[Marseille 1983 : retour vers le Futé] Video killed the radio star

Série
par Timothée Vinchon & Sophie Bourlet
le 12 Août 2023
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Installés ici depuis peu, Sophie Bourlet et Timothée Vinchon le savent : ils sont ce que beaucoup appellent "des néos". Bien décidés à se défaire de ce statut, mais à leur façon, ils ont mis la main sur un guide local du Petit Futé vieux de quarante ans. Tout au long de l'été, ils embarquent Marsactu dans leur exploration du Marseille des années 80.

(Illustration : Sophie Bourlet)
(Illustration : Sophie Bourlet)

(Illustration : Sophie Bourlet)

Comment occupait-on ses soirées, il y a quarante ans ? Alors que l’on nous raconte toujours Marseille comme un film de gangsters, on est allés rencontrer l’un de ceux qui offraient des émotions en cassettes dans les années 1980 pour avoir son avis. Alerte spoiler : les gangsters aimaient aussi les films à l’eau de rose.

ÉPISODE 4 : VIDEO KILLED THE RADIO STAR

Écoute conseillée pendant la lecture : la BO de Midnight Express par Giorgio Moroder.

“PROVENCE VIDÉO”, 103, rue d’Endoume, 13007 Marseille

Qui a dit : « Le magnétoscope n’est pas pour les Français un bien indispensable ? », ironise le Petit Futé dans sa rubrique “Vidéomanie”, en se moquant d’une sortie peu visionnaire du ministre du commerce extérieur de l’époque, Michel Jobert. Des vidéoclubs, il y en a des tonnes dans le petit guide des bonnes adresses de 1983. Nombreux sont les commerçantes et commerçants à avoir flairé le bon coup du cinéma à domicile. C’est moins facile de retrouver l’un d’eux, 40 ans plus tard, à l’heure où la V.O.D. et Netflix ont pulvérisé l’industrie de la location de films. Après avoir flâné sur des vieux forums et des groupes Facebook de passionnées de VHS, c’est aux Olives, dans le 13e arrondissement de Marseille, que l’on retrouve l’ancien propriétaire du vidéo club Provence Vidéo, installé de 1981 à 1992 à Endoume.

À peine arrivés chez lui, René nous invite à découvrir sa chambre. C’est sur ses murs recouverts d’affiches du sol au plafond que se retrouve l’essentiel de ses souvenirs de l’époque. Ici, celle du Batman de Tim Burton, un peu plus haut les Gremlins… “À l’époque, les distributeurs nous arrosaient de goodies et d’affiches pour qu’on achète leur film, précise René. On lui raconte notre envie de dépeindre le Marseille des années 1980, à travers ce petit guide qui nous a permis de le rencontrer. En feuilletant le précieux ouvrage, il s’étonne de ne voir aucun cinéma indiqué. Il se souvient notamment d’une salle, le Forum, déjà désaffectée “mais tellement belle”, à côté de son local du 7e arrondissement. 

Mais il faut rembobiner. L’histoire de René, avant d’être celle d’un dealer de cassettes, c’est celle d’un enfant de Pieds-noirs d’Oran, qui se retrouve transbahuté à 15 piges dans le Marseille des années 1960. Il passe de quartier en quartier, ceux construits pour le retour des anciens d’Algérie, comme La Cravache, sans jamais avoir tellement l’impression d’être chez lui. Il tente alors sa chance à la capitale. “Vous savez comment c’est… On se dit qu’on va monter cinq ans, histoire de se faire des sous, et on en reste quinze.” Sa carrière, de poinçonneur puis agent de maîtrise à la RATP et celle de sa femme, qui dirige une équipe de “sténodactylos” décollent. C’est là qu’il s’entiche du 7e art. Il s’assoit dans les salles sombres de Paris jusqu’à cinq fois par semaine. Et raconte aujourd’hui avec nostalgie les projections des premiers épisodes de la saga Star Wars

Les VHS comme nouveau départ

Il découvre aussi le magnétoscope et son pouvoir scotchant grâce à la nourrice de sa fille qui a la bonne idée de mettre les enfants toujours devant le même film, La moutarde me monte au nez, un Zidi de 1974 avec Jane Birkin et Pierre Richard. René a un plan. À l’époque, le régime spécial de la RATP permet des départs anticipés avec indemnisation au bout de 15 ans de bons et loyaux services. “Je n’ai pas fait un jour de plus, s’amuse le septuagénaire. On est en 1982, la petite famille revient s’installer au Vallon des Auffes. Au hasard d’une opportunité de local, il se lance dans le business du film sur petit écran. Il achète 100 VHS et se lance. 

Tous les films, je les ai regardés. T’es bien obligé, si tu veux bien conseiller !

Prenant alors le guide entre ses mains, il sourit en lisant la liste des vidéoclubs qui apparaissent dans la fameuse catégorie “Vidéomanie”. “Il y en avait bien plus. Il faut imaginer, à l’époque, il n’y a que trois chaînes, pour toute la famille. Alors pour se faire un film d’horreur ou un porno, il y a pas mille choix, faut louer la VHS”. C’est le début de l’aventure qui l’occupera plus de 40 ans. Il s’amuse du nombre de cassettes V2000 de ses concurrents de l’époque. “On en a vu passer des formats révolutionnaires… Betamax, V2000, DVD 3D, Blu-ray, etc. Mais seuls les VHS et les DVD ont marché. Tout le monde ne pouvait pas s’offrir une machine à 5 000 francs pour voir les trois films sortis dans ce format !” René nous raconte la grande époque du 103, rue d’Endoume. Chaque semaine, il ajoute une étagère, jusqu’à atteindre plus de 1000 films disponibles. Tous les films, je les ai regardés. T’es bien obligé, si tu veux bien conseiller !”

Mais qui est sa clientèle ? A-t-il, à travers les films, découvert des secrets bien gardés des membres de la French qui peuplaient le quartier, connu pour être l’une des pépinières du crime organisé de l’époque ? “Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai eu plus d’un de ces gars costauds et sombres qui ne me louaient que des drames à l’eau de rose”. 15 francs la cassette pour 24 heures, le tarif restera le même jusqu’à ce qu’il prenne véritablement sa retraite en 2021, deux euros.

À mesure qu’il s’installe, il croise des personnages. Il se souvient d’un client à qui il a fait un système d’abonnement pour louer un film par jour. Eh bien, il n’a pas loupé un jour !” ou de Patricia, la coiffeuse de la rue, qui raffolait des films d’horreur. “À l’époque, regarder un film qui venait de sortir, c’était un événement. Toute la famille s’installait devant la télé et on lançait la cassette”.

Aux Olives, le vidéoclub de quartier

En 1989, alors qu’il débarque pour habiter dans le 13e, René décide de lancer un second magasin, cette fois dans le quartier des Olives : c’est le temps de “Video’lives“. “Il n’y avait pas d’autres vidéoclubs dans le coin, on était les seuls“. Alors que les aléas de la vie lui font lâcher le magasin d’Endoume, son magasin de l’avenue des Poilus devient vite une institution. Bien positionné à côté du bar-tabac, le magasin devient un lieu où l’on se rencontre et on cause. “On était trois à servir, ça n’arrêtait pas !” Venus des cités alentours, du Petit-Séminaire ou d’ailleurs, on se retrouve chez René pour louer un film et s’informer des dernières actualités du quartier. “Je me rappelle de cette dame qui, à chaque retour des courses, s’arrêtait pour me déballer tous les malheurs de sa vie”.

René a arrêté son affaire il y a deux ans. “J’ai pu continuer parce que j’avais déjà ma retraite. Ça me permettait surtout de croiser du monde. Mais le Covid et les confinements ont eu raison de moi”, lâche-t-il. Il raconte la difficile lutte d’abord contre Canal Plus qui a amené un cinéma de qualité à la télé, puis contre “les plateformes qui ont définitivement offert aux gens le confort de garder leurs fesses dans leur canapé”. Au village des Olives, c’est un boucher qui a maintenant pris place dans l’ancien local du vidéomane.

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Timothée Vinchon
Ancien correspondant de presse en Tunisie, Timothée Vinchon est journaliste et membre du collectif Presse-Papiers. Il est très impliqué dans des projets d'éducation aux médias et a créé la newsletter Rembobine, qui mesure l'impact d'enquêtes un an après leur publication.
Sophie Bourlet
Journaliste indépendante basée à Marseille, Sophie illustre et écrit les histoires qu'elle entend, surtout si elles viennent de Méditerranée. Elle fait partie du collectif Presse-Papiers.

Commentaires

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  1. Praski Praski

    Je veux juste dire merci infiniment et bravo pour cette série qui me passionne, moi qui n’ai vécu à Marseille que 5 ans entre 2002 et 2007 (mais une partie de ma famille est marseillaise et chaque article fait remonter en moi des souvenirs). Vos articles sont très touchants grâce aux témoignages des “figures” de l’époque, et les commentaires des lecteurs sont top. C’est un bel exercice, à re-proposer à d’autres nouveaux arrivants qui tomberaient sur des éditions plus récentes du Petit Futé ? La décennie 1990 – 2000 vaut sûrement aussi le coup… Encore merci !

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  2. vékiya vékiya

    jusqu’en 2021 quand même ! et être remplacé par un boucher c’est mieux que par une agence immo ou une banque

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