Le triomphe presque absolu du Rassemblement national dans les Bouches-du-Rhône

Décryptage
le 8 Juil 2024
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Onze députés du Rassemblement national représenteront désormais le département au palais Bourbon. Les deux grandes villes, Aix et Marseille, sont coupées en deux tandis que le reste des Bouches-du-Rhône ne résiste pas à la vague brune, d'Arles à La Ciotat, en passant par Martigues.

Emmanuel Fouquart face à la presse. Photo : B.G.
Emmanuel Fouquart face à la presse. Photo : B.G.

Emmanuel Fouquart face à la presse. Photo : B.G.

Ils seront onze députés du Rassemblement national à porter les couleurs sang et or de la Provence pour les Bouches-du-Rhône. Trois pour Marseille : Monique Griseti, dans la 1ʳᵉ circonscription de l’Est de Marseille, Gisèle Lelouis, dans le Nord de la ville, et le candidat d’ouverture Olivier Fayssat dans le Sud. Ils sont huit dans le reste du département, des rives du Rhône aux plages de la Ciotat. Seul l’Aixois Marc Pena met un peu de couleur rose dans une carte qui a viré intégralement au brun.

Dimanche, dans la mairie de Martigues où les électeurs attendent avec fébrilité les résultats de la 13e circonscription, Emmanuel Fouquart garde les yeux rivés sur l’écran de son smartphone. Il y a quelques minutes, à 20 heures, des applaudissements et une timide Internationale ont salué les résultats nationaux inespérés du Nouveau front populaire, arrivé en tête au second tour. Mais sur cette terre communiste, lui, le militant “mariniste” est en train de devenir le nouveau député. L’une après l’autre, les villes envoient leurs chiffres et les résultats sont tous en sa faveur.

Après Fos, Istres, Saint-Mitre, Port-Saint-Louis, le maire de Martigues annonce que la principale commune de la circonscription a placé en tête un représentant du parti à la flamme. “On ne sait même pas qui c’est, grince Gaby Charroux. Ils ont fait campagne avec les visages de Jordan Bardella et Marine Le Pen. On ne sait pas ce qu’il pense des grands chantiers de la décarbonation, du maintien des services publics de la santé. Heureusement, on pourra directement dialoguer avec le gouvernement.

Dans un coin du grand hall, Emmanuel Fouquart ne relève pas. Conseiller municipal et régional, cela fait dix ans qu’il laboure le terrain de la circonscription. Il a déjà préparé ses premiers dossiers de député : le décret qui modifie le statut du terrain du projet Hyvence, à Fos-sur-Mer, les accès routiers du grand port, le contournement de Port-de-Bouc…

Un ancrage sans appel

Il a toutefois du mal à laisser éclater sa joie. “Je suis un ancien gendarme. J’ai appris à masquer mes émotions. Mais, ne vous inquiétez pas, à l’intérieur, ça bouillonne…” Il finit par s’éclipser sans attendre Pierre Dharréville, le député communiste sortant sèchement battu dans ces terres jadis rouges. Il n’ira pas à la fédération RN, près de la place Castellane à Marseille. La menace d’une “manifestation antifa” a contraint le parti à annuler la traditionnelle réunion de militants autour de Franck Allisio, réélu dès le premier tour à Marignane. Finalement, la jeunesse marseillaise est venue crier sa joie, mais sur la butte habituelle de la Plaine et non pas devant un rideau baissé, près d’une place en travaux.

Aucun autre candidat RN du département ne célèbrera sa victoire en public ou même en conviant la presse, dans la lignée d’une campagne où beaucoup ont misé sur une totale discrétion. Pourtant, si, à l’échelle du pays, le parti d’extrême droite est loin de la majorité absolue que certains lui voyaient déjà acquise, localement, son ancrage est désormais une réalité sans appel. Il ne reste plus aucun député du centre ou de droite dans le département.

Pour rivaliser avec le front républicain qui s’est mis en place dans douze des treize circonscriptions, le RN a pu compter sur 56 000 voix supplémentaires, soit une progression de 17 %. En face, entre baisse de la participation (7000 votants de moins) et flambée des bulletins blancs ou nuls (+33 000), les reports entre le Nouveau front populaire et Ensemble ont aussi été imparfaits. En particulier vers la gauche.

