À Malpassé, dans l’attente de la détonation
Ce jeudi matin, la tour B des Cyprès, à Malpassé (13e), va être dynamitée en vue de la rénovation urbaine du quartier. Hier, les habitants s'apprêtaient à devoir déserter le périmètre, entre angoisse et curiosité.
La tour B des Cyprès la veille de sa disparition.
“Il y a eu un braquage ! Je te jure maman, y a que ça, y aurait pas autant de voitures de flics sinon ! Un sacré braquage !”, s’excite un adolescent qui s’agite sur un des sièges du bus 38 alors que celui-ci slalome entre les bâtiments des Cèdres, Cyprès, Genêts et Lauriers, autant de cités du quartier de Malpassé (13e arrondissement). Nul braquage ou événement tragique pourtant. Le quartier s’apprête simplement à être vidé et bouclé en vue la démolition de la tour B des Cyprès, ce jeudi matin. Tout un périmètre d’un rayon de 200 mètres autour du site doit donc être évacué tôt dans la matinée.
Mercredi, en fin d’après-midi, les camions de fourrière accompagnent déjà les voitures de policiers, signe prémonitoire d’enlèvements de véhicules à venir. Profitant de l’ombre, trois dames bavardent de la démolition, évidemment, devant l’entrée du bâtiment des Cyprès A, tout en longueur et rénové récemment. “Ils ont été corrects, on a été prévenus, il y a eu des réunions, mais là, le coup des voitures, c’est un peu fort ! Comment on fait ?”, s’agace Rose. Des rubalises blanc-rouge accompagnées d’un avis demandant de déplacer les véhicules avant 16 heures ce jour même flottent partout. Chacune a son plan pour la matinée de dérangement en vue. Sa voisine Nouria prendra un des bus de la RTM affrété spécialement en direction du parc de Font-obscure où les familles se verront offrir un petit déjeuner. Marie-Thérèse, la dernière, explique quant à elle qu’elle va garer sa voiture plus loin ce soir, pour demain matin “pousser le fauteuil”, de son fils handicapé, avec ses deux chiens et son chat sous le bras avant d’aller trouver refuge chez sa mère aux Oliviers.
De ce quartier qui surplombe Malpassé, Marie-Thérèse, grande femme de 50 ans, aux yeux très bleus, compte bien filmer la destruction de la tour des Cyprès. “J’ai habité la tour de 81 à 94 ! Moi au 12e étage, et mes soeurs au 9e et 17e, je leur ai fait des photos pour qu’elle se souviennent. Au début c’était vraiment bien, puis ça a changé”. Rose, cinquante ans passés elle aussi, abonde dans son sens : “Quand je suis arrivée aux Cèdres c’était vraiment “résidence” ! Il y avait le marchand de chaussures, le boucher, le poissonnier, les bals pour le 14 juillet”. Rose a ensuite habité la tour. Elle se souvient des thés entre voisins au pied du bâtiment. “Et puis ça a été fini, du jour au lendemain on n’a plus eu le droit”, soupire Marie-Thérèse. L’interdiction venait des gérants du point de deal installé dans l’immeuble. C’était autour de 1995, affirment les habitantes, reprenant là une date aussi évoquée par leur bailleur, Habitat Marseille Provence. “J’ai eu peur de mourir là-dedans, il s’est passé tellement de choses !”, s’emporte Rose au souvenir des tensions qui ont suivi, agressions, incendies, etc.
“Vous pensez qu’il s’en passe pas assez des événements ici ?”
Les souvenirs sont donc amers pour Rose et Marie-Thérèse, qui sont depuis installées dans le bâtiment A, à 100 mètres de là, où elles n’ont plus connu de tels problèmes. “Ça fait de la peine de se souvenir, mais avec ce que c’était devenu, il n’y avait que ça à faire”, tranche Rose. Nouria s’inquiète de ce qui va suivre. Elle a déjà assisté aux premières rencontres autour du projet de rénovation : “Il paraît qu’on peut donner son avis, mais au final ils ont déjà décidé qu’il y aura une route et une crèche.”
Foudroyage par tirs dirigés
À 10h30 précises, 62 mètres de béton vont s’effondrer, pour ne plus être que quelques 17 000 tonnes de gravats. 13 500 m², vidés des 112 familles qui les habitaient jusqu’à il y a quelques années, vont partir en poussière, après 48 ans d’existence. La méthode choisie, appelée “foudroyage par tirs dirigés” consiste à disposer des explosifs à trois étages différents afin que le bâtiment s’effondre sur lui même. Il s’inclinera légèrement vers l’avant dans un périmètre déjà circonscrit par des palissades, situées à quelques mètres des murs. “Grignoter” le bâtiment à la pelleteuse comme cela est fait communément aurait été trop dangereux assure HMP, notamment en raison de la taille de la tour et de la présence d’une école à ses pieds. Pour limiter au maximum les dégagements de poussières, des piscines remplies d’eau ont été disposées au sol, elles aussi seront munies d’explosifs, qui devraient permettre de créer un “bouclier” d’eau.
L’événement de la démolition a tout de même le mérite de briser la routine du quotidien reconnaissent les voisines, quoique Nouria s’en serait bien passé. “Vous pensez qu’il s’en passe pas assez des événements ici ?”, interroge-t-elle, pointant du doigt le bâtiment des Lauriers où en novembre 2015, deux mineurs avaient trouvé la mort, victimes collatérales des trafics.
