Sur les traces de Fernand Pouillon
Marseillais et Aixois côtoient ses réalisations au quotidien. Pourtant, combien d'entre eux peuvent citer le nom de l'architecte Fernand Pouillon ? Alors qu'une exposition lui est consacrée à la Fondation Vasarely, ses défenseurs déplorent le peu d'attention porté à l'héritage de ce grand bâtisseur du XXe siècle.
La résidence Les Gazelles à Aix après rénovation (C.Sayen)
“Comment c’est possible ? Faire ça quand on a une merveille pareille ?”. Pour Catherine Sayen, se promener dans les rues de Marseille ou d’Aix est une source intarissable d’exaspération. Commissaire de l’exposition “L’Aix de Pouillon” présentée à la Fondation Vasarely jusqu’au 15 mars, cette urbaniste est par ailleurs, la dernière compagne de l’architecte Fernand Pouillon. Depuis son décès en 1986, elle travaille à faire connaître l’œuvre de ce bâtisseur frénétique, qui a durablement marqué les deux villes. Les immeubles attenant à l’hôtel de ville sur le Vieux-Port, le building Canebière à Marseille, la bibliothèque de droit de l’université ou encore les “deux cents logements” de l’avenue Jean Moulin à Aix, pour ne citer qu’eux, sont l’œuvre de Pouillon.
“Les Gazelles ont été assassinées”
En l’occurrence, c’est la visite de la résidence universitaire des Gazelles à Aix qui fâche Catherine Sayen. Juché sur une petite colline derrière la faculté de droit, l’ensemble pensé par Pouillon compte au moins quatre bâtiments signés du maître : deux consacrés au logement, un théâtre et un restaurant universitaire. Accompagnée de deux spécialistes de l’œuvre de son ancien compagnon ainsi que d’une doctorante venue spécialement d’Algérie, elle cherche désespérément une forme de cohérence dans la façon dont les lieux ont été rénovés. “C’est du mauvais goût, une poésie qu’il n’y a plus”, piaffe-t-elle.
Construits dans les années 50, les bâtiments reflétaient alors les grandes lignes du style Pouillon : pierre rugueuse apparente – plutôt que les blocs de béton alors en vogue -, matériaux variés, soin apporté à la finesse des détails, malgré la contrainte d’une surface importante et consacrée à l’habitat collectif. “Pour les Gazelles, il aurait fallu mettre en valeur les vitrages, la finesse des serrureries…”, soupire Catherine Sayen, tandis que la doctorante opine gravement du chef. Une rénovation récente a pris un autre chemin. Les fenêtres des Gazelles d’aujourd’hui sont revêtues de grands volets coulissants de couleurs pastels et la pierre des murs a été peinte en blanc. Bien loin de l’aspect mat et minéral originel.
“Les Gazelles ont été assassinées”, lâche un des deux compères, ancien libraire spécialisé dans l’architecture. Chacun des membres de la petite équipée erre dans le domaine à la recherche de fragments miraculeusement préservés. Tant et si bien qu’ils attirent l’attention de la responsable des lieux. À leurs reproches d’ordre architectural, elle oppose l’absence de double vitrage, la vétusté, puis la complexité des marchés publics, le manque de temps pour réaliser des travaux. Devant l’air atterré de ses interlocuteurs, elle conclut d’un “Moi, je trouve ça beau !” et retourne à ses affaires.
“La première rénovation a été réalisée par René Egger [lire notre portrait] quelques années après la livraison, et déjà il avait fait poser des gardes-corps qui ne permettaient plus du tout la lecture de l’architecture originelle, déplore Catherine Sayen, forcément, celui qui arrive après il ne comprend plus rien …”. Le resto U attenant a été épargné par la rénovation couleur pastel. En le contournant, on remarque le jeu des matières, entre blocs de pierre, briques et verre. Pour autant, il porte les marques du temps et de l’humidité. Un décrassage des façades ne serait pas de trop. “Un manque de respect” pour les étudiants qui fréquentent les lieux, estime Catherine Sayen.
“L’œuvre de Pouillon est en train de disparaître en France”
Esquichée dans une petite 206, l’équipée poursuit son pèlerinage vers la bibliothèque de droit. Celle-ci est installée aux côtés de l’imposant bâtiment de la faculté d’inspiration italienne, aussi construite par Pouillon. Mais contrairement à cette dernière, la bibliothèque a été pensée dès le début par l’architecte, explique son biographe Marc Bedarida. Il insiste sur le caractère utilitaire qui prévaut aux pièces de travail, et sur l’extérieur plus soigné, les balustrades sur lesquelles on peut aussi s’asseoir, les massives poignées de bronze. Aucun outrage à l’œuvre n’est à signaler ici, semble-t-il. À quelques pas pourtant, des préfabriqués installés en vue d’un chantier prochain sont le présage d’une nouvelle défiguration pour les adeptes de Pouillon.
“L’œuvre de Pouillon est en train de disparaître en France, assure Catherine Sayen, il n’est pas enseigné dans les écoles d’architecture, on n’aborde pas son apport sur des questions profondes en matière d’urbanisme et de logement.” Comment, alors, espérer qu’on puisse respecter son travail lorsqu’il faut le rénover, s’interroge-t-elle ?
Quasi anonymat
Sur les dizaines de bâtiments construits par Pouillon, un seul ensemble d’immeubles, ceux situés sur le Vieux-Port, est classé monument historique. Certains autres ont été estampillés du label “Patrimoine du XXe siècle“, mais celui-ci “ne protège de rien du tout” déplore Marc Bedarida. “Une rénovation n’a pas forcément à être rigide, complète Catherine Sayen, mais si des gens en arrivent à penser que ce qui a été fait aux Gazelles est beau, c’est qu’il y a un problème de culture générale ! La protection d’une œuvre doit être comprise par les habitants, sinon elle est vue simplement comme une source de contraintes et de conflits.”
Est-ce la faute de ses démêlés avec la justice, de son exil précoce vers l’Algérie ? En construisant entre 5000 et 7000 logements en l’espace de quelques années, Fernand Pouillon a marqué l’histoire de l’architecture française en creux, sans que son nom ne fasse écho pour le grand public. Dans la région où il a fait ses études et ses premières armes de bâtisseur peut-être est-ce l’inimitié que lui vouait Gaston Deferre, préférant son ancien compère Egger, qui l’a fait tomber dans un quasi anonymat, avancent les spécialistes autour d’un café. Quelques semaines d’exposition permettront-elles d’y remédier ? Les interrogations sont nombreuses et la frustration grande, chez les derniers défenseurs de Fernand Pouillon.
Commentaires
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Nul n’est prophète en son pays, et Pouillon est peut-être plus connu en Algérie qu’en France. Son oeuvre est pourtant marquée à la fois par une sobriété, une modernité et une élégance qui résistent bien au temps. On ne peut pas en dire autant de celle de certains de ses contemporains.
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Pour reconstruire vite et loger massivement après une guerre, c’est pas mal. Si l’on considère notre habitat indigne, n’est-on pas un peu, encore, comme dans une situation d’après guerre ?
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Pour ceux qui veulent découvrir en famille une partie de l’œuvre de Pouillon autour du Vieux-Port, vous pouvez télécharger le carnet de balade urbaine sur le thème de l’architecture du mouvement moderne :
http://carnets-balades-urbaines.fr/?p=1
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Pour ma part, je n’apprécie pas vraiment cette oeuvre : les bâtiments du Vieux Port m’ont toujours choqué, de part leurs formes carrées pas très gracieuses, l’utilisation de cette pierre ocre semblable à la pierre de Rognes très aixoise mais incongrue à Marseille, et surtout le fait d’avoir sans vergogne construit des appartements bourgeois sur les ruines d’une atrocité. Comme si on avait construit un mac do à la place des tours jumelles, ou si on projetait un club med à Palmyre.
Quand à la cité des Gazelles où j’ai vécu de petites années, c’était très “cages à poules” et seuls certains archis y trouvent de l’esthétique
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