Tour B de Félix-Pyat : les scénarios d’une possible disparition

Décryptage
le 13 Mai 2024
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Depuis décembre, les collectivités territoriales et l'État ont acté la démolition de la plus grande tour de la copropriété du parc Bellevue, à Félix-Pyat. Mais, d'après une étude commandée par Marseille habitat, le plus gros propriétaire de la tour, de multiples scénarios sont sur la table. Les habitants demandent à être associés à ces choix.

La tour B du parc Bellevue surplombe le nouveau parc Bougainville. (Photo : Emilio Guzman)
La tour B du parc Bellevue surplombe le nouveau parc Bougainville. (Photo : Emilio Guzman)

La tour B du parc Bellevue surplombe le nouveau parc Bougainville. (Photo : Emilio Guzman)

Rabotée, partiellement détruite, totalement remplacée, l’avenir de la tour B du parc Bellevue est encore en cours d’écriture. En revanche, sa démolition est actée, comme l’atteste le projet de renouvellement urbain du Grand centre-ville, adopté par la Ville et la métropole, en décembre dernier : “La démolition de la tour B [ se fera] avec le concours de l’agence nationale de rénovation urbaine“, peut-on y lire. L’Anru a même validé le montant de sa subvention, à hauteur de 8,7 millions, soit 80 % du coût total de l’opération, estimée à 14 millions d’euros.

Si le principe de la démolition est acté, les conditions de sa mise en œuvre restent à définir. Marsactu a raconté comment le projet pourrait tomber dans l’escarcelle d’Euroméditerranée, l’aménageur public dont le périmètre s’arrête au pied de la tour. Mais, un document que nous avons pu consulter, interroge plus largement sur la forme que pourrait prendre cette déconstruction.

La société d’économie mixte Marseille habitat, filiale de la Ville, possède la majeure partie du bâtiment puisqu’il ne reste que 16 propriétaires privés, dont huit occupent toujours un appartement. Il y a tout juste un an, le bailleur social a été destinataire d’une étude, commandée au cabinet d’architectes marseillais TDSO et au bureau d’études Ginger Deleo, pour plancher sur les différentes “options de travaux de démolition“. Cette étude que nous avons pu consulter et que nous rendons partiellement publique, pose sept scénarios : quatre prévoient un rabotage plus ou moins radical de la tour et de ses deux entrées, B11 et B12 ; trois envisagent une démolition du bâtiment B dans sa totalité, voire du bâtiment A auquel il est collé. Pour la métropole, qui pilote le projet, cette étude de Marseille Habitat a le mérite “de confirmer et d’affiner le scénario choisi pour ce sujet“. Mais, dans sa réponse, la métropole prend bien soin de ne pas détailler l’étendue de la démolition se bornant à préciser que “des études de programmation portant les réflexions sur la suite du projet et notamment l’aménagement d’espaces publics sont actuellement en cours”. Une réunion publique au cours de laquelle “les résultats seront présentés aux habitants” est annoncée pour la rentrée 2024.

Construit en 1960 par René Egger, l’architecte associé à la Ville de Marseille, le parc Bellevue a longtemps été une copropriété tranquille avant de sombrer peu à peu dans une dégradation irrémédiable. Depuis un quart de siècle, les pouvoirs publics tentent de redresser la cité dont une partie des bâtiments sont désormais gérés par les bailleurs sociaux Logirem et Marseille habitat. De l’ancienne cité construite en cul-de-sac, la tour B et ses deux entrées traversantes est le dernier vestige. Le bâtiment est classé parmi les immeubles de grande hauteur (IGH) de la ville, ce qui le soumet à des règles drastiques en matière de sécurité.