En suivant la rue Marathon, qui fait un coude enserrant la tour des Cyprès, on croise le petit préfabriqué posé sur le trottoir, installé là pour représenter la mosquée qui se construit en contrebas. Les faces du petit local rectangulaire sont recouvertes d’appel aux dons, un panneau luminescent fait circuler en boucle un message allant dans le même sens.
À l’intérieur, c’est Khaled, la soixantaine, qui tient la permanence. Il se pose énormément de questions sur l’évacuation de jeudi. “Est-ce qu’il y aura de la sécurité contre les vols ?”, s’inquiète-t-il avant de s’interroger sur la suite/ Ils vont faire une route à la place, c’est bien ça ? Et pas de nouveaux logements ?”. Avant de se rasséréner. “Enfin, bien sûr, je vais respecter le règlement, la sécurité, ce n’est pas pour s’amuser, c’est pour notre bien”. Sur la pente qui dévale vers le petit centre commerçant quasi abandonné, des poules clopinent gaiement. Le cœur du quartier est un grand vide, au sol de goudron épuisé, mêlé à la terre battue qui donne des airs de far west.
Des “évacuateurs” du cru
Rare bâtiment neuf à cet endroit, le centre social est quant à lui en ébullition. Dans le hall, les employés distribuent à tour de bras les prospectus informatifs sur la démolition et l’évacuation. “Je l’ai déjà, merci !”, répond une mère venue récupérer sa fille au centre aéré. Rares sont les habitants qui n’ont pas encore appris la nouvelle.
Dans une grande salle, cinquante jeunes et quelques uns plus âgés se relayent pour signer des contrats avant de recevoir leurs instructions. Ce sont les intérimaires “évacuateurs” qui auront ce jeudi dès le petit matin la charge de frapper aux portes des habitants. Une quarantaine vient directement du quartier. Noria, âgée de 21 ans, attend d’en savoir plus. “Dans tous les cas on doit se lever tôt jeudi ! Alors tant qu’à faire, autant travailler”, ironise-t-elle pour expliquer sa présence. Comme beaucoup, elle a vu les nombreuses affichettes placardées dans le quartier pour officier pendant 7 à 10 heures lors de la démolition. “On connaît tout le monde, ce sera plus facile”, complète son amie Mariam.
“Vous allez avoir 2000 personnes à gérer, si ça se passe bien, ce sera grâce à vous !”, lance en communicant aguerri, Didier Raffo, en charge du renouvellement urbain pour le compte du logeur, Habitat Marseille Provence (HMP). Si certains seront affectés à la gestion des trajets en bus, la plupart des intérimaires, tous vêtus de t-shirt jaunes, fonctionneront par binôme, avec une cage d’escalier à évacuer entre 7h30 et 9h30, soit en général 26 foyers. Sur la porte de chaque appartement vidé, ils apposeront une gommette rouge. L’évacuation sera validée par les forces de police, qui donneront leur aval au déclenchement de la démolition. “Si il y a des personnes qui ne veulent pas sortir, et il y en aura, sachez que vous n’êtes pas agents de sécurité, vous êtes des facilitateurs. En bas de chaque immeuble il y aura un responsable HMP, ce sont eux qui géreront les litiges. Et si les gens ne veulent vraiment pas partir, ils signeront des décharges, ils assumeront le fait de rester dans leur immeuble quand on fera exploser 17 000 tonnes de béton à côté de leur fenêtres”, explique Didier Raffo.
“Le quartier sera plus calme que jamais”
Les fenêtres justement, sont une des grandes préoccupations. “Vérifiez bien qu’elles sont fermées, et les volets aussi, car avec la poussière, ça va être quelque chose”. Quant aux animaux, contrairement à ce que craignait Marie-Thérèse, “il vaut mieux qu’ils restent à l’intérieur si ils ont l’habitude d’être seuls. Ils entendront un bruit fort pendant 4 secondes et le reste du temps, le quartier sera plus calme que jamais.” Les futurs évacuateurs écoutent religieusement ces explications qu’ils devront répéter le lendemain.
Un tel plan d’évacuation à Marseille est rare. Il s’approche de ceux mis en place pour les déminages ou les débombages, mais touche une quantité de population particulièrement importante ce jeudi. Chaque cas particulier a dû être pris en compte, les personnes à mobilité réduite ou malades, de même que les résidents de la maison de retraite Saint-Paul, qui seront transférés dans une autre résidence à Sausset-les-Pins jusqu’au début d’après-midi. Un travail de coordination important, que Didier Raffo a tenu a accompagner de beaucoup de pédagogie. “J’ai vu les enfants de toutes les écoles du quartier. On a fait des démonstrations de démolition avec de la pâte à modeler, les plus grands ont pu visiter la tour vide et à chaque fois je rencontrais les parents la veille pour qu’ils puissent en parler ensemble”. Pour éviter la panique générale, un mot d’ordre qu’il transmet aux intérimaires : démystifier. “Quand on frappe à votre porte à 7h du matin, on panique forcément”, reconnaît-il.
Ce jeudi un peu avant 10h30, deux coups de corne de brume espacés de plusieurs minutes retentiront dans le quartier vide. Puis la détonation viendra à l’heure dite. Avant que la vie ne reprenne son cours, aux alentours de 12h30.
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Merci pour l’info, en effet vue imprenable depuis les jardins ouvriers de Montolivet, Pensant que ce serait caffi de monde je suis arrivé 1 heure à l’avance, dégun !!étonnant…..
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