Michéa Jacobi vous présente
12 mois à Marseille

[12 mois à Marseille] Le Noël de Zoé

Chronique
le 20 Déc 2025
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Dans ce feuilleton littéraire, Michéa Jacobi suit, de mois en mois, la vie de Zoé, mère (pas si isolée que ça) habitant Verduron. En guise de cadeau de Noël, il nous offre un treizième épisode, pour clore définitivement l'histoire du Poulpe d'or.

Illustration : Michéa Jacobi.
Illustration : Michéa Jacobi.

Illustration : Michéa Jacobi.

Résumé : Zoé et les siens sont parvenus à reconstituer toute l’histoire du Poulpe d’or. Mettront-ils enfin la main dessus ? C’est au dernier épisode de l’année 2025 de vous le dire.

Noël, c’est cadeau !

La fête de Noël correspond peu ou prou au solstice d’hiver, la nuit la plus longue de l’année. Pour en rajouter côté noirceur, les réunions de famille tâchent en cette occasion d’être les plus fournies possible. Les parents, grands-parents, enfants, petits-enfants, brus, gendres et compagnie, d’ordinaire éparpillés et parfois peu enclins à se fréquenter, acceptent de se retrouver pour des agapes souvent répétitives : foie gras, saumon, chapon et papillotes sans blague, il y a longtemps que les chocolatiers ont renoncé à envelopper leurs friandises dans de mauvaises plaisanteries. À l’opposé, il existe un certain nombre de grincheux qui s’acharnent à bouder la fête.

Samuel Ziat, le compagnon de Zoé, faisait partie de cette catégorie. Noël lui donnait le bourdon, un énorme bourdon, un bourdon aussi lourd que Bertrand, le battant de la cloche Joséphine, la plus ancienne de Notre-Dame-de-la-Garde. Paradoxalement, il adorait les chansons de Noël, il leur vouait même une sorte de culte. Il était incollable sur le sujet.

Il savait que White Christmas était l’œuvre d’Irving Berlin, fils d’un chantre de la synagogue de Moguilev en Biélorussie, que Petit Papa Noël avait d’abord été composé pour une opérette interdite par Vichy et que la meilleure version de Stille Nacht était celle d’Elvis Presley… ou celle d’Ella Fitzgerald et de Tom Jones, il n’arrivait pas à se décider.

La détestation de la fête et l’amour de ses musiques provoquaient en effet en lui un phénomène étrange. À l’approche de Noël, il ne voulait plus voir personne. Il s’enfermait dans son studio pour écouter des heures durant les meilleures plages de ses Xmas albums, ses albums de Noël, un genre typiquement anglo-saxon. Il passait et repassait les 33 tours spécialement concoctés pour l’occasion par James Brown, Bing Crosby, les Beach Boys ou Bob Dylan. Et pendant ce temps, Zoé, l’amour de sa vie, était prié de se passer de lui.

Elle, la vaillante et perspicace maman de Verduron, n’avait rien contre les crèches, les sapins et le réveillon. Seulement voilà, on était dans une année impaire. Et les années impaires, il était convenu que les enfants allaient fêter la naissance de Jésus dans la famille de leur papa. Sans eux, Zoé ne se sentait la force de participer à la moindre réunion.

Elle se retrouva donc seule, entièrement seule, dès que les vacances solaires commencèrent.

Que faire ?

La famille avait bien avancé dans la résolution du mystère du Poulpe d’or. On avait réussi à retracer tout l’itinéraire de l’ex-abbé Farrier, de Vic-sur-Cère au Grand Pavois, on savait que le trésor était caché dans cette tour. Il ne restait plus qu’à trouver où. On avait échafaudé des tas d’hypothèses, on s’était promis d’aller consulter les plans aux Archives départementales, on avait remis ça à plus tard, Noël était arrivé.

Que faire ?

Zoé n’y alla pas par quatre chemins. C’était, on s’en souvient, une lectrice hypermnésique. Elle se souvint de la nouvelle La Lettre volée d’Edgar Alla Poe et de son épigraphe : “Rien en fait de sagesse n’est plus détestable que d’excessives subtilités.”

L’énigme disait “La pieuvre dorée est dans le huitième, au huitième, là où flotte le grand bouclier”. Il n’y avait rien d’autre à savoir. Elle prit le 98 jusqu’à Gèze (capitaine d’artillerie mort pour la France), le métro jusqu’au rond-point (du Prado), appuya sur le bouton n°8 de l’ascenseur (un Roux-Combaluzier très vintage), puis sur celui de la sonnette (sans nom) du premier appartement qui se présenta à elle.

Une dame d’un certain âge lui ouvrit. Grande, blonde, les cheveux strictement tirés vers un chignon tressé en anneau, à l’ancienne. On aurait dit Dominique Sanda, l’héroïne du Jardin des Finzi-Contini de Vittorio De Sica. Zoé n’avait que faire des comparaisons cinéphiliques, elle reconnut immédiatement la fille du chantier de fouilles, l’ex-révolutionnaire, l’auteure du roman De la fouille à la révolte.

— Bonjour

— Bonjour

— Je cherche une personne qui aurait pu connaître l’abbé Farrier.

— Vous cherchez le Poulpe d’or en fait.

— Oui.

— Il est ici, je vais vous le donner.

Ce fut aussi simple que ça. La dame disparut, revint avec une boîte, raconta en peu de mots comment, ayant été appelée par son ancien gourou, elle était allée à l’évêché et avait reçu le bijou. Puis, elle congédia sa visiteuse, comme si elle ne voulait plus entendre parler de toute cette