Au soir du premier tour, la carte électorale acte un territoire clairement coupé en deux. D’un côté, les deux principales villes où le rose et le rouge le disputent au brun et le reste de la carte, où le vote RN domine très largement. Le RN gagne donc deux députés à Marseille, un député à Aix, du fait du maintien de la macroniste Anne-Laurence Petel, et deux députés sur les rives opposées de l’étang de Berre, au sud autour de Martigues, au nord autour de Salon. Le député Renaissance sortant, Jean-Marc Zulesi, a échoué pour 329 voix à conserver son siège, face au RN Romain Tonussi.

Marseille Divisée, le reste du département emporté

À Marseille, la ville laisse clairement voir ses fractures : entre les arrondissements du centre, du 1er au 8 et les cités populaires où on vote désormais à gauche pour faire barrage au RN, et l’Est de la ville, où le RN remporte les suffrages. Face à la caméra de BFM, le candidat du Nouveau front populaire, Marc Pena, élu dans la 11e circonscription d’Aix, s’essayait à la liste des maux susceptibles de nourrir le vote extrême : déprise industrielle, problèmes de transports, d’insécurité avec la violence liée au narcotrafic marseillais… Les territoires où le RN est durablement installé sont ceux où la ville ne remplit pas toutes les fonctions d’une métropole, ni tous les avantages de la ruralité, à l’écart des troubles urbains.

Le vote extrême se calcifie autour de l’étang de Berre, là où l’État, il y a 40 ans, inventait une ville nouvelle, fondée sur le bassin industriel de Fos. Le maire de Marseille d’alors s’y était opposé avec force. La ville nouvelle n’est jamais vraiment venue. Il y a 30 ans, à Marignane et à Vitrolles, le Front national avait installé son laboratoire et les médias de la France entière venaient voir comment le parti extrémiste mettait sa politique en pratique. Le RN ripoliné est désormais partout. Il triomphe même dans ces terres longtemps acquises à la gauche qui entourent la zone industrialo-portuaire de Fos et Port-Saint-Louis.

“C’est encore plus fort, les ors de la République”

À Martigues, symbole local du communisme municipal, l’élection législative se met en scène à l’hôtel de ville. Derrière un mince cordon, les citoyens viennent assister au dépouillement du scrutin du bureau n°1. C’est le maire lui-même qui sort de l’urne les enveloppes et les distribue autour de trois tables. Puis il vient annoncer au micro les résultats du bureau, puis ceux de la ville, puis ceux de la circonscription. Par trois fois, le résultat est le même : il place en tête, Emmanuel Fouquart, l’ancien gendarme qui a mis un costume sombre et discipliné ses cheveux pour l’occasion. Ceux qui le connaissent lui jettent des regards noirs. Il n’en a cure : il suit des yeux les messages qui, un par un, comme une vague que rien n’arrête, viennent lui annoncer les bureaux où ils arrivent en tête. Comme au premier tour, comme lors des Européennes, seule la Ville de Port-de-Bouc ne lui accordent pas ses suffrages.

Demain, il devra être levé tôt pour son premier direct sur une radio locale, puis la commission développement durable de la région, avant de préparer son voyage à Paris. “J’y étais déjà allé en 2017, pour découvrir le Conseil constitutionnel, devant lequel j’avais déposé un recours. Là, ça sera le palais Bourbon. C’est encore plus fort, les ors de la République…” Il devra ensuite choisir quel mandat local il souhaite conserver entre le poste de conseiller régional et celui de conseiller municipal de Martigues. Et Emmanuel Fouquart ne le cache pas : son prochain objectif est de devenir maire de Martigues…

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Commentaires

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  1. Andre Andre

    Si ce n’est dans les BduRh, au niveau national, le barrage anti RN a porté ses fruits, relativement toutefois.
    Mais après? Cet alliance de partis totalement opposés avec pour seul objectif de faire barrage ne réglera rien.
    D’abord, quelle légitimité ? La plupart des députés de gauche et macronistes ont été élus avec les voix de leur adversaires, parfois de très peu comme aux Pennes Mirabeau. Aucun groupe à l’Assemblée n’aura les moyens d’appliquer sa politique.
    Mais aussi et surtout, comme après chaque “front républicain”, le RN sort renforcé.
    Combien de fronts pour quels résultats à moyen terme? La progression du RN, même ralentie, est inexorable. Elle le sera tout autant que les attentes d’une part croissante du peuple ne seront pas entendues. A moins de changer le peuple?…

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Cher André, je n’arrive pas à bien comprendre votre analyse. 1°) Alliance de partis totalement opposés: le NFP est le seul a avoir donné un programme de gouvernement. 2°) La légitimité: les voix des votants n’appartiennent qu’à eux-mêmes et non aux partis: ça s’appelle la démocratie. 3°) Déjà dans la dernière législature, aucun groupe n’avait la majorité. Les groupes de cette 17° législature ne sont évidemment pas encore constitués. 4°) Sans front républicain, le RN aurait une majorité absolue à l’Assemblée Nationale. 5°) Ces élections démontrent que la progression du RN n’est pas inexorable et peut être stoppée.

