Procès d’un gang nigérian : “Une fois membre, je devais faire tout ce qu’ils demandaient”
Premier jour d'audience du procès à Marseille d'une quinzaine de membres des Arow Baggers, confrérie nigériane connue pour sa violence. Peu de victimes viendront déposer devant le tribunal, mais l'une d'elles y a livré un témoignage glaçant.
Chef supposé du gang à Marseille, Lateef, répond par monosyllabes aux questions traduites par un interprète. (Illustration : Ben8)
“Si je n’étais pas allée au commissariat, ils m’auraient tuée”. Ce lundi 6 novembre, dès le jour de son ouverture, le procès de membres du gang nigérian des Arow Baggers (ou “Aro Bagas”) devant la 7e chambre du tribunal correctionnel de Marseille, est entré dans le vif du sujet : la violence endémique qui caractérise les activités criminelles de ces groupes mafieux. Une jeune femme vient dérouler à la barre les sévices dont elle a été la victime. À quelques pas d’elle, dans le box et sur le banc des prévenus, quinze hommes sont jugés, dont treize sont présents. Ils sont poursuivis pour des faits de violences, proxénétisme, violences sexuelles parfois commises en réunion et aide au séjour irrégulier sur le territoire français.
Avec ses protagonistes aux nombreux alias, ses méandres complexes et ses affaires dans l’affaire, ce procès qui doit durer trois semaines s’annonce hors normes. La présidente Christel Etienne-Garcia prend d’abord le soin d’en poser le décor. Celui des confréries nigérianes ou cults : les Arow Baggers (les bérets rouges), la Eiye Confraternity (qui portent eux du bleu) ou encore les Black Axes. Des bandes organisées “violentes”, “radicalisées”, actives depuis des décennies au Nigeria, dont les pratiques mafieuses – proxénétisme ou deal de drogue – “se sont exportées en France”. De même que le trafic d’êtres humains. Notamment des femmes qui, après avoir subi la cérémonie rituelle du “juju” et s’être endettées lourdement pour rallier l’Europe seront, dans leur grande majorité, prostituées de force.
À Marseille, synthétise la présidente, les bérets rouges des Arow Baggers sont présents en centre-ville et dans les quartiers Nord au parc Corot, à Bougainville. Mais aussi aux Rosiers et au parc Kalliste. Tandis que “le palace”, chemin de la Commanderie (15e) accueille les réunions les plus importantes du groupe. Quant à la terreur qu’ils inspirent, elle se voit jusque dans le déroulé même du procès. Les deux jours initialement consacrés aux auditions des parties civiles pourraient être écourtés. Car les victimes attendues à la barre promettent d’être rares. “Une seule d’entre elles sera présente, ce qui est scandaleux. Si elles ne sont pas là, c’est que rien n’a été mis en place pour”, regrette une avocate. À cause de raisons techniques, indique le conseil d’une partie civile, la visioconférence n’a pas pu être déployée. Si ces femmes se sont souvent éloignées de Marseille après les faits, la peur des représailles sur elles-mêmes ou les membres de leur famille restés au pays est prégnante.
Des premières réponses évasives
Le premier interrogatoire du procès est celui de Lateef. Selon l’enquête, il est l’un des piliers de l’organisation. Avec son entretien, la présidente veut d’abord dessiner les contours de la présence des Arow Baggers à Marseille. Elle veut en décrypter la hiérarchie, un peu impénétrable. Cherche à cerner les rôles de chacun. Qui fait passer les migrants en France ? Qui joue le rôle de marchand de sommeil et aide à les loger dans les squats ? Qui gère les filles ? Qui punit les membres qui ne respectent pas les ordres ?
Quel que soit le champ des questions, Lateef élude beaucoup. Les Arow Baggers ont-ils favorisé son entrée en France ? Non, dit-il. Mais il en est membre, convient-il. Il explique que, fraîchement arrivé à Marseille, il s’est rendu à la Spada (Structure du premier accueil des demandeurs d’asile) : “Je suis allé à la plateforme, il y avait des noirs. J’ai essayé de me faire des amis”. C’est là, assure-t-il, qu’il entre en contact pour la première fois avec le gang.
Il m’a dit qu’il allait me couper, faire couler mon sang et qu’il allait me faire boire mon sang.
Extrait de la déposition de Favour, une victime
Dans cette affaire, Favour et Emmanuel* sont les premiers à avoir déposé plainte. Mais ils n’ont pas fait le déplacement au tribunal. Au cours de leurs auditions, le couple explique être entré sur le territoire français de manière irrégulière par l’intermédiaire de Lateef. Ce qu’il nie. Favour décrit aussi avoir été victime de violences et de menaces de viol et de mort pour que son compagnon rallie le cult. “[Lateef] m’a dit qu’il allait me couper, faire couler mon sang” et “qu’il allait me faire boire mon sang”. Face aux questions de la présidente, le cadre des bérets rouges évacue : “Je ne sais pas pour quoi elle dit ça. C’est une histoire avec son mec”. Il assure ne connaître Favour que de vue et s’emploie à minimiser son rôle au sein de la confraternité. Tous ces débats semblent l’ennuyer ferme. Il voudrait surtout que l’on entende qu’il est sans domicile et qu’il a mal au ventre de manière chronique.
La procureure Marion Luna préfère le questionner sur les menaces qu’il aurait proférées à l’encontre de nombreuses personnes, hommes et femmes, identifiés pendant l’enquête. “Est-ce que les menaces étaient une manière de vous faire respecter ?” Il réfute, de même qu’il n’a, assure-t-il, jamais commandité de violences à l’égard des membres de son clan. Quant aux femmes, il ne “leur parle pas”. Pourquoi ?, interroge sèchement la représentante du ministère public. “Depuis ce matin, vous répondez pourtant à des femmes…”
Emprise et viol collectif
Un petit chapeau parme, un foulard rose fleuri autour du cou, un tatouage au coin de l’œil et un masque anti-Covid devant le visage, Stella* s’avance à la barre. Elle est l’une des rares parties civiles que le tribunal entendra durant le procès. Peut-être même la seule. “Je suis satisfaite que vous soyez présente. C’est difficile pour un tribunal de juger si les victimes ne sont pas présentes”, glisse la présidente. Face à elle, la jeune femme à la silhouette frêle revient sur son arrivée en France. Elle détaille ces traits communs qui reviennent dans le parcours des femmes nigérianes en situation de migration : un assujettissement tissé de contraintes et de violences.
Comme d’autres femmes, Stella est obligée d’intégrer le cult des Arow Baggers, elle est brûlée au dos au moment de son initiation par un dénommé Efé : “Je n’avais pas d’argent pour me nourrir et pas de logement. Une fois membre, je devais faire tout ce qu’ils me demandaient. Avec sa femme, ils avaient un plan pour me mettre dans la rue, travailler et ramener de l’argent.” Stella est contrainte de se prostituer, à Saint-Charles.
La jeune femme fait ensuite le récit glaçant d’un viol collectif survenu en juillet 2019. “Lateef a dit à des amis de coucher avec moi. Ils m’ont frappée au visage et m’ont forcée de le faire.” Dans une “maison secrète” du côté de Saint-Just. La jeune femme est violée par cinq hommes dont deux sans préservatif, ce que corroborent des prélèvements sur ses vêtements. “Dammy m’a poussée. Il avait quelque chose à la main. Quelque chose de dangereux. Je criais à l’aide, il n’y avait personne. Ils ont utilisé des couteaux pour me faire peur “, poursuit-elle.
Lateef assure ne pas avoir été présent durant ces faits : “Je ne peux pas être là à regarder quelqu’un qui couche avec une femme”, clame-t-il. Et lorsque Stella* le désigne comme le chef du gang, le “Doctor One” que décrivent d’autres membres, il nie de nouveau. Tout au long de la journée, Lateef refuse d’apparaître comme un des leaders du groupe et d’endosser, face au tribunal, les responsabilités qui vont avec. Le grand chef, ce n’était pas lui. Mais Dammy. Commode, puisque ce dernier, qui n’a pas été appréhendé, fait toujours l’objet d’un mandat d’arrêt.
Violence à tous les niveaux
Tenace, la présidente reformule ses questions à de nombreuses reprises et revient toujours sur ce point : s’est-il vraiment éloigné du gang ? Ou bien en est-il toujours membre ? Il assure en être parti : “J’ai quitté les Arow Baggers volontairement”. La présidente doute qu’il ait “coupé les ponts”, extraits d’écoutes téléphoniques à l’appui. Elle pointe les contradictions du prévenu qui dit n’avoir jamais assisté à des violences. Il en a pourtant lui-même été l’objet. Car chez les “rouges” comme au sein des autres confréries, la brutalité ne s’exerce pas qu’à l’égard des plus vulnérables. Elle sait aussi se retourner contre les cadres du groupe s’ils tombent en disgrâce.
Une conversation téléphonique enregistrée montre ainsi que Lateef a été violemment agressé par certains de ses anciens camarades. La présidente lit les passages de ces écoutes. Kelly, prévenu dans la même affaire, y est présenté comme “the executioner” du gang, l’exécuteur. Il rit au téléphone en racontant à son interlocuteur comment l’ancien “Doctor One” a été battu comme un plâtre et poignardé, à plusieurs reprises, aux fesses et ailleurs.
La présidente fait lever Kelly qui se trouve dans le box. Il n’est pas grand. Lateef le désigne comme l’un de ses agresseurs. Les deux hommes se regardent et restent de marbre. “Dès que c’est leur tour [de devenir chef], ils se retournent contre le précédent”, relate l’ancien chef au téléphone. Après avoir été molesté, Lateef – dont l’étude de personnalité révèle un manque d’empathie et de culpabilité – ne rêve que de se venger, comme en attestent ses conversations téléphoniques.
Cette valse des leaders, cette bataille pour gagner le leadership révèle autant une cruauté manifeste qu’une forme d’immaturité infantile dans les rapports. Dans laquelle la soumission peut se muer en vengeance sans pitié, lorsqu’un supérieur cherche à fuir le gang ou qu’il perd son rôle prépondérant. Dans laquelle le gang est une “gloire” à préserver ; un “bateau” à piloter. Par tous les moyens. À commencer par l’exercice d’une violence crue et cruelle sur les victimes.
* Les prénoms ont été modifiés.
Commentaires
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Glaçant … et la Spada dans tout ça ?
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Effrayant en effet.
“C’est difficile pour un tribunal de juger si les victimes ne sont pas présentes” dit Mme la Présidente : tout est là …
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Un seul mot pour ces individus : dehors !
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