Les adieux à La Platine, dernière “imprimerie libre” de Marseille
Dernière imprimerie traditionnelle nichée au cœur de Marseille dans le quartier de Longchamp, la Platine, spécialisée dans les tirages artistiques, vient de fermer ses portes pour des raisons économiques. Plus que la cessation d’une imprimerie, ses fidèles déplorent la disparition de tout un savoir-faire artisanal.
L'imprimerie traditionnelle La Platine ferme ses portes après 24 ans d'activité. (Photo : AC)
Une page se tourne pour le milieu artistique marseillais. La Platine, imprimerie traditionnelle d’exception, la dernière survivante de la ville, dépose le bilan après 24 années de bons et loyaux services. Odile Coulange, la patronne, attendait depuis plusieurs mois l’aide d’un mécène qui n’est jamais venue. “C’est la fin de l’imprimerie libre à Marseille”, se résout amèrement celle qui a consacré sa vie aux tirages d’exception. Dans cette imprimerie située à Longchamp, rue Jean de Bernardy, du nom d’un ouvrier typographe résistant, ce sont principalement les artistes qui venaient chercher des conseils et passer commande. Odile Coulange ne renonçait jamais à expérimenter avec eux des techniques inédites, possibles grâce aux outils traditionnels. “Avec les machines numériques, il n’y a plus rien de drôle”, déclare-t-elle avec tristesse. De toutes ces réalisations, aujourd’hui, seules quelques affiches pendent encore sur un fil, accrochées par des pinces à linge.
Née dans le panier, Odile Coulange, 55 ans, s’est formée avec son père, Bernard Coulange qui était lui-même imprimeur à Saint-Just. En 2000, alors que la ville compte encore de nombreuses imprimeries, elle achète celle de Jean-Pierre Pramayon à Marseille, composée de quelques machines, dont une platine Ofmi Garamond qui donne le nom à son enseigne. Erick Themista manie ces colosses à ses côtés en tant que “conducteur” depuis 2017. Il n’a pas cessé de l’accompagner ces derniers mois malgré son départ à la retraite en 2023.
Pendant une vingtaine d’années, ses “impératrices”, comme elle aimait à les surnommer, lui ont permis d’imprimer cartes postales, livres, affiches, tarots, faire-part, pochettes de disque… “On est des imprimeurs de labeurs et des imprimeurs de ville, donc on servait tout le monde au final”, résume Odile Coulange. Au cours de sa carrière, l’artisane a eu des commandes très variées. Des cartons VIP pour les concerts de Madonna, de Johnny Hallyday et des Rolling Stones, aux livrets pour l’église de Saint-Mauront en passant par l’ensemble des ouvrages des éditions underground marseillaises Dernier cri, les machines de La Platine ont fait couler de l’encre pour de nombreux clients. Désormais vendus et mis sur des palettes, ces colosses de plusieurs tonnes sont sur le point d’embarquer en direction du Sénégal.
“J’ai appris plein de choses à La Platine. C’était un moment très important dans ma carrière de graphiste”, confie la professeure d’arts appliqués Violaine Barrois qui avait collaboré avec Odile Coulange en 2017. Très émue, l’artiste raconte son “admiration sans borne” pour cette femme qui “donnait de sa personne, de son énergie” et qui “savait lire dans l’esprit des graphistes”. Violaine Barrois se souvient d’une place particulière accordée à l’expérimentation à La Platine. “Je me sentais très bien accompagnée, c’était hyper agréable, Odile a un grand savoir-faire. Et Erick, lui aussi, c’était un amour, quelqu’un de très doux et très patient qui n’était pas misogyne, ce qui est suffisamment rare dans le milieu de l’imprimerie pour être souligné.”