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    • Titi du 1-3 Titi du 1-3

      @Richard, votre 5°) est disctutable, la progression du RN entre les deux derniers tours est juste inférieure à celle entre les européennes et le premier tour des législatives. Si on compare les deux dernières législatives la progression est flippante.

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    • Andre Andre

      Richard Mouren, quand j’évoquais “l’alliance de partis” je ne faisais pas référence au NFP mais au front républicain et donc aux alliances purement conjoncturelles et artificielles du 2me tour.
      Quand au élus, leur légitimité constitutionnelle est indiscutable mais la légitimité politique sur le fond, se discute. Ils se sont fait élire au profit d’un ” barrage”, avec très souvent les voix de leurs adversaires dont le projet politique est inverse. Le niveau zéro de la démocratie.
      Nous ne serions pas dans cette triste situation si on avait vraiment combattu le RN par des mesures permettant de répondre aux problèmes liés à l’appauvrissement d’une partie de population, son sentiment de déclassement, l’insécurité, l’immigration incontrôlée, le mépris de la classe dirigeante. Mais il est vrai que le rapport Terra Nova de 2012, “wok” avant la lettre, prônait de s’intéresser avant tout aux “minorités”, considérant que la classe ouvrière, (ces “blaireaux incultes”) étaient perdus pour la gauche….

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  2. Félix WEYGAND Félix WEYGAND

    Le RN a continué avec plusieurs députés fantômes, notamment à Marseille deux vieilles dames ignorantes dont au fond personne ne connait les noms, les électeurs ont voté “pour Marine”, “pour Jordan”, et surtout contre ce qui leur fait peur, en ville : les incivilités, les étrangers, les jeunes, l’insécurité, dans la périphérie : l’essence trop chère, la disparition des services publics, la crainte de devenir “comme en ville”…
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    Le NFP envoie siéger des parlementaires qui existent pour de bon ! Certes il s’agit d”une coalition où tout le monde n’est pas sur la même ligne, mais ça s’est le propre de toute alliance (honnêtement le programme de Ciotti n’a rien à voir avec celui de Bardella, pour ne rien dire du gloubi-boulga du camp Macron -qui n’est d’ailleurs plus un camp).
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    Le pouvoir est revenu au parlement sans majorité absolue. Il faut donc un gouvernement issu du NFP, qui là où il a latitude applique son programme par ordonnances ; là où ce n’est pas le cas vienne au parlement avec des projets de loi qui seront débattus, amendés, et, finalement passeront ou non… selon qu’ils trouvent des majorités ou pas. et bien sûr sans majorité absolue ces majorités seront composites, variables, soumises à des débats et des compromis, le textes donnant lieu à amendements et à réécriture par le parlement.
    Ca s’appelle la démocratie, ça se passe comme cela dans plein de pays parfaitement équilibrés, et ce n’est pas si compliqué.
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    Je me permets d’enfoncer le clou avec un exemple qui me tient à coeur : la loi sur la fin de vie. Est-ce que quelqu’un peut honnêtement douter que le projet de loi du précédent gouvernement ne peut pas être repris en débat parlementaire, réécrit en commission et trouver une majorité où il n’y aura non seulement les élus du NFP mais aussi des parlementaires du “centre” de la droite et même de l’extrême droite pour le voter ?
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    Beaucoup de textes pourront connaitre cette issue.
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    Plus important et seul véritable point sur lequel il y aura un vrai débat proprement politique : le budget ! C’est là que comme l’a dit hier soir Raphaël Glucksmann il va “falloir être adulte” : personne ne peut laisser l’Etat sans budget, donc on va bien voir si les parlementaires se comportent en adultes ou font de la surenchère politicienne pendant les débats… mais ce qui est sûr c’est qu’à la fin, ou il y a un budget voté par la représentation nationale, ou c’est la haute fonction publique qui fera “tourner la boutique” avec les moyens du bord.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Au lendemain des législatives de 2022, qui avaient clairement montré à Macron que sa réélection n’était pas due à un vote d’adhésion, j’ai espéré qu’il tente de créer une coalition sur quelques idées fortes. Ca aurait eu le mérite de donner un peu d’air à cette République épuisée qui ressemble trop à une monarchie absolue.

