[Histoire d’ateliers] L’Atelier M à travers Sabine Besançon

Chronique
le 23 Mar 2024
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

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Dans l'atelier M avec Sabine Besançon. (Illustration Malika Moine)

Dans l'atelier M avec Sabine Besançon. (Illustration Malika Moine)

Chroniquer l’Atelier M est à la fois une évidence et une gageure : en effet, j’ai fait plusieurs stages de gravure taille douce dans cet atelier du 25 cours Estienne d’Orves et j’y retourne souvent pour travailler en compagnie d’autres artistes. L’immeuble dans lequel il se trouve est particulier : il appartient à la famille de Proust, qui depuis plusieurs générations, a décidé que chaque parcelle devait être louée à des artistes… Certes, on trouve aujourd’hui quelques exceptions mais l’injonction est la plupart du temps encore respectée.

Sabine Besançon est résidente et associée de Maoual, le maître des lieux. J’aime son travail parfois réaliste et axé sur un quotidien intime qui parle “de l’art de ne rien faire”, elle qui travaille tant ! L’autre pan de sa recherche, onirique et imaginatif, mêle des animaux et des personnages, allégories de la moquerie, de la colère ou d’autres thèmes complexes…

Sabine Besançon. (Photo M.M.)

Je viens aujourd’hui pour un entretien avec Sabine. Maoual m’accueille avec le traditionnel café. Arrivent Régine, puis Jean-Marc, venus poursuivre leur travail sur des plaques commencées la veille.

Comment Sabine et-elle arrivée à l’Atelier M ? “Mon mari était muté de Paris à Marseille, me raconte-t-elle, et je lui ai dit « Je déménage si je trouve un atelier de gravure taille douce ! ».  J’ai appelé Maoual, on a parlé 10 minutes et il m’a dit « Ok pour venir le mardi et le mercredi ! ». J’avais appris la taille douce pendant mes études de restauration d’œuvres d’art. Il ne pensait pas que je viendrais mais la première chose que j’ai faite en arrivant dans mon studio rue de la Paix, fut de venir ici… “ Jean-Marc vient demander à Sabine où sont les chutes de papier pour faire des essais de tirages. Sabine va jeter un œil, en trouve dans un des grands tiroirs d’un meuble à papier. L’atelier, vaste et bien rempli, peut sembler désordonné. Pourtant, chaque outil, chaque matériel a sa place, pourvu qu’il soit rangé.

Accident de la vie

Sabine reprend : “En 2011, j’ai eu un accident de vie, j’ai perdu une jambe, je suis restée 1 an à l’hôpital. J’ai beaucoup dessiné, et l’accueil de ces dessins était génial (j’en ai fait un livre « Confidence d’un pied cassé », publié en 2017). J’ai mis 1 an à réapprendre à marcher. Beaucoup de gens m’ont aidée. Je venais ici, Maoual portait la chaise roulante jusqu’à l’atelier (au 3ème étage) et je suis devenue sa protégée. La gravure a pris de plus en plus de place dans ma vie. Cette année-là, j’ai changé de ville, de mec, de métier, de corps. Je me suis de plus en plus investie dans l’atelier : j’ai monté des dossiers de demande de subventions, pour faire des travaux, acheter du matériel, et développé la communication autour de l’atelier. J’ai encouragé le collectif d’artistes de l’immeuble. On a développé ensemble les formations professionnelles en gravure taille douce.”

 

Télétravail, une œuvre de Sabine Besançon. (Repro Malika Moine)

Régine vient montrer sa plaque à Sabine, qui lui conseille de refaire une résine pour éviter que l’acide n’attaque la plaque là où elle ne le veut pas. Sabine est toujours de bon conseil en cas d’incertitude et tout en travaillant, elle prend un instant pour donner son avis.

C’est un atelier agréable, car solidaire.

SAbine

“Comment ton travail s’épanouit-il dans cet espace à la fois grand et peuplé ? “, l’interroge-t-on. “C’est un atelier agréable, car solidaire. Il y a une réunion d’artistes dans une ambiance chaleureuse mais parallèlement c’est compliqué de travailler à plusieurs, de trouver son espace. Je suis exigeante pour que les gens soient autonomes les mardis et mercredis. Parfois, j’ai une envie d’indépendance.”

Complexités de la gravure

Je me dis qu’il va falloir que je prenne confiance et acquière de l’autonomie, que je cesse de demander conseil, impressionnée que je suis par les complexités de la gravure, même si les plus ancien-ne-s partagent aussi leur savoir.

“A Paris, poursuit Sabine, les ateliers sont petits, donc les plaques aussi. J’ai pu ici agrandir la taille des plaques. Et avec Maoual, Marie Krauze, Zeynep Perinçek et d’autres, j’ai beaucoup développé le travail de la couleur, un désir que j’avais déjà à Paris, mais qui apparaît un peu comme transgressif chez les graveurs traditionnels qui travaillent le noir. “ Cela nous emmène du côté des outils.

La plaque gravée par Sabine Besançon.

“Ce que je peux te dire, c’est que je grave avec tous les outils et j’aime explorer toutes les techniques. C’est cette multitudes de procédés pour faire du noir, jamais le même, qui m’a attirée au départ dans la gravure : le noir profond, le duveteux, le mat – c’est là qu’on comprend Soulages ! Et j’ai paradoxalement abandonné le noir pour les couleurs… J’utilise trois -quatre techniques différentes sur chaque plaque, elles ne racontent pas la même chose. A chaque technique ses outils : le berceau, le grattoir et le brunissoir pour la manière noire ; les burins pour la taille directe ; la pointe sèche, l’échoppe – pour faire des traits les uns à côté des autres, la roulette – pour faire des motifs, pour la taille directe ; le pinceau pour le sucre… certains outils sont communs à différentes techniques. La griffe de zinc permet de découper les plaques”, décrit Sabine.

Elle ajoute : “Et il y a les outils qu’on invente ou qu’on détourne, éponge, chalumeau, paille de fer… Les maniques – ou castagnettes – pinces découpées dans l’alu pour manipuler le papier. Je ne parle pas des produits, acide nitrique et perchlorure de fer, white spirit, vinaigre blanc, alcool, pour nettoyer les plaques de zinc et de cuivre ; huile, marc de café pour se laver les mains,  ni même des vernis, durs et mous, de la lampe à alcool pour chauffer les plaques, de la tarlatane, des encres grasses…” Vous constatez donc que ma représentation des outils est sacrément incomplète. Et bien sûr il y a la presse, tellement évidente, imposante, magnifique qu’on a omis d’en parler avec Sabine…

Les outils de l’Atelier M. (Illustration Malika Moine)

Financièrement, du coup, comment ça se passe ? “Je ne vis pas de ma gravure, disons qu’elle m’apporte un petit Smic entre les formations – environ une tous les deux mois – et les ventes. Heureusement, j’ai d’autres revenus“, répond Sabine.

Alors n’hésitez pas à pousser la porte de l’atelier un jour de portes ouvertes pour découvrir les gravures de Sabine, Maoual et d’autres artistes qui y travaillent, notamment lors des Journées Européennes des Métiers d’art le 6 et 7 avril 2024 de 10h a 18h. Vous pouvez aussi vous initier à la taille-douce lors d’une formation professionnelle délivrée par Maoual et Sabine. Un univers fascinant s’ouvrira à vous.

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