Risque incendie et grande hauteur

Le bâtiment a reçu un avis défavorable de la part de la commission de sécurité en 2019. Même si celui-ci a été levé sous réserve de travaux, les plus importants n’ont pas été réalisés, dont l’encloisonnement des cages d’escalier qui doit éviter la propagation des fumées en cas d’incendie. Quel que soit le choix définitif, de la réhabilitation en profondeur à la démolition, le rapport recommande de sortir l’immeuble de la catégorie IGH, trop contraignante en termes de sécurité. La même problématique se pose pour la copropriété Bel horizon, à l’arrivée de l’autoroute A7 près de la gare Saint-Charles, dont la démolition est également présentée comme seule issue possible.

Autre point dur de la démolition : le bâtiment a la particularité d’être en partie intriqué avec le bâtiment A qui le jouxte. “Dans les appartements les plus grands, les salons sont dans le A“, sourit Fatma, présidente du collectif Félix-Pyat, qui suit de près l’avenir de la cité. La plupart des scénarios étudiés par le cabinet d’architecte prévoient donc la réhabilitation de 21 appartements du bâtiment A, quel que soit l’avenir des B11 et 12.

Raccourcir la tour

Le premier des scénarios étudiés permet de sortir de l’impasse de la grande hauteur tout en préservant le maximum de logements sociaux, en supprimant deux étages sur vingt et 16 appartements. Elle permet une “réhabilitation lourde” de 177 logements, en englobant les deux bâtiments. Seul écueil, d’après l’étude, toute solution d’écrêtement ne peut se faire en site occupé, ce qui oblige à un relogement au moins provisoire des actuels habitants. Cette problématique concerne l’ensemble des scénarios qui préservent tantôt le B12, tantôt le B11, tantôt les deux en réduisant considérablement leur hauteur de 14 étages.

L’ensemble des scénarios présentés entre dans l’enveloppe validée par l’Anru, estimée à 14 millions d’euros, même si le coût du désamiantage nécessite un diagnostic affiné pour être réellement évalué.

Trois scénarios sur les sept tablent sur une démolition complète du bâtiment B, remplacé par plusieurs programmes neufs. Le dernier scénario pousse le curseur plus loin encore en proposant de démolir les deux bâtiments B et A, pour un coût global de 13 millions d’euros, assez comparable à celui de la réhabilitation lourde.

Mais l’ensemble de cette étude est biaisé, analyse Patrick Lacoste, membre du comité de maîtrise d’usage du plan partenarial d’aménagement au titre de l’association Un centre-ville pour tous. Il ne prend pas en compte le coût des relogements. Or, la plupart des appartements sont désormais propriété de Marseille habitat. En démolissant la tour, on supprime donc des centaines de logements sociaux, qu’il faudra reconstituer ailleurs, puisque c’est une des règles de la rénovation urbaine. Et, en parallèle, il faudra reloger les habitants, ce qui représente un coût très important pour la collectivité, à l’heure où le département connaît une pénurie en logements sociaux“.

Le collectif Félix-Pyat a qui nous avons soumis les conclusions de l’étude partage cette analyse. “Nous n’avons pas de position de principe sur ce projet, affirme Nazim Belgat, le porte-parole du collectif. En revanche, nous demandons à ce que les habitants soient pleinement associés à la réflexion sur l’avenir de leur cité. Pour cela, nous souhaitons qu’un comité de pilotage intègre les habitants, et notamment notre collectif. Nous demandons également un moratoire social qui permette une remise à plat de l’ensemble du projet et une réflexion la plus large possible sur l’avenir de tout le quartier“.

Les habitants mettent en avant les nombreuses qualités du quartier, le seul en dehors de l’hypercentre, à être desservi par deux stations de métro. Il y a pour eux une nécessité absolue à conserver des logements sociaux abordables, à côté d’un parc, avec autant de commodités. “Les pouvoirs publics doivent prendre en compte l’ensemble des habitants dans les projets qui se dessinent, reprend Nazim Belgat. Y compris la situation des propriétaires occupants qui ne pourront pas se reloger en raison de la faiblesse de l’indemnisation qu’on pourra leur proposer“. Les membres du collectif ont en mémoire la première phase de rénovation de la cité au début des années 2000, où les appartements étaient rachetés pour une bouchée de pain. Ils sont en lien avec des collectifs d’autres cités, y compris des copropriétés comme le parc Corot dont plusieurs bâtiments ont été rachetés avant démolition.