      C’était compter sans l’orgueil du bonhomme, qui croit qu’il a raison tout seul sur tous les sujets et méprise tout le monde.

      Il a promis, le 12 juin dernier, de “gouverner différemment”, “avec respect” : nous verrons si ce virage à 180 degrés aura bien lieu, ou s’il s’agit d’une nouvelle promesse sans lendemain, comme toutes les précédentes.

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  3. SLM SLM

    @Benoît Gilles

    Je suis extrêmement(!) surpris, pour ne pas dire choqué, de l’emploi des mots brun ou brune dans votre article.

    Aussi détestable, et c’est là exclusivement mon opinion personnelle, que soit le RN, par son histoire, ses idées, son projet, son incapacité à administrer les territoires qu’il a conquis etc., il est bon de rappeler que chaque mot a un sens.

    En l’occurence, le terme “brun, brune”, pris en son sens figuré, fait directement et explicitement référence à la couleur des chemises des partisans d’Adolf Hitler. Ca n’est pas moi qui le dis, mais le Robert : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/brun

    Or, vous écrivez trois fois ce terme : une fois dans le chapô et deux fois dans l’article. Il ne peut donc s’agir d’une erreur rédactionnelle dans le choix de son utilisation.

    Cela mérite à mon sens une sérieuse clarification vis-à-vis de vos lecteurs quant à l’opinion que vous-même et/ou la rédaction de Marsactu avez du RN.

    Car faute de clarification, vous laissez exister le risque que vos lecteurs assimilent à la lecture de cet article le “triomphe presque absolu” du RN dans le département à la prise du pouvoir par le parti nazi en son temps. La référence est lourde de sens.

    Vous avez parfaitement le droit de penser et d’écrire cela ; mais aussi et alors le devoir de l’assumer afin que les lecteurs sachent s’ils lisent, et financent par leur abonnement, un journal d’investigation, certes positionné à gauche, ou un journal d’opinion.

    La différence entre les deux est fondamentale.

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    • RML RML

      Il me semble que les revelations sur Bardella entre les deux tours et les dérapages de certains candidats ne laissent aucun doute.
      Lorsque qu’un militant hier soir, interviewé par une chaîne de télé , dit en direct : ” c’est le tropisme antifasciste des autres partis qui nous a fait perdre” ou un élu rappelle ” plus besoin d venir avec des croix gammées” ça ne relève pas de l’opinion, mais des faits.
      Et un journal d’investigation doit le dire. C’est tout à son honneur.
      Le RN ne cesse de mentir sur son héritage et ses convictions. Ce n’est pas une opinion. C’est un fait.

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  4. Escartefigue Escartefigue

    Tout à fait d’accord avec vous RML, il serait souhaitable d’arrêter de faire semblant de ne pas connaître la colonne vertébrale idéologique de l’extrême droite. Avec la complicité de nombreux media, le RN peut déclarer sans vergogne ne pas être un parti raciste! La guerre, c’est la paix ou bien?

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    • Andre Andre

      Pour moi, il.n’y a qu’une seule question. Pourquoi donc ne s’est on jamais vraiment interrogé sur les ressorts du vote RN?
      Car, si on apprend que dans ce parti il y a encore de vrais fachos, ce n’est pas le cas de l’immense majorité de son électorat (autour de 40 pour cent, une paille!) qui attend des réponses à ses inquiétudes, souvent légitimes

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  5. Alain PAUL Alain PAUL

    Il y a un bon résultat, c’est la fin de Bardella

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  6. uneetoilefilante uneetoilefilante

    Le déshonneur en plus de la défaite pour Petel.

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  7. Alceste. Alceste.

    Et voilà LFI commence, Rodrigo Arenas député de Paris annonce la suppression de la circulaire concernant l’abaya dans les écoles.
    Parti anti laïcité, communaurariste .La suppression de la charte républicaine dans le programme LFI en est le plus bel exemple.
    Bienvenu Martin doit faire des triples boucles piquées au cimetière.

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