Mourir au soleil
Rue Saint-Ferréol. Crédit photo flikr : marcovdz
Tous les mois, nous vous proposons une plongée littéraire avec Erika Ribéri. Une thèse à la fac et une émission sur Radio Grenouille en cours, elle trouve encore le temps de nous proposer une chronique des auteurs et ouvrages qui prennent langue avec le territoire.
“Allez pas croire, si je parle de moi, c’est pour expliquer. Pour que vous voyiez mieux les choses, quoi.”
(Jean-Claude Izzo, Le Soleil des mourants)
Il fallait bien y venir un jour : Jean-Claude Izzo. Qui parle aujourd’hui de littérature à Marseille ne peut guère oublier cet auteur dont le nom est presque devenu indissociable de la ville : Total Khéops, Chourmo, Soléa, Fabio Montale, c’est lui. Et puis il y aussi Titi, Rico, Félix, Mirjana, Abdou, Félix et les autres : Le Soleil des mourants.
Pourquoi parler de ce petit roman publié en 1999 quelques mois à peine avant la mort de l’auteur, plutôt que de sa trilogie policière mondialement connue (Izzo est même devenu une référence et un modèle pour les auteurs de ce que l’on appelle le “noir méditerranéen”) ? D’abord tout simplement pour se rappeler qu’il avait écrit d’autres choses. Et puis aussi car c’est l’actualité qui l’a rappelé à moi, ce roman.
Je m’explique : 6 janvier 2016, je lis sur Marsactu une brève qui annonce la mort d’un sans-abri devant la mairie du 1er secteur. L’article prend soin de mentionner l’étonnement de la communauté Emmaüs de la Pointe-Rouge devant le silence médiatique face à cette triste actualité. Alors oui, certains diront qu’il est presque devenu un peu cliché de s’indigner du peu d’attention – voire de l’indifférence – porté au sort des habitants de la rue. Et pourtant, force est de constater qu’il y a là quelque chose de bien trop réel dans cette affirmation. Voilà donc aussi pourquoi ce livre : c’est précisément à ces “traine-misère” – comme il les appelle – que s’intéresse ici Izzo. Lui-même prend soin d’insérer une note avant de commencer son récit :
“Il serait faux d’affirmer que ce roman est purement imaginaire. Je n’ai fait que pousser à bout les logiques du réel, et donner des noms et inventer des histoires à des êtres que l’on peut croiser chaque jour dans la rue. Des êtres dont le regard même nous est insupportable.”
Et c’est comme ça que nous découvrons Rico, SDF qui décide de rejoindre Marseille après la mort de son ami Titi dans le métro parisien. “À crever, autant crever au soleil”, dit-il. Alors Marseille, bien sûr : elle est encore là, comme toujours chez Izzo, lumineuse. Mais avant d’y arriver, on suit les étapes de Rico, au cours desquelles on découvre progressivement l’histoire de sa descente aux enfers, tout en croisant la route de ces autres exclus dont il n’avait jusque là imaginé ni l’existence, ni la douleur : Mirjana, la prostituée bosniaque amoureuse des vers de Saint-John Perse ou encore Abdou, jeune immigré algérien dont le visage est barré des cicatrices laissées par sa traversée de la Méditerranée dans les machineries d’un cargo.
On le voit déjà : Izzo nous offre ici un roman aux accents sociologiques forts. Il s’est d’ailleurs inspiré de nombreux témoignages, ouvrages et reportages sur la question des sans-abris pour entreprendre son écriture, dans laquelle il insiste particulièrement sur l’importance et l’influence du regard – le plus souvent entre ignorance, mépris et condescendance – porté sur le sans-abri. En cela, il n’est pas sans lien ni très loin de théories sociologiques comme celles d’Erving Goffman portant sur la stigmatisation et/ou les modes de fonctionnement de l’interaction sociale (cf. des ouvrages fondamentaux tels que Stigmate ou Comment se conduire dans les lieux publics, par exemple).
En somme, un peu à la manière du sociologue, Izzo cherche et aide à comprendre. À l’heure où le premier ministre accuse la sociologie de prôner la “culture de l’excuse”, il est d’autant plus intéressant de se pencher sur cette mise en scène d’un processus qui amènera progressivement l’homme banal qu’était Rico à la déchéance de la rue. Certes, Le Soleil des mourants n’est pas le roman du siècle, et l’on pourrait reprocher à Izzo de manquer parfois d’un peu de subtilité dans un monde souvent manichéen. Mais qu’importe : à l’heure où des sans-abris semblent encore pouvoir mourir devant nos mairies de manière presque inaperçue, on referme le roman avec l’envie de considérer un peu plus (un peu mieux ?) ces personnes qui nous tendent la main au quotidien. J’ai envie de dire que ça peut déjà être beaucoup.
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