Vers des contre-propositions citoyennes

Appuyé par des experts, architectes et urbanistes, le collectif prépare des contre-hypothèses qu’il espère pouvoir présenter en juin prochain à la population pour initier un débat le plus large possible. Une organisation réunissant des collectifs des différents quartiers de la ville, tous concernés par les projets Anru et les démolitions, est en cours de constitution.
Pour le moment, toutes les hypothèses sont sur la table et aucune n’est privilégiée, affirme pour sa part le conseiller métropolitain Denis Rossi, qui suit les projets de rénovation urbaine à Marseille. Il faut prendre en compte la réalité de tous les habitants, y compris celle des propriétaires qui y ont mis toute leur vie et qu’on ne peut pas laisser sans rien“. Il promet donc de faire “de la dentelle”, en ne faisant pas “de la démolition, un dogme, indépassable“. Dans un article de La Provence, en avril dernier, Samia Ghali, la maire-adjointe chargée de la rénovation urbaine, plaidait également pour une solution concertée, assurant que rien n’était tranché. Dans le document contractuel approuvé en décembre par la métropole et la Ville, “la démolition de la tour B” fait partie des opérations “susceptibles d’être modifiées“. Mais jusqu’où ?

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    La lecture de cet article soulève en moi deux interrogations :
    Comment peut-on encore imaginer prendre de telles decisions qui impactent la vie entière (présent, passé, futur) des habitants, sans les concerter ?
    Comment, après des decennies d’abandon, cette intrusion soudaine des aménageurs peut-elle être vecue ?
    Les habitants sont communément considérés comme responsables de l’état des cités, ils reclament des travaux d’entretien et de sécurisation pendant des années, les pouvoirs publics (et privés) disent ne rien pouvoir faire, et tout d’un coup des plans d’aménagement surgissent, des interventions d’urbanisme vont tout transformer, et on demande aux habitants de se pousser pour ne pas gêner les travaux !
    Comment ne pas ressentir du mépris ?

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    • jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

      LES HABITANTS DOIVENT ÊTRE CONCERNÉS (et non concertés…)
      et c’est eux qui y habitent…

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  2. ALAIN B ALAIN B

    C’est une tour IGH immeuble de grande hauteur, c’est à dire qu’il faut un gardien 24h sur 24h et cela revient très très cher dans les charges pour les habitants, il faut au minimum supprimer les derniers étages ou en fermant les derniers étages
    Il faut bien sûr discuter avec les locataires et les propriétaires et rapidement sinon comment font-ils pour payer ces charges qui ont dû contribuer au mauvais entretien de l’immeuble

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  3. barbapapa barbapapa

    – “8,7 millions, soit 80 % du coût total de l’opération, estimée à 14 millions d’euros.” Il y a comme une erreur de calcul, ou de chiffres, ou de pourcentages, non ?
    – Ce n’est pas les tours qui posent problème, mais l’abandon des quartiers : services publics, polices, poste, espaces verts (c’est quand ceux-ci arrivent qu’on veut faire déguerpir les gens), transports (essayez de prendre le 28 un jour), accès au littoral (c’est quand qu’on réouvre la digue du large ? https://www.change.org/p/rendez-la-digue-du-large? ) qualité des rues et des trottoirs, qualité des écoles, maternelles, médecins, hôpitaux, centres sociaux, colonies de vacances, commerces, etc. A Monaco, les gens vivent très bien dans de grands immeubles…

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Merci de le dire aussi clairement. L’urbanisme, ce n’est pas une question de hauteur des bâtiments. D’ailleurs, à Marseille, il existe des quartiers difficiles dépourvus de tout IGH : leur point commun avec le quartier du parc Bellevue, c’est qu’ils sont tout aussi abandonnés et peu accessibles.

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