L’ex directeur d’un Monoprix marseillais jugé pour avoir refusé un chien-guide et son maître

Reportage
le 5 Juil 2024
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Ce vendredi se déroulait le procès d'une altercation filmée en 2018 dans un Monoprix marseillais. Un jeune homme malvoyant et son chien-guide s'étaient vu refuser l'accès au magasin. L'ancien gérant du supermarché des Cinq-avenues encourt jusqu'à six mois de prison avec sursis.

Arthur Aumoite et ses soutiens entrent dans le tribunal correctionnel de Marseille ce vendredi 5 juillet 2024 (Photo : AC)
Arthur Aumoite et ses soutiens entrent dans le tribunal correctionnel de Marseille ce vendredi 5 juillet 2024 (Photo : AC)

Arthur Aumoite et ses soutiens entrent dans le tribunal correctionnel de Marseille ce vendredi 5 juillet 2024 (Photo : AC)

Début d’audience, à la chambre 11A du tribunal correctionnel de Marseille. Ce vendredi 5 juillet, toute la salle se lève pour accueillir la présidente. Y compris les trois ou quatre chiens guides sagement installés sous les bancs du public. Arthur Aumoite a fait le choix de venir sans le sien. La dernière fois que le jeune homme malvoyant avait foulé le sol marseillais il y a six ans, sa chienne Loya et lui n’avaient pas été les bienvenus dans le supermarché Monoprix des Cinq-avenues.

Les faits remontent au 21 septembre 2018. Arthur Aumoite, accompagné de son colocataire Martin, venait ce jour-là rendre visite à la famille de son ami. Afin de ne pas s’y rendre les mains vides, les deux comparses lillois s’étaient arrêtés au Monoprix qui fait l’angle entre le boulevard de la Blancarde et la rue Maréchal-Fayolle pour acheter quelques denrées pour l’apéro. À peine sont-ils arrivés dans le magasin, le directeur de l’établissement, en poste depuis deux ans au moment des faits, leur intime de quitter les lieux. Selon ses dires, la présence de la chienne d’Arthur allait à l’encontre des normes d’hygiène du magasin. Arthur Aumoite brandit alors des documents attestant de son bon droit. Le jeune homme de 26 ans refuse de quitter les lieux, par principe, et s’ensuit une altercation musclée, avec quelques bousculades.

Appelés par le directeur de l’établissement, les policiers donnent raison au client.“Et là, changement radical de posture. Le personnel m’a proposé de faire mes courses, mais je n’ai pas eu envie de donner un seul euro à la société de l’homme qui, à mon sens, m’avait violenté”, raconte Arthur Aumoite à la barre.

Trop souvent témoin des refus qu’enchaine son ami en raison de la présence de Loya, le colocataire filme la scène sur son smartphone. Se considérant victime de discrimination, le jeune homme malvoyant la publiera quelques jours plus tard sur internet. La vidéo est très partagée, elle comptabilise à ce jour plus de 300 000 vues sur YouTube. Monoprix s’excuse publiquement sur ses réseaux sociaux dès le lendemain de la publication et licencie le directeur de l’établissement.

Devant les juges ce vendredi, six ans après les faits, l’ancien directeur se plaint de la médiatisation de l’affaire. “Ma famille a subi des menaces. Ma plus grosse peine, ce sont les médias”, décrit-il. “Il n’a jamais été question de mettre le chien dehors, mais de le mettre à l’entrée du magasin, maintient-il. Je n’ai pas pu développer parce que ça s’est envenimé. 

Un procès hautement médiatisé

Passé la polémique, ce n’est que le 9 juillet 2019 qu’Arthur Aumoite va se décider à porter plainte pour des faits de violences et de discrimination fondée sur un handicap. “La vidéo, c’est d’abord une preuve pour le tribunal et c’est un outil pour sensibiliser les gens”, explique-t-il à Marsactu en amont de l’audience. Le jeune homme malvoyant est désormais investi dans cette cause. En septembre 2023, il a été nommé vice-président du conseil national consultatif des personnes handicapées après plusieurs années de bénévolat. Sur son compte Instagram, ces derniers mois, il a intensifié la publication de vidéos courtes qui visent à partager le quotidien de maitre de chien-guide. Il est accompagné par une agence de communication pour faciliter la médiatisation de ce procès.

Projetée non sans difficulté et système D durant l’audience au tribunal, la vidéo de 2018 a été au cœur des débats. Si la violence de l’altercation n’a été qu’assez peu débattue, l’enjeu de ce procès repose sur la qualification de discrimination. Avec la question, difficile à déterminer à partir des images, de savoir si le directeur a pu voir les documents attestant de l’invalidité du plaignant et du rôle du chien. “Ce procès, c’est un enjeu de principe, il s’agit de faire jurisprudence, confie l’avocat d’Arthur Aumoite à Marsactu. Nous souhaitons une qualification. Que ce soit reconnu comme étant une discrimination”.

Pour le Défenseur des droits, qui a été saisi par la procureure de la République, le chien guide d’aveugle est indissociable de la personne aveugle et donc Arthur Aumoite a bel et bien subi une situation de discrimination ce jour-là. De nombreuses associations se sont formées parties civiles pour plaider également dans ce sens.

Arthur Aumoite devant le tribunal correctionnel de Marseille ce vendredi 5 juillet 2024. (Photo : AC)

Une fois qu’Arthur Aumoite a terminé de répondre aux questions à la barre, c’est le nouveau gérant du Monoprix Blancarde qui l’a aidé à rejoindre sa place. Appelé à témoigner à la barre par le groupe Monoprix, ce dernier a expliqué qu’il recevait désormais dans son établissement régulièrement des clients ayant des déficiences visuelles, mais aussi des chiens-guide en formation.

Au terme de quatre heures d’audience, la procureure a requis six mois de prison avec un sursis simple à l’encontre de l’ancien directeur du magasin. Les avocats d’Arthur Aumoite, de leur côté, ont sollicité 11 000 euros de dommages et intérêts. “Nous, ce qu’on demande, c’est relativement faible. On ne veut pas que ça puisse desservir le dossier”, expliquait Arthur Aumoite qui s’est fait accompagner gratuitement par ce cabinet d’avocats, sensible à cette cause. Remplacée par Snoop et désormais à la retraite, Loya peut se reposer en attendant le délibéré qui sera rendu le 27 septembre.

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Commentaires

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  1. Andre Andre

    J’espère que le directeur du magasin va morfler un max. Discrimination ou pas, ce qu’il a fait est juste dégueulasse.

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