Iliès Hagoug vous présente
Nyctalope sur le Vieux-Port

[Nyctalope sur le Vieux-Port] Soirée de verdure à la Calade

Chronique
le 1 Juin 2024
1

Pour Marsactu, le journaliste Iliès Hagoug raconte la nuit marseillaise, ses feux d'artifices et ses flops, ses nouveautés et ses traditions millénaires. Ce samedi, il assiste à une soirée privée dans un écrin de verdure des quartiers Nord.

Une soirée à la Calade, version nature. (Photo : IH)
Une soirée à la Calade, version nature. (Photo : IH)

Une soirée à la Calade, version nature. (Photo : IH)

Le chemin de la Madrague-Ville est une route importante de l’entrée des quartiers Nord. Du marché aux Puces, il sillonne jusqu’à Saint-Louis, et passe par de nombreux quartiers, et pas que des cités. En contrebas de la Calade, la cité au dos et le port en face, le flanc de colline caché abrite un îlot de vert. Ici, de nombreuses maisons partagent une adresse, et quelques grappes de gens un peu perdus cherchent celle à laquelle ils sont conviés, alors que même le sage Google ne sait plus trop faire la différence. Des outils numériques confus qui remettent à la mode des outils analogiques toujours aussi infaillibles : là où il y a du monde, c’est probablement là. Et celui ou celle qui a l’air d’avoir le plus confiance en lui a certainement raison.

L’imaginaire des mots “quartiers Nord” évoque rarement un pavillon et des bruits de nature, mais tout bon Marseillais sait que la ville regorge de ces coins, connus de ceux qui les connaissent. La Calade ne fait clairement pas partie des premiers lieux autour desquels un habitant du centre-ville prévoit son week-end, mais ce soir, c’est bien du reste de la ville qu’une cinquantaine de personnes sont arrivées ici. Une maison qui fait partie de ces coins secrets accueille ce soir un spectacle de théâtre, finalité d’une année de travaux d’acteurs amateurs, à la base d’un atelier d’improvisation.

Une coloc qui veut “faire profiter les autres”

La maison en est bien une, habitée par six “parfois sept” personnes, mais elle est on ne peut plus adaptée pour accueillir du monde. Il y a ici beaucoup d’extérieurs, un peu autour du pavillon, et surtout en contrebas de la restanque, on atteint un théâtre du jour. Après une descente par un chemin en diagonale, avec une vue qui arriverait à rendre l’industrie du port saisissante, un grand jardin se révèle. Quelques serviettes, quelques chaises, des bancs aménagés au fond. La scène est une terrasse près d’une cabane, mais ne s’arrête pas là. Collé, un long comptoir fait bar, et les tarifs y sont affichés : pastis et vin à 2 euros 20, citronnade “tunisienne” à 1 euro, et quelques casses-croûte. Preuve s’il en est que “la coloc” n’en est pas à son coup d’essai. Aujourd’hui ce n’est pas le thème : l’invitation demandait d’amener quelques boissons, quelques apéros. Le frigo dédié aux provisions du soir est quelques mètres plus loin dans une autre cabane, et on partage. Tout le monde se connaît, est un ami de quelqu’un qui joue ce soir.

Achille, acteur du jour et habitant de la colocation, parle d’une démarche naturelle : “au moment où on a emménagé, il était évident qu’il fallait faire profiter les autres”. Il est, en ses mots, “un peu journaliste, un peu jardinier, un peu régisseur”, et parle de colocataires qui travaillent souvent dans des milieux de création artistique. S’ils sont installés ici, il l’assume, c’est pour des raisons pragmatiques : “le prix, la possibilité d’avoir un grand espace, un jardin”. Ce soir, son rôle est multiple : celui d’hôte, bien sûr, mais il interprétera aussi de nombreux personnages, du loufoque au classique remixé.

Vintage pour trentenaires

Après des bières introductives et une analyse stratégique pour s’installer, sur chaise ou sur fouta, le public est installé. Les deux professeurs de théâtre qui encadrent les acteurs font un mot d’introduction : quelques points sur le respect du jardin, les toilettes sèches ou les points stratégiques du jardin qui peuvent faire office, un remerciement d’Achille et ses colocs, et le spectacle s’ouvre. On attaque par une bande audio comme un grand zapping des années 2000, des extraits assez emblématiques pour ne pas avoir besoin de contexte. “Vous en avez assez de cette bande de racailles ? On va vous en débarrasser”. Sans transition : “Onze célibataires coupés du monde”. Un retour vers le futur pour placer un contexte, dans un public majoritairement trentenaire rappelé à son adolescence.

Un grand défilé se met ensuite en place : les actrices et acteurs du jour sont une grosse dizaine, et ils prennent le même chemin que leurs invités, descendent dans le jardin, où ils se croisent, se regardent, s’arrêtent parfois, repartent vite dans des directions apparemment aléatoires. Puis s’arrêtent, pour demander, et répondre à tour de rôle : “pourquoi partir ?”. Les réponses seront forcément poétiques et évocatrices.

La scène se vide un peu puis l’action se concentre autour d’une table. Un groupe d’activistes, visiblement, tente d’enregistrer son manifeste, mais n’arrive même pas à le lire. Jusqu’à ce que l’un des membres craque, ne parvenant même pas à lire. “Il faut qu’on se mette d’accord”. Et bien sûr, c’est impossible : le groupe ne parvient même pas à se définir une mission, dans un absurde limpide.

De quoi rappeler des souvenirs à toute personne ayant essayé de monter quelques projets. Il y a des archétypes qui parlent à tous. “Il faut redéfinir par un mot, chacun son tour, notre mission !”. “On ouvre des bières ? Parce que là, on boit du café et normalement quand on fait une réunion c’est des bières ou du vin”.

Roméo et Juliette marseillais

Le zapping revient, en direct cette fois. Un acteur, assis en bord de scène, appuie sur une télécommande et des groupes se forment, se déclenchent. Pour passer à du Shakespeare, en marseillais. Les Capulet et les Montaigu sont ce soir deux familles rivales de Marseille, qu’une chaîne d’info en continu se délecte de couvrir, relayant à chacun des clans les insultes de l’autre, celle de “pain sucé” agitera particulièrement, déclenchant l’inévitable bagarre. Les éternels amoureux sont invités à embarquer sur le bateau en partance de l’Estaque, à une heure de marche d’ici, ou 28 minutes en faisant confiance à la RTM.

“L’objectif était de s’amuser, de prendre du plaisir. Si on a fait rire au passage, c’est encore mieux. On ne pensait pas livrer un grand spectacle professionnel.” Achille et le reste de la troupe ont visiblement passé un bon moment, et la fin du spectacle fait place à des embrassades, à des félicitations, et bien sûr à un apéro qui durera, suivi d’un départ dans un défilé souvent fait d’atteinte de son chauffeur Uber. Dans ce grand groupe d’amis, d’amis d’amis, personne n’est du quartier et les gens se ressemblent, pour former une soirée monochrome. Achille parle bien volontiers d’autres spectacles, parfois “en bas des cités”. La critique entendue, il invite à repasser pour d’autres événements à la coloc de la Calade : “ils n’ont pas toujours le même objectif”.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Alain PAUL Alain PAUL

    Ahh, je vois que les pentes nord de Marseille se portent toujours aussi bien
    A mon époque … elles regorgeaient de sites analogues et amicaux
    ça me rappelle de bons souvenirs
    Je trouve que c’est bien vu
    Merci Iliès

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire