Marseille continue de crouler sous les périls
Cinq ans après le drame de la rue d'Aubagne, plus de mille adresses d'immeubles considérés comme dangereux sont suivies par les services municipaux. Permis par un travail de recensement militant, ce constat éclaire l'évolution d'une crise à bas bruit qui dépasse largement le centre-ville. Marsactu publie la carte des données les plus récentes disponibles.
Marseille continue de crouler sous les périls
Il y en a jusque sous les fenêtres de l’hôtel de Ville. En toute fin d’année dernière, le service municipal en charge de la sécurité des immeubles est passé rue de la Loge. À l’arrière de l’un des immeubles Pouillon, emblématiques du quai du Port, des éléments de balcons risquent de blesser les passants. Signé dans la foulée par l’adjoint compétent Patrick Amico, un arrêté de mise en sécurité ordonne donc la pose d’un périmètre de sécurité et la “purge des éléments menaçants”, dans le cadre d’une procédure d’urgence.
Mis à part le caractère symbolique de sa localisation, ce dossier est relativement bénin par rapport à ceux qui continuent d’affluer au service des périls. Chaque mois, une trentaine de nouvelles adresses vient s’ajouter à la longue liste des bâtiments dangereux. Plus de cinq ans après l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne qui avait été suivi de signalements par milliers, de nouveaux cas lourds sont encore décelés chaque mois. Toujours en décembre, le plancher d’un appartement s’est effondré boulevard de la Libération (1er). “Après le 5 novembre 2018, il y avait l’idée, notamment chez l’État, qu’on était en train de gérer une crise, qui allait donc se calmer”, confirme Patrick Amico. Depuis son arrivée en 2020, il constate “qu’on est plutôt dans une gestion de flux, qui reste à peu près constant avec entre 20 et 30 arrêtés de mise en sécurité par mois.”
En parallèle, les dossiers plus ou moins anciens continuent de bouger, tel cet immeuble vacant de la rue Baussenque, au Panier, visé par une procédure d’urgence en juillet et dont la situation a été actualisée le mois dernier. Si les premiers travaux ont permis rapidement de lever l’urgence, le péril “simple” demeure, probablement pour de longs mois, au vu de la “forte dégradation de la charpente”, qui a fléchi en certains points, minée par l’eau et les champignons.
Bilan galère
Ces quelques exemples, choisis presque au hasard, ne sont qu’un aperçu de l’activité du service. Pour proposer une vue plus complète, seule à même de faire émerger un bilan, il faut s’armer de patience et d’une bonne dose de technique. C’est ce qu’a fait un citoyen, Maël Camberlein, avec une base de données compilant les informations publiées par la Ville. “L’accès à l’information est une problématique essentielle, ça a été notre première galère”, justifie celui qui était propriétaire d’un appartement au dernier étage du 69, rue d’Aubagne, déconstruit juste après le 5 novembre 2018.
Partagé à Marsactu et désormais au public, ce travail de fourmi nous permet, pour la première fois depuis mai 2019, de proposer une cartographie des adresses concernées par cette vague de procédures. Avec près de 4 000 arrêtés référencés et 1 800 adresses, elle donne à voir l’ampleur de ce lent cataclysme.
Dernière mise à jour de la base : octobre 2023.
Vue d’avion, cette carte confirme la prééminence des problèmes de bâti dans le centre de Marseille : environ un quart des adresses sont localisées dans le 1ᵉʳ arrondissement, suivi par le 3ᵉ (17 %) et les 6ᵉ, 5ᵉ et 2ᵉ arrondissements. Mais la différence avec les six premiers mois post-rue d’Aubagne réside dans les quartiers périphériques, plus largement touchés. La première enfilade visible le long de l’avenue Salengro et de la rue de Lyon en 2019 est devenue une colonne vertébrale, s’étirant jusqu’à la Cabucelle et Saint-Louis. Le 15ᵉ totalise désormais 137 adresses. C’est là, sur les terres de l’opération d’aménagement Euroméditerranée, qu’on a croisé ces derniers mois quelques-uns des dossiers judiciaires les plus emblématiques de l’habitat indigne.
De par la complexité du sujet — types d’arrêtés multiples, procédures visant plusieurs immeubles… — elle est forcément imparfaite (voir notre encadré en fin d’article). Mais c’est aujourd’hui la seule, en l’absence de bilan complet communiqué par la Ville. “Je suis plutôt favorable à l’ouverture des données”, assure Patrick Amico, qui évoque la possibilité de points réguliers avec la presse, de conventions avec des universitaires, ou encore d’un comité de suivi de la charte du relogement. “Je veux bien prendre sur moi de ne pas en avoir fait de manière plus rapprochée. L’enjeu est que nous puissions, de notre côté, traiter les données de manière correcte, et que nous puissions donner des éléments d’explications, car c’est un sujet complexe où on ne peut pas se contenter des chiffres bruts”, détaille l’adjoint chargé de la politique du logement et de la lutte contre l’habitat indigne.
Pour illustrer la difficile lecture des grandes masses, il évoque notamment les gravités très variables des procédures engagées : “Un bout de corniche qui risque de se casser la gueule sur la voie publique, on en a fréquemment, et c’est un arrêté de mise en sécurité. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut évacuer tout un immeuble. Et on ne peut pas tirer un trait parallèle avec une main levée sur un immeuble après des travaux lourds.”
“On en a pour des décennies”
Cette invitation à entrer dans le détail des procédures amène l’adjoint à modérer le constat principal du recensement de Maël Camberlein : les procédures s’ouvrent plus vite qu’elles se referment. Les statistiques affichent bien une montée en puissance des levées de danger — qui signifient la fin de la procédure de péril : 159 entre janvier et octobre 2023, un record. Mais en face, le rythme reste soutenu, avec autour de 300 points supplémentaires par an sur la carte. Quand les services municipaux ne tirent pas des limbes de vieux dossiers, tel cet hôtel fermé au-dessus de la célèbre quincaillerie Maison Empereur, visé par une procédure en… 2011.
Résultat : en quelques années, le stock a quasiment doublé pour dépasser les mille adresses concernées par une procédure. C’est là que Patrick Amico nuance avec une approche plus fine : “Nous avions identifié environ 130 immeubles qui nécessitaient des travaux lourds. On en a une centaine qu’on a pu sortir du péril avec réintégration, avance-t-il. Finalement, le vrai stock, ce sont les 4 000 immeubles potentiellement indignes évalués par le rapport de Christian Nicol en 2015.” Partant de là, “bien sûr qu’on y est pour des décennies, tant on a laissé les choses dériver”, admet l’adjoint. “Le niveau de crise est équivalent et cela veut dire qu’on se projette sur une longue durée. On n’en voit pas le bout”, s’inquiète également Kévin Vacher, membre du collectif du 5 Novembre.
Avec un bémol de taille, relevé par les militants de l’habitat indigne : la typologie des périls évolue. Peu fréquents lors de la grande vague d’évacuations de fin 2018 – début 2019, ces périls “simples” ou “ordinaires”, selon l’ancienne dénomination, représentent aujourd’hui près du tiers des nouveaux dossiers. Avec, la plupart du temps, un maintien en place des occupants. “Sur les vingt à trente arrêtés de mise en sécurité par mois, nous avons entre sept et quinze évacuations”, chiffre Patrick Amico.
Auparavant doté d’une dizaine d’agents, le service des périls en compte désormais 120.
“Cette stratégie de faire plus de péril ordinaire, moins d’évacuations, réduit les effets sociaux et psychologiques”, souligne Kévin Vacher. “Ce n’est pas un changement de doctrine, assure Patrick Amico. Ce qui a changé, c’est que les cas les plus durs ont été traités après la rue d’Aubagne, dans le même temps que les agents sont montés en compétence, on évalue un peu mieux la nécessité d’évacuer, on a plus de recul là dessus.” Dans le même temps, les services ont complété leur palette pour arriver aujourd’hui à “intervenir sur la totalité des problématiques (péril, insalubrité et indécence, ndlr), avec une direction qui est passée d’une dizaine de personnes à 120, qui s’occupent essentiellement d’habitat indigne”.
La difficile réintégration
Mais Patrick Amico en convient : il est plus facile de prendre un arrêté de mise en sécurité que de le lever. En poussant l’analyse, Maël Camberlein observe que si certaines alertes donnent lieu à un traitement rapide, de vieux dossiers continuent de stagner, parfois depuis plus de cinq ans. Même si, de relances en visites des services, les dossiers sont désormais souvent rétrogradés d’urgents à une procédure classique. C’est aussi parmi ces immeubles que les pouvoirs publics entendent faire leurs preuves, après avoir sécurisé l’aide massive de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
Nous pouvons faire des travaux d’office pour mettre un immeuble en sécurité, mais cela ne permet pas forcément de le rendre réoccupable.
Patrick Amico, adjoint au logement
Ces logements aux dossiers coincés n’ont souvent pas pu être réintégrés par leurs occupants, certains étant parfois encore en relogement provisoire. Au-delà de cet enjeu du retour, “cela pose un souci de vacance, commente Kévin Vacher. Et quand la sécurisation est faite, cela ne veut pas dire qu’ils seront habitables, car on sait que des immeubles inoccupés pendant de longues années sont souvent infestés de rats, de cafards, avec des moisissures qui se sont développées…” Un enjeu que Patrick Amico a bien dans le viseur : “Nous pouvons faire des travaux d’office pour mettre un immeuble en sécurité, mais cela ne permet pas forcément de le rendre réoccupable. On peut mettre des IPN pour soutenir un plancher, mais pas réparer les cloisons, la loi ne nous y autorise pas et nous essayons de l’obtenir dans le cadre du texte sur les copropriétés dégradées actuellement étudié par l’Assemblée nationale.”
Ces difficultés rappellent que, derrière le bâti, des trajectoires résidentielles se jouent, non sans questionner l’évolution des quartiers touchés lorsqu’ils sont autant minés par les procédures. Ces relogements, qu’ils soient temporaires ou définitifs, relèvent davantage de l’individuel, de l’intime. Suivis par l’association Soliha, prestataire de la Ville et l’État, ils ne font évidemment pas l’objet de la même publicité que les arrêtés municipaux. Les associations et collectifs réclament cependant davantage de visibilité. En décembre, après deux ans sans réunion, le “comité de pilotage” de la charte du relogement a ainsi laissé les participants sur leur faim. À l’heure où la municipalité s’apprête à lancer un “grand plan” pour redynamiser le centre-ville, sans dire mot de ce sujet, il pourrait s’inviter à nouveau dans les débats.
Commentaires
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Bonjour,
Je ne parviens pas à trouver la légende de la carte. Quelle est la différence entre les points oranges et les points gris ?
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Orange: actif Gris: clôturé
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Bonjour, je confirme. La légende a été ajoutée à la carte.
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Ce serait bien d’avoir aussi la carte des échafaudages : où en sont les travaux de réhabilitation du bàti à Marseille ?
Jamais le centre-ville n’a eu aussi peu de travaux en cours…
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Vous rigolez?on sort de 5 ans d’echafaudage partout dans l’hypercentre
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Bravo et merci pour cette carte.
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Cela me fat penser à ces cartes de bombardements durant la seconde guerrecmondiale par les américains le 27 mai 1944.
https://museedelaresistanceenligne.org/musee/doc/image/recto/grande/7157.jpg
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Habitat indigne : l’incroyable cadeau du gouvernement aux marchands de sommeil. Adopté en catimini cet été, le décret habitat rend accessibles à la location des surfaces considérées jusque-là comme impropres à l’habitation. Alors que l’État brille par son apathie face à la crise du logement, cette dérégulation apparaît comme la pire des réponses au problème.
Lire le décret en question :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047903763
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Selon les premières estimations de l’Alpil, près de 30 % des procédures actuellement enclenchées contre des marchands de sommeil pour des conditions indignes de logement tomberaient dans le cadre du nouveau décret.
l’état brille : cqfd
alpil : association pour l’insertion par le logement.
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