Christian Besse, lui, a fourni le papier spécialisé de marque Fedrigoni pendant une dizaine d’années. “Elle arrivait à montrer que sur un papier 100 % naturel, on pouvait faire des œuvres d’art”, se souvient-il. Odile Coulange se démarquait pour lui grâce à ses compétences devenues rares : “C’est une personne qui vous écoutait et qui était capable de vous conseiller sur votre matière première.” Désormais à la retraite, il regrette cette fermeture. “C’est dommage pour la culture en général parce que c’est un savoir-faire qui s’en va.” Savoir-faire qui avait valu à La Platine la mention Artisan d’Art par la Chambre des Métiers des Bouches-du-Rhône en 2017.
“Un endroit où il se passait des choses”
Marianne Doullay avait fait imprimer son livre de cuisine Cook’n’Roll en 2018 à La Platine. Adepte de produits locaux pour ses recettes, l’autrice voulait “une imprimerie proche de ce [qu’elle] défend” : “C’était donc naturel d’imprimer en traditionnel et pas en numérique. Mais au-delà de l’artisanat, La Platine, c’est un lieu de rencontres, un endroit où il se passait des choses. Ce n’était pas qu’un lieu d’impression sur papier, c’était aussi de l’impression humaine”. Odile Coulange accueillait dans ses locaux des expositions, mais aussi des plus jeunes pour transmettre sa passion. Il y a quelques mois encore, quelques enfants de l’école primaire Parc Bellevue de Félix-Pyat étaient venus découvrir son métier.
Attablée dans le coin cuisine après le déjeuner, Odile Coulange fume une cigarette. Sylvie, une amie qui tenait un restaurant dans le quartier, passe entre deux ménages partager un reste de riz. Elle est très remontée. “Jamais cette entreprise aurait dû tomber. Il y avait un bon papier, de vraies encres”, s’emporte-t-elle. “Aujourd’hui les gens ne savent plus différencier les reprographes des imprimeurs”, se résigne Odile Coulange. Les temps sont rudes pour les imprimeurs traditionnels depuis déjà plusieurs années. À Marseille, tous ont fermé au fur et à mesure. Odile Coulange avait créé une association nommée sobrement L’imprimerie en 2018 pour passer à terme en statut associatif unique.
Si ses impératrices sont faites dans de l’acier de chars d’assaut refondu, Odile Coulange n’est pas moins inquiète de les voir un peu brutalisées pour partir au Sénégal. “Les acheteurs ne font pas dans la dentelle !”, constate-t-elle en se rallumant une cigarette. Très marquée par cette fermeture et souffrant de problèmes cardiaques, Odile Coulange espère pouvoir vider le plus rapidement possible le local afin de rendre les clefs à son propriétaire. Des collégiens de Saint-Mauront sont venus récupérer du papier. Elle prévoit d’organiser un ultime évènement pour vendre ses dernières productions et faire ses adieux à La Platine.
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Lorsqu’on lit que la dernière imprimerie traditionnelle marseillaise ferme ses portes, il est paradoxal de savoir que Marseille fut, il y a quelques décennies, l’une de villes et peut-être la ville française qui comptait le plus d’imprimeries. Autour de moi, des proches beaucoup plus jeunes ont appris à utiliser le plomb, les couleurs et la poudre d’or pour les ouvrages d’art mais aussi la lithographie, la sérigraphie et la bonne marche des rotatives pour les journaux à grand tirage. Les machines ont tué les métiers du Livre, ce qui est grave car être imprimeur allait bien au-delà de l’impression elle-même; mais aussi tout un savoir-faire spécialisé dont n’existe actuellement que de très rares représentants. A quoi bon un offsetiste, un correcteur quand la brochure, le roman, est saisi sur ordinateur à un bout et sort broché à l’autre? Parallèlement, les “imprimeurs” actuels, les agences de com, sont pris à la gorge par les crédits en leasing. Je reste persuadée pour avoir connu la “grande” époque de l’imprimerie et de la presse-papier que l’extinction des métiers du Livre, en supposant qu’elle a favorisé l’approche de la lecture pour certains, est une perte immense.
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