La centrale biomasse de Gardanne s’affranchit de ses maigres contraintes environnementales

Info Marsactu
le 10 Oct 2023
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Après la période de 10 ans qui devait laisser place à 100 % de fournitures "locales", la centrale de Gardanne envisage finalement de continuer ses importations de bois, notamment venu du Brésil. L'industriel Gazel énergie a par ailleurs rompu son contrat de fourniture d'électricité "verte", sans en avoir jamais respecté les conditions.

La centrale thermique de Gardanne. (Photo : Pierre Isnard-Dupuy)
La centrale thermique de Gardanne. (Photo : Pierre Isnard-Dupuy)

La centrale thermique de Gardanne. (Photo : Pierre Isnard-Dupuy)

Elle était promise à un fonctionnement en continu dès 2016. Sept ans plus tard, la centrale biomasse de Gardanne n’a tourné que de façon erratique, du fait de difficultés techniques, de grèves à répétition et de choix de l’énergéticien Gazel énergie. Non seulement la filiale française du groupe EPH du magnat tchèque Daniel Kretinsky tient à peine le quart de ses engagements de production. Mais elle est en train de s’affranchir des maigres garde-fous environnementaux contractés avec l’État à l’origine du projet, en particulier sur l’importation massive de bois.

Depuis l’annonce de la conversion du charbon au bois de cette unité “Provence 4” dans les années 2010, ce qui en fait la centrale biomasse la plus importante de France, elle est qualifiée de vecteur de “déforestation et d’industrialisation de la forêt” par ses opposants. Elle prévoyait à l’origine de brûler 850 000 tonnes de bois par an. Pour satisfaire cet énorme besoin, l’industriel avait l’autorisation de recourir, au moins au départ, à des importations. Pour son démarrage, avec un volume réduit, cette filière internationale a représenté la moitié du combustible, dont une grande majorité de bois venu du Brésil (90 000 tonnes).

L’incontournable bois du Brésil

Et puis en 2021, l’affichage change. Dans un document exhumé par Reporterre, Gazel énergie affirme rompre avec la filière brésilienne. “Nous avons travaillé sur un recentrage de nos approvisionnements sur l’Europe”, y lisait-on, “les contrats en discussions” étant présentés comme “100 % européens”. Deux ans plus tard, face aux questions de Marsactu, le même industriel assume de poursuivre une partie de ses approvisionnements en plaquettes forestières issues du pays sud-américain. “C’est un peu gonflé de prétendre que cette centrale est verte, alors que le bois traverse l’Atlantique avec du fioul lourd. A minima c’est de l’énergie grise”, grince Luc Le Mouel, co-président de l’association de lutte contre les nuisances et pollutions (ALNP).

Ce bois, “n’est pas originaire d’Amazonie. Il vient d’une zone proche de l’Uruguay. Il est certifié”, précise Camille Jaffrelo, la directrice de la communication de Gazel énergie. Les plaquettes transitent depuis l’état du Rio Grande do Sul, à plus de 10 000 kilomètres de Gardanne à raison de “quelques bateaux par an”, précise la communicante. Des cargos qui déchargent au terminal minéralier de Fos plusieurs dizaines de milliers de tonnes à chaque fois. De quoi représenter une part significative du combustible. Les autres pays d’approvisionnements sont européens, comme l’Espagne ou la Croatie.

Un engagement rompu au nom “des emplois” sur le port de Fos

Pour l’heure, ce revirement n’enfreindrait pas le cadre prévu initialement avec l’État : l’approvisionnement en ressources importées ne doit pas excéder 50 %. Le reste provenant de production forestière et de bois issus de déchets récoltés dans un rayon de 250 kilomètres autour de la centrale. Mais au bout de 10 ans de fonctionnement de l’unité biomasse, les importations devaient cesser, au nom d’un principe de production d’électricité voulant être locale et durable.

Sauf que Gazel énergie n’a pas l’intention de donner suite à cet engagement. “Il y aura toujours des flux de biomasse par le port. Il y a des emplois à garantir. Nous participons à limiter les conséquences sociales de l’arrêt du charbon”, affirme Camille Jaffrelo. Elle lie l’intention de son entreprise aux objectifs du pacte de territoire pour la transition industrielle de l’ancien bassin minier de Provence, signé en décembre 2020. Le sous-préfet d’Aix Bruno Cassette, qui n’était “pas là il y a 10 ans”, n’a pas la mémoire de la clause prévoyant l’arrêt des importations, qui figure pourtant noir sur blanc dans le dossier initial. Interrogé par Marsactu, il lui parait “logique que Gazel énergie trouve un équilibre” et affiche la volonté de l’État de développer les flux entre Fos et Gardanne pour toutes les industries existantes et futures.

Du point de vue de la CGT, les importations ne doivent pas servir d’argument massue à la préservation des emplois. Jean-Michel Roccasalva plaide pour un renforcement de la fourniture par voie fluviale via le Rhône et la Saône. “L’activité portuaire sera la même. Et on peut avoir un visu et intervenir pour les conditions des travailleurs de la forêt et du transport s’ils sont en France”, argumente-t-il. Pour Luc Le Mouel de l’ALNP, “fabriquer de l’électricité avec du bois, d’où qu’il vienne, est une connerie. Ça remet du CO2 dans l’atmosphère, tous les experts le disent.” En février 2021, près de 500 scientifiques se sont fendus d’une lettre aux dirigeants planétaires pour leur demander de ne pas soutenir les centrales à biomasse, afin de préserver le climat et la biodiversité.

Rupture du contrat pour “l’électricité verte”

L’autre point de crispation des écologistes concerne le rendement énergétique de Provence 4. Du fait des arrêts et relances de la production, celui-ci est encore plus faible qu’attendu dans le contrat : 23 % en 2022 contre 36 % prévu. “C’est un arbre brulé sur cinq qui donne de l’énergie, c’est ridicule”, cingle Claude Calvet de France nature environnement 13 (FNE 13).

La biomasse a pu en outre se mettre en place grâce à une dérogation sur la cogénération énergétique. Normalement, ce genre d’unité peut bénéficier d’un tarif préférentiel de rachat de “l’électricité verte” par EDF, si elle valorise également la chaleur produite. Avec la promesse de mettre en place plus tard cette solution, via un réseau de chaleur urbain, la centrale de Gardanne a pu avoir accès à cette forme de subvention. Mais les aménagements n’existent toujours pas. “Ça, c’est une Arlésienne pour faire accepter le projet, chauffer Aix. Mais pour que ça se fasse, il faut que la production de chaleur soit sécurisée. Donc ça ne se fera jamais puisqu’ils sont incapables de produire en continu”, ne décolère pas Claude Calvet.

L’autre condition pour le tarif préférentiel est de respecter une production quasi continue, 75 % du temps en moyenne sur une année, afin de contribuer à la sécurisation énergétique de la région. Ce que Gazel énergie n’a toujours pas réalisé. Les bilans annuels transmis par la société à la préfecture, consultés par Marsactu, énoncent 1708 heures de fonctionnement à pleine puissance en 2022, loin des 6400 heures prévues dans le cahier des charges. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2023, son activité est de “1400 heures”, selon le délégué CGT Jean-Michel Roccasalva. En mars 2021, Marsactu révélait que le gouvernement n’a pas réclamé 30 millions d’euros à l’exploitant au titre des pénalités pour non-respect du contrat avec EDF.

Toujours des incertitudes pour l’avenir

Contrat qui a été rompu par Gazel énergie en novembre 2022 sans aucune autre réclamation à la tête de l’État. Désormais, Gazel énergie navigue à vue avec les prix libres du marché de l’énergie. “En bons capitalistes, ils ont été rattrapés par la patrouille quand le prix du mégawattheure a chuté”, critique Jean-Michel Roccasalva de la CGT. Celui-ci a flambé jusqu’à plusieurs milliers d’euros à l’automne 2022. Il varie depuis ces derniers mois “de 195 à 100 euros, voire plus bas”, rapporte le syndicaliste pour qui son employeur fait le choix de ne pas produire si le prix d’achat est trop faible. Le “choix stratégique de Gazel énergie”, fait craindre au cégétiste qu’un nouveau plan social se produise, après celui qui a mis au chômage 73 salariés de la tranche charbon, fermée en 2021. Aujourd’hui, 90 personnes sont encore embauchées à la centrale.

La direction pointe pour sa part le mouvement social comme responsable de l’interruption de la production et de “la mise en danger du site”. Ce que fustige Jean-Michel Roccasalva, déclarant “5 jours de grève, au cours de l’année 2022. “Ils ne comptent pas les jours où l’exploitation n’a pas pu se faire dans des conditions apaisées, où les conditions de sécurité ne pouvaient pas permettre la production”, ainsi que “les mouvements de grève au port, dans la sous-traitance…, détaille Camille Jaffrelo à La Marseillaise.

Ces incertitudes persistantes déstabilisent la transition voulue par les pouvoirs publics en associant d’autres activités en synergie autour du bois, tel que la production d’hydrogène. Après le “pacte pour la transition”, ils poussent le “rebond industriel”. Une mission présentée par le sous-préfet Bruno Cassette comme “un guichet unique” afin de favoriser l’installation de projets industriels sur les dizaines d’hectares déjà disponibles sur le site de la centrale et ailleurs dans l’ancien bassin minier. L’engagement public est confié au privé – le cabinet Ernst & Young – pour donner du concret à l’après charbon. Ce qui n’est toujours pas au rendez-vous, trois ans après.

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Commentaires

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  1. inaudirosy inaudirosy

    Il y a 6 ou 7 ans nous avions commencé travaille avec le sous prefet afin de structurer la filiere bois dans notre region pour eviter ces importations absurdes….
    Visiblement apres son depart, rien n’a bouge..et on continue dans l absurde et le non sens…les emplois ont toujours bon dos…..

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  2. Marc13016 Marc13016

    De quel bois parle-t-on exactement ? Ne s’agirait-il pas de bois de déchets, sciure, restes d’élagage, et récup en tous genres ? Pas de beaux arbres bien verts capteurs de CO2 ? Même quand ça vient du Brésil ?
    L’alerte des scientifiques porte sur la combustion “des arbres”. Si ce n’est pas des arbres, mais du bois de déchet, ça peut rester positif au global. A clarifier à mon avis.
    Question de structuration de filière en effet.

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  3. jack13 jack13

    Au regard des stocks devant l’usine, constitué de copeaux de bois, de gros tronc d’arbres et de beaucoup de charbon (que l’article ne mentionne pas) qui il semble effectivement difficile de croire que le contrat initial soit tenu.

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  4. Karo Karo

    Il faut fermer cette usine . Si on fait le rapport coût emploi c’est désastreux au regard des soutiens d’argent public ( un vrai gouffre ) juste pour garder 100 emplois et même moins .
    Cette centrale est une aberration écologique et énergétique si on fait l analyse du cycle de vie de son combustible : combien d’énergie dépensée pour couper du bois au Brésil et le transporter juste pour produire de l électricité et même pas de la chaleur . Il est tenté de renoncer à ce pan de l histoire industrielle de Gardanne et de passer à autre chose . C’est un bon sujet de redirection écologique

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  5. petitvelo petitvelo

    Le business à la tchèque ne mansue pas de sel

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