donné sous réserve des résultats du diagnostic archéologique en cours et préalable au chantier, ce diagnostic pouvant engendrer des modifications sur ce projet”, signe Frédéric Aubanton. Pour Sandrine Rolengo, le projet n’est en rien comparable à celui de la Corderie. “Je ne comprends pas qu’on crie au loup. Il faut d’abord mettre au jour les vestiges et à ce moment, on verra. Quand il faut rouspéter, je suis la première mais là je ne comprends pas cet engouement.”

Pour l’heure, la Ville, propriétaire de l’abbaye comme tous les biens d’église construits avant 1905, a délivré le permis de construire, aucun motif réglementaire de refus n’ayant été observé. “Compte tenu du contexte, des fouilles archéologiques seront réalisées préalablement aux travaux. Les résultats des fouilles donneront des indications quant à la suite du projet. Les travaux ne pourront démarrer avant l’obtention de ces résultats”, indique le service presse de la Ville à Marsactu.

Le terrain où seront construits les deux immeubles sur la rue du Commandant Lamy. (Photo : AC)

Juste en face du terrain, la maison de Paul Valéry est aux premières loges des débats. En 2009, le permis de construire d’une maison de retraite n’avait pas abouti sur ce terrain. Bientôt, ce sont des fouilles archéologiques qui jouxteront l’ancienne demeure du poète. “L’homme est absurde par ce qu’il cherche, grand par ce qu’il trouve”, écrivait Paul Valéry. À voir si ce vers s’applique à ce projet.