Un siphon fond fond
Ex-SNCM : Patrick Rocca mise sur un mariage avec la concurrence
Ce mercredi, Patrick Rocca, le patron de MCM - ex SNCM - rencontrait les représentants des salariés. Sous la pression économique de Corsica Maritima et politique de la collectivité corse, il a présenté les grandes lignes d'un "rapprochement" avec son concurrent.
Ex-SNCM : Patrick Rocca mise sur un mariage avec la concurrence
L’apaisement. Le mot revient sur toutes les lèvres au siège de la SNCM. Ou plutôt de MCM, nouveau nom de la compagnie maritime même si l’ancien logo s’affiche en grand au-dessus de l’accueil et sur les habits de travail des personnes croisées. “Ne filmez pas ce logo. La SNCM n’existe plus”, lance mi-sérieux mi-souriant le président Patrick Rocca. Vu le rythme des mouvements du dossier, mieux vaut ne pas imprimer tout de suite le nouveau logo…
Débarqué d’Ajaccio le matin même, le patron de MCM est venu présenter au comité d’entreprise un projet de rapprochement avec Corsica Maritima, qui était comme lui candidat à la reprise de la SNCM. “Il faut sortir de l’affrontement. Nous sommes sur un sujet crucial pour l’économie de l’île”, justifie-t-il face à la presse. Symboliquement, le communiqué diffusé par MCM dans l’après-midi intègre une citation pleine de promesse de François Padrona, président de Corsica Maritima : “Cet accord sera historique ; la Corse reprendra en main son destin maritime, avec une stratégie d’entreprise qui sera innovante, et un impact positif et pérenne pour les salariés et le port de Marseille.” On est loin des diatribes sur le blog de la compagnie contre “l’oppression du verrou de la CGT marseillaise [qui] doit sauter une bonne fois pour toutes”…
Coup de théâtre de la veille, l’annonce semble avoir été accueillie plutôt sereinement par les syndicats. “Depuis la reprise, la société est attaquée de toutes parts. Il faut que cela cesse”, constate Pierre Maupoint de Vandeul, syndicaliste CFE-CFC. L’attaque la plus frontale est justement celle de Corsica Maritima. Le consortium représente officiellement plus de 100 entreprises de l’île qui ont besoin de transporter des marchandises depuis et vers le continent.
Privé de camions
En plus d’un recours contre le jugement du tribunal de commerce attribuant la SNCM à Patrick Rocca, le candidat utilise depuis plusieurs mois l’arme économique. “Les chargeurs fédérés au sein du consortium Corsica Maritima auraient, selon nos sources, entrepris de siphonner le trafic fret qui transitaient sur les navires de la SNCM. Quelques 10 000 remorques pourraient être transférées sur les cargos-mixtes de la Méridionale“, écrivait début décembre le magazine spécialisé WK transports et logistique.
Cette volonté de bras de fer est devenue encore plus évidente depuis janvier avec la ligne concurrente Bastia-Marseille assurée par le Stena Carrier. Ce navire, longtemps bloqué dans la rade du port de Marseille par les marins de MCM et La Méridionale, est affrété par Corsica Maritima en association avec Daniel Berrebi, un autre concurrent éconduit.
Trou de trésorerie
Avec la période hivernale, qui traditionnellement impose de puiser dans la trésorerie, Patrick Rocca se serait donc retrouvé en position de faiblesse. Selon Le Marin, qui révélait hier l’accord avec Corsica Maritima, MCM serait même au bord de la cessation de paiement. “A l’heure actuelle, M. Rocca n’est semble-t-il pas sûr de pouvoir payer les salaires à la fin du mois”, confie au Monde une source présentée comme “au fait du dossier”.
Interrogé, l’homme d’affaires nie toute difficulté financière, même s’il confirme que le préfet de région a été appelé au chevet de sa société. “Le partenaire bancaire prévu dans la reprise, à savoir la Caisse d’épargne, remplit son office en temps et en heure”, assure-t-il. En plus des 5 millions d’euros de fonds propres apportés par le groupe Rocca, il disposait d’un prêt de 15 millions d’euros de la part de la banque. “S’il y avait un dépôt de bilan possible, on serait déjà dans la phase légale d’alerte”, commente Pierre Maupoint de Vandeul. Les signaux ne sont donc pas au rouge mais à l’orange bien vif. Ainsi le sujet initial du comité d’entreprise extraordinaire était une réduction de la voilure sur la desserte de l’île non comprise dans le contrat de délégation de service public pour le compte de la collectivité territoriale de Corse (CTC).
