De la cité des Oliviers à Dubaï, ascension et déchéance d’un ancien “passeur” de cannabis
Au cœur de la deuxième semaine du procès du réseau des Oliviers A, le tribunal correctionnel de Marseille s'est penché mercredi sur le train de vie d'un trentenaire issu du quartier, chargé de vendre la drogue "en semi-gros" à ses différents "clients". Récit.
Le tribunal correctionnel de Marseille. (Photo : CMB)
Il n’avait rien voulu dire aux enquêteurs, mais ce mercredi, devant les magistrats de la 7e chambre du tribunal correctionnel de Marseille, il a parlé, et beaucoup. Ali*, 34 ans, natif des Oliviers A, est poursuivi pour trafic de stupéfiants et blanchiment. Il est en détention provisoire et s’exprime depuis le box. Pour son audition, il s’est vêtu d’un t-shirt blanc. “Aujourd’hui, je reconnais les faits et je vais tout vous expliquer. Je faisais du semi-gros. J’ai gagné de l’argent, mais pas comme les juges d’instruction le disent. Et il me reste plus rien.”
“Alors, attendez. Je vais vous demander de parler plus lentement pour que l’on puisse noter, parce que tout ce que vous rapportez là, c’est totalement nouveau”, interrompt la présidente. On reprend donc depuis le début. Ce mercredi 20 mars est le dernier jour d’audition du tentaculaire procès des Oliviers A, avant les réquisitions attendues pour vendredi. La vingtaine de prévenus a déjà été entendue, il ne reste qu’Ali et son épouse. Plus que pour les autres, l’enquête s’est penchée sur toutes les facettes de la vie de ce couple, jusqu’à sonoriser leur appartement et scruter tous leurs mouvements bancaires. Ce qu’il en ressort : un quotidien chamboulé par l’ascension fulgurante des “affaires” du jeune homme, qui travaille en “indépendant” pour fournir ses “clients”. Dont le réseau des Oliviers A.
Ali est identifié par les enquêteurs à la fin de l’année 2020, lorsqu’il est mis en cause par un renseignement anonyme. Ce renseignement désigne le prévenu comme un “associé” privilégié du chef de réseau des Oliviers A, chargé d’acheminer le cannabis venu du Maroc jusqu’à la grande cité du 13e arrondissement. À cette période, Ali est à Dubaï avec femme et enfant. Il n’est pas du tout identifié comme un acteur du trafic. Il a déjà porté un bracelet électronique pour une affaire mineure, et n’a connu la prison qu’une seule fois, très jeune. Il fait partie des adolescents condamnés dans l’affaire du bus de Marseille, où en 2006, une jeune femme avait été grièvement blessée. Dans la France post-émeutes liées à la mort de Zyed et Bouna, un condamné avait expliqué : “Ce soir, il faut que je brûle un bus… À Paris, ils brûlent et ils passent à la télé, ici, on brûle et on passe pas à la télé.”
Des “passes” à Lyon, Marseille et Nice
Ali sort de prison en 2011, puis a toujours travaillé. Des formations, des contrats dans des entreprises privées, “un job de coach pour entraîner des petits à la Ciotat”. Les “affaires” commencent en 2017 ou 2018. À cette période, le jeune homme se fait un petit réseau de “clients” à qui il revend du cannabis récupéré auprès de fournisseurs. Sur Snapchat, il diffuse aux trafiquants les photos de la marchandise à vendre dans le groupe privé qu’il a créé, “Liga One Industry”. Il parle alors de “5 ou 10 kilos de cannabis. C’était du défauchage [du dépannage], je venais de me marier, ça me permettait d’aller au resto, c’est tout”, soutient-il. Puis arrive 2020. Avec le Covid, le marché de la drogue s’affole. “Et là, j’ai commencé à gagner beaucoup d’argent.”
“Je faisais des passes. Quand un fournisseur récupérait de la marchandise du Maroc, il m’envoyait une photo. Moi, je montrais la photo à mon collègue pour qu’il me dise si c’était de la qualité, parce que moi, je fume pas. Et voilà”. Parfois, Ali est payé à la commission pour ce travail d’intermédiaire. Parfois, il rachète le produit pour le revendre. Il explique que chaque transaction concerne en moyenne “entre 30 et 90 kilos de cannabis”. Comme d’autres avant lui dans ce procès, l’homme préfère quelques fois ne pas répondre aux magistrats. Il ne donne pas le nom de ses clients, mais parle d’un contact à Lyon, d’un autre à Nice.
La présidente lui demande s’il était le fournisseur officiel des Oliviers A. “Mais personne n’est fournisseur officiel de qui que ce soit, madame. Faut que le produit que j’ai plaise au client, déjà. C’est très compliqué de faire une passe. Il y a pas de loi dans la rue”, répond-il.
“C’est Netflix ça, c’est pas ma vie !”
Puis il y a le volet blanchiment. Sur son compte en banque, les enquêteurs notent des gains aux jeux, des paris sportifs, un salaire mensuel versé par La Poste lors d’un CDD effectué en 2020. Puis à partir de 2021, un autre virement mensuel émanant d’une société fictive. “On a même des fiches de paie fictives. C’était pour remplir vos obligations par rapport à votre bracelet électronique ?”, demande la présidente. “Oui, c’est ça. Je filais du cash à un homme, et lui il me faisait des chèques.” Dans une écoute téléphonique, Ali parle à son employeur fictif, à la veille d’un rendez-vous avec son conseiller de probation. “Frérot, je lui dis que je travaille dans quoi ?” Réponse : “Ouais, ouais, c’est vrai que c’est important. […] Dis que t’es commercial itinérant”.
L’une des questions qui occupent les débats est de savoir si oui, ou non, le couple a acheté des appartements lors de ses séjours à Dubaï. Dans les écoutes téléphoniques, sa compagne, lassée d’être seule à la maison avec sa fille, se confie beaucoup à ses proches. La magistrate lit quelques extraits choisis : “Avec les appartements qu’il a achetés pour louer…” Puis un autre jour : “Il a pas 10 millions non plus, je dirais 5 peut-être, et encore, il a acheté.” Ali réplique : “C’est Netflix ça, c’est pas ma vie ! Elle avait aucune idée du business, j’étais jamais là à cette période.”
J’ai pas fait d’études, pour moi, un business, c’est pas forcément avec un manager et un bac +5. Il y a pas ces règles.
Le prévenu
Lui déroule sa version : “Quand je suis parti à Dubaï, j’ai pris 90 000 euros. J’ai pris une location là-bas et j’ai payé à l’année en une fois, soit, 25 000 euros. Le reste, j’ai fait des pool party, j’ai bu beaucoup d’alcool… C’est pour ça qu’elle [ma femme] a dit que je me prenais pour Pablo Escobar. J’ai grillé ma vie”. Le train de vie à Dubaï doit permettre d’estimer la richesse du couple. La facture d’une Rolex, payée en plusieurs fois. Des voitures de luxes, mais en location. “C’était n’importe quoi. J’avais aucune éducation financière”, commente Ali.
“On voit tout de même que vous viviez bien. Vous aidiez aussi votre famille, vous payiez le loyer de vos parents aux Oliviers A”, ajoute la présidente. Si Ali dément avoir gagné les 100 000 euros mensuels que lui prêtait sa femme dans une écoute téléphonique, combien gagnait-il alors ? “Entre 7 et 20 000 euros par mois”, estime-t-il. Un juge assesseur l’interroge : quel était le plus bénéfique entre prendre une commission sur une passe, ou racheter puis revendre le produit ? “Je peux pas vous répondre, ce que vous racontez là, je gambergeais pas comme ça. J’ai pas fait d’études, pour moi, un business, c’est pas forcément avec un manager et un bac +5. Il y a pas ces règles. Là, en prison, je me lève tous les matins pour venir au tribunal. Mais dans la rue, je peux m’endormir le soir en prévoyant une passe de 5 000 euros le lendemain, et quand je me réveille, le gars me dit : « C’est bon laisse tomber, j’ai trouvé à 3h du matin. »“
Argent sale et philosophie
En fin de matinée, il conclut : “Vous voulez entendre que la drogue, c’est de l’argent facile. Oui, c’est facile, et c’est même de l’argent lâche. Et cette vie, elle me dégoûte. J’ai gâché ma famille, on est là à débattre de nos écoutes téléphoniques. Est-ce que j’ai gagné 100 000, 200 000 ou 500 000 ? J’en sais rien. Je vais pas me faire passer pour un petit. Et aujourd’hui, j’ai plus rien”.
Sa compagne, 35 ans, elle non plus, n’a plus rien. Elle est poursuivie pour blanchiment et non justification de ressources. Son casier judiciaire est vierge. À Dubaï, elle prenait en photo les cadeaux de son mari, les montres et les sacs de luxe qu’elle achetait. Des “faux”, parfois, se défend-elle. Par deux fois, elle a transporté de l’argent pour lui. “Je savais ses activités, mais je me rendais pas compte que moi aussi, je contribuais au trafic”, assure-t-elle. Alors le magistrat assesseur veut l’interroger elle aussi sur sa “philosophie” : comment le vit-elle aujourd’hui, d’avoir “vécu de l’argent sale” ?
À l’époque, la jeune mère de famille arrête de travailler pour s’occuper de son bébé. Elle parle d’une “concession”. “Une concession ou un choix de luxe ?”, renchérit le juge. Puis la procureure : “Vous aviez suffisamment d’argent de votre compagnon pour vivre loin et ne pas risquer une balle perdue”. Aujourd’hui, la prévenue vit chez sa mère et travaille comme femme de ménage. “C’était pas ce que je voulais faire de ma vie. Mais au moins, j’ai la conscience tranquille”. Les réquisitions sont attendues pour vendredi et le jugement, pour le 29 mars.
* Le prénom a été modifié
Commentaires
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c’est une photo de la façade de la kommandantur ?
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Effectivement, j’ai toujours été interloqué de la configuration de la façade du palais de justice. Il est assez étrange que personne, à toutes les époques, n’ait pensé à effacer le symbole “svastika” répétés had nauséam…
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Ni Gaston Castel (architecte) ni Antoine Sartorio (sculpteur) ne furent spécialement soutien de Petain ou Hitler, d’autant que l’inauguration date de 1933, donc des appels d’offres et des maquettes bien antérieures (années 20).
Ce style carré, pseudo grec, mastoc, en béton sculpté était la mode, pas seulement chez Hitler ou Mussolini.
Les gammas en fresque, ornementation ou bas relief vous en trouvez à foison en Grèce. On ne peut pas dire que ce pays ait été particulièrement favorisé pendant la 2e GM ni spécialement “collaborateur”.
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Et pas seulement en Grèce : l’art nouveau en a été friand quand Hitler était encore en culotte courte ou un total inconnu. A Nancy dans mon immeuble 1920, le carrelage du sol en était tapissé et il n’était pas le seul immeuble dans ce cas. En général, c’était sur les bordures entourant quelques motifs fleuris.
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Art déco pas art nouveau
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Il s’agit de Svastika
Ce symbole est notamment utilisé en Asie dans la symbolique jaïne, hindoue et bouddhique, en Chine pour symboliser l’éternité et dans l’Asie bouddhiste.
Inclinée de 45°, elle est aussi appelée croix gammée. Ce symbole a été repris, dès 1920, comme emblème officiel des Nazis
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…ad nauséam…
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Merci pour cette série sur les Oliviers, remarquablement bien écrite. Elle nous permet de voir les personnes qui vivent à travers ce “réseau”, bien loin du mythe de personnages Netflix.
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oui, cette série est édifiante.
macron a fait son tour de com, place netteXXL !!!! et quelques heures après le commerce reprenait.
les personnes qui “travaillent” à ce réseau ne le font pas dans la joie. ou pas longtemps, c ‘est un vraie galère.
et tant qu’on ne commencera pas à tenter de régler le problème sociétal, de ces jeunes, très jeunes, ou moins jeunes et de leur insertion dans la société avec parfois leur famille entière, concomitamment au coup de force -nécessaire- de la police, on avancera pas plus que ça.
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Bling bling, drogue, argent facile, mensonges, déchéance, Dubaï, hypocrisie, paradis fiscal, prison.
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Pas de prison au sommet. Blanchiment, recyclage, relations, corruption. Respectabilité !
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Les magasins de blanchiment d argent ont pignon sur rue, pas besoin d être enquêteur pour les repérer et ils ne semblent pas inquiétés ! C est incroyable rien que sur le bd de la Blancarde il y en a plein…ils n ont rien à vendre mais font des travaux tous les 3 ou 6 mois …c est très déstabilisant quand on passe devant tous les matins pour aller travailler !
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