Face à un RN en conquête, le député de Martigues, Pierre Dharréville se pose en résistant

Reportage
le 5 Juil 2024
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Dans la 13e circonscription, à Martigues, Fos et Istres, le frontiste Emmanuel Fouquart est arrivé en tête au premier tour. Il veut l'emporter face à Pierre Dharréville, le député communiste sortant, qui espère résister à la vague annoncée.

Pierre Darrhéville, à la Tchikita cabana, sur la plage de Ferrière, à Martigues. (Photo : BG)
Pierre Darrhéville, à la Tchikita cabana, sur la plage de Ferrière, à Martigues. (Photo : BG)

Pierre Darrhéville, à la Tchikita cabana, sur la plage de Ferrière, à Martigues. (Photo : BG)

Il est où Brian ?” La question fait sourire Emmanuel Fouquart et sa suppléante, Gisèle Fernandez. Ils sont de la génération à avoir connu le manuel d’anglais et le sketch de Gad Elmaleh. Plus que le militant nommé ainsi qu’ils attendent de pied ferme, en cet avant-dernier jour de campagne. “Il a fini tard, hier“, l’excuse le candidat RN. Ensemble, ils doivent tracter sur le marché de Martigues. Le jeune homme vient de Gignac-la Nerthe, dans la 12e circonscription voisine, où Franck Allisio l’a emporté au premier tour. “Du coup, il vient nous donner un coup de main“, glisse le Martégal, visiblement fatigué.

Brian est donc en campagne pour le RN. Et contrairement à ce que dit la quasi-totalité des adversaires du parti frontiste dans ces élections législatives, “nos candidats sont tous sur le terrain“, affirme Emmanuel Fouquart. “Ce n’est pas parce qu’ils ne répondent pas aux journalistes qu’ils ne font pas campagne”, contre-t-il. Lui, bonne pâte, répond à toutes les sollicitations. AFP, France Bleu, BFM (et même Télérama, qui suit BFM) se succèdent à ses côtés, en ce jeudi matin.

Arrivé en tête au premier tour avec 47% des votes et 1643 voix d’avance, l’ancien gendarme, touffe de cheveux blanc et chemise tout aussi immaculée, croit clairement en ses chances, après avoir échoué en 2017 et 2022. “Sauf s’ils nous battent par la fraude“. En guise d’exemple, il cite le discours du maire de Port-de-Bouc, lors de la célébration de l’appel du 18 juin, “où il nous comparait aux nazis”, dit-il, “avec les moyens de la commune“.

Poèmes de député en “fraude”

Il cite aussi cette adjointe martégale qui a distribué des poèmes de son adversaire Pierre Dharréville, le jour de la fête de la musique. Ou cette association de gestion d’un centre social, “subventionnée à hauteur de deux millions d’euros” qui a placardé partout des affiches appelant à voter contre lui. “S’ils nous battent dans les urnes, on les battra devant les tribunaux“, prévient-il.

Il a fait ses calculs, en additionnant les voix des candidats Reconquête, Debout la France et LR, il ne lui manque plus grand-chose pour obtenir la majorité absolue. “Ce sont eux qui doivent aller chercher des voix. Moi, tout ce que j’ajoute en plus me rend plus difficile à battre“. Reste à savoir ce que feront les quelque 3000 électeurs de Lila Lokmane, la candidate macroniste qui a très clairement appelé à faire barrage au RN.

Emmanuel Fouquart, sa suppléante et Brian, un militant sur le marché de Martigues. (Photo : BG)

Si Emmanuel Fouquart est en lice une troisième fois, il a tout de même fallu que Franck Allisio tranche en sa faveur puisque le nouvel allié, Éric Ciotti, aurait bien vu un candidat estampillé de l’union des droites dans cette circonscription de conquête. “Mais il a estimé qu’il n’y avait pas de raison qu’elle ne me revienne pas, alors que j’y suis implanté“, se félicite-t-il.

Conquérant “mariniste”

Le candidat peine un peu sur les premières mesures que son parti prendra en cas de majorité absolue. “Ce sera le pouvoir d’achat, la baisse de la TVA sur le carburant, les produits de première nécessité… La sécurité…  J’ai pas tout intégré, en fin de campagne, je fatigue“, avoue-t-il. Le militant RN depuis 2012 qui se définit sans hésiter comme “un mariniste“, a surtout la mairie de Martigues dans le viseur. S’il n’a rien contre une écharpe de député, il a le maire PCF Gaby Charroux dans le pif et déroule plus volontiers sur les méfaits supposés du maire de Martigues, que sur le programme du gouvernement. L’affaire Semivim, l’héritage de Paul Lombard, le maire historique… Il est intarissable sur sa commune d’adoption, un des derniers bastions communistes en France, lui le haut-savoyard, installé là depuis plus de dix ans. “Quand on a été élu, on avait interdiction de parler aux agents. Maintenant, si vous voyiez comment on est accueillis…

Sur ce point, il faudra le croire sur parole. Sur le reste, Emmanuel Fouquart est loin d’être chassé du Cours comme le loup blanc. Même si un militant du Nouveau front populaire refuse de saluer ce “membre du parti fasciste“. Quelques Martégaux grisonnants le saluent, l’encouragent pour dimanche. “Tiens, voilà Ali“, dit-il en voyant arriver un grand gars grisonnant. “C’est un ami“, précise-t-il. “Votre ami maghrébin“, rétorque-t-on, taquin. Il se ferme, vexé, puis répond : “Lui se dit Maghrébien“. La blague…

L’étiquette d’extrême droite l’agace. Ce n’est pas son monde, aime-t-il à dire. “Avant que Marine arrive, je votais à droite“, précise-t-il. Et contre son père, face à Chirac à la présidentielle de 2002 ? “Franchement, je ne sais plus“, évacue-t-il. Avant d’avouer, qu’à l’époque, oui, il avait fait barrage contre le FN.

Sur le marché, il finit par retrouver Brian. Il propose ses tracts à qui les demande. “Officiellement, on n’a pas le droit de les distribuer“. Comme le fascicule oppose Mélenchon à Bardella, Emmanuel Fouquart prend soin de poser le pouce sur la tête du leader insoumis, “sinon il y en a qui le refusent en croyant qu’on est pour lui“. C’est un des défauts de cette campagne, entièrement centrée sur Jordan Bardella.

Dharréville à distance de la presse

Dans les travées du marché, la tête rousse du député communiste sortant dépasse. Il est justement accompagné de Gaby Charroux, le maire de Martigues. Si on peut les saluer, interdiction de les suivre en campagne. Si on veut lui parler, il faut attendre une courte pause dans son agenda d’enfer, quelque part à l’ombre, près de la plage de Ferrières, au bord de l’étang de Berre. “J’ai dit non à tout le monde“, barre-t-il. “Cela fait voyeuriste, cela fausse les échanges. Et puis ça a un côté m’as-tu-vu qui ne me plaît pas“, plaide l’ancien journaliste.

Pierre Dharréville n’a pas attendu la presse pour se pointer au marché. “Ici, personne ne peut dire qu’on ne me voit qu’au moment des élections”, dit-il en citant toutes les occasions qu’il a eues depuis qu’il est élu pour aller à la rencontre de la population. Il ne méconnaît pas le défi d’aller gagner dimanche. “C’est simple, on est en résistance, analyse-t-il. Mais je progresse en voix par rapport aux deux tours de 2022. J’ai 2000 votes nuls ou blancs à aller chercher. Plus les abstentionnistes, plus les gens qui ont voté Macron et ne voteront pas l’extrême droite.

Une affiche de Pierre Dharréville à Martigues. (Photo : BG)

Un combat “anthropologique”

Pour lui, le combat contre le parti d’extrême droite n’est pas seulement électoral. “Il est anthropologique, car fondé sur une inquiétude, une peur, dans une société malmenée par la logique consumériste qui casse les liens et pénètre même la politique, analyse-t-il. Il faut affronter tout cela, ces forces qui désignent le voisin de palier comme la cause de tous les problèmes“.

Et s’il se méfie des médias qu’il connaît si bien, c’est aussi qu’il voit bien comment la simplification des affrontements sert le RN. “Ce sont les médias dominants qui ont transformé l’élection en duel Attal/Bardella, qui focalise des jours durant sur Mélenchon Premier ministre. Ce sont encore eux qui disqualifient la gauche en la qualifiant d’extrême“.  Sur les affiches comme sur les tracts, son adversaire frontiste n’apparaît pas : toute la communication est fondée sur un affrontement binaire entre l’ordre républicain et le chaos.

Pierre Dharréville dit miser sur le dialogue, le combat pied à pied, “dans les quartiers populaires, devant les usines, avec les organisations syndicales, les acteurs culturels…” L’affaiblissement des bailleurs sociaux, la précarisation grandissante, les combats syndicaux piétinés… Le député communiste a tant à dire sur la perte de sens et le sentiment tellement partagé “que les choses ne changent jamais“. Il ne lui reste que quelques heures pour convaincre.

Sur le banc voisin, une dame se lève : elle l’a reconnu. Se lève pour le saluer. “Je suis tellement contente de vous voir. Dimanche, on compte sur vous, pour nous défendre“, glisse-t-elle au communiste, tout sourire. “Je vous assure que je ne la connais pas.” Il faut qu’ils soient des milliers aussi déterminés qu’elle pour qu’il ait une chance de rester député, dimanche.

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