Quoi qu’il en soit, Frédéric Alpozzo (CGT marins) réclame toujours “l’arrêt de la ligne concurrente” du Stena Carrier. Une perspective qui est prévue “dans le cadre de l’accord” souffle Patrick Rocca. Autre point d’apaisement vis-à-vis des syndicats : “Daniel Berrebi ne fait pas partie du rapprochement”, précise-t-il. Le patron de Baja Ferries fait figure d’épouvantail depuis des mois. On lui prête notamment la volonté de s’emparer des navires de l’ex-SNCM afin de les transférer sur ses lignes de Miami.
Nouveau comité d’entreprise à venir
Pour l’heure, seules les grandes lignes de l’accord ont été présentées, en attendant un nouveau comité d’entreprise le 5 février. Selon Patrick Rocca, cet accord consisterait en une entrée de Corsica Maritima au capital de MCM, dans la limite de 49 %. Ce montage est de nature à rassurer Pierre Maupoint de Vandeul, car celui évoqué par le Marin – une “absorption” de MCM par Corsica Maritima – “ne serait pas conforme à ce que permet le tribunal de commerce”.
Car ce projet devra être validé par ce dernier. Patrick Rocca assure même que la promesse faite au tribunal de commerce de réserver 25 % du capital à l’équipe de direction et 10 % aux salariés tient toujours. Mais l’hebdomadaire spécialisé persiste et signe ce mercredi : “Une deuxième étape est à attendre”, à savoir une “prise de contrôle” de la compagnie marseillaise par Corsica Maritima.
La collectivité corse veut s’imposer
Au syndicat des travailleurs corses, Alain Mosconi resitue l’affaire dans son contexte politique corse : “Ce qui nous importe, c’est que la CTC soit majoritaire, qu’elle fixe le cap. Nous invitons les partenaires à s’engager auprès de la collectivité.” Lundi, celle-ci a surpris beaucoup de monde, y compris Patrick Rocca, en publiant un “protocole d’accord en vue de la création d’une compagnie maritime corse” associant public et privé.
Étonnamment, les syndicats CGT et CFE-CGC, qui ont pourtant pris part à des discussions en ce sens dans le courant du mois, n’ont pas été conviés à signer le document. Et la Méridionale, censée l’avoir ratifié, a pris ses distances dans un communiqué le soir-même de sa présentation. Dans ce contexte, l’initiative ressemble à un moyen précipité de prendre la main face aux deux futurs ex concurrentes MCM et Corsica Maritima. Une manière de rappeler que c’est la nouvelle majorité nationaliste qui fixera le futur périmètre et les conditions du service public de desserte de l’île. Avec à la clé un financement vital pour bâtir un projet économique. Les acteurs privés sont donc invités à se regrouper dans une société d’économie mixte, dont 51 % du capital serait détenu par la collectivité, “propriétaire exclusive des navires”.
Des navires à la collectivité
Mais pour l’heure, les navires sont à la Méridionale d’une part et à MCM d’autre part – même si les actes de transfert ne sont pas encore finalisés. Interrogé sur la question, Patrick Rocca s’affiche sous un jour conciliant : “Je me suis positionné dans ce dossier de manière à pouvoir récupérer l’outil naval. Aujourd’hui je m’inscris dans l’intérêt général. À terme, à la demande et selon les délais de la CTC, ces navires doivent devenir propriété de la collectivité.” Avec un gros chèque à la clé ? “Le prix est connu, c’est celui du tribunal de commerce, à l’euro prêt. On n’est pas là pour faire des affaires sur l’intérêt général de la Corse”, répond-il.
Une perspective qui ne rassure pas forcément Frédéric Alpozzo : “Si c’est pour faire moins bien et déstructurer la compagnie, on n’est pas d’accord.” Il cite notamment un extrait du texte de la CTC concernant une révision “des accords sociaux internes à l’entreprise conformes à la viabilité économique et sociale du projet, eu égard notamment au contexte de concurrence dans le secteur”. Brinquebalé de patrons en patrons depuis la privatisation en 2006, le personnel ne voit pas forcément la collectivité locale corse comme un sauveur…
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Je ne suis pas d’accord pour que la région corse, actuellement dirigée par des indépendantistes (35% des voix aux élections) prenne le contrôle d’une société et/ou de ses bateaux alors que c’est l’Etat qui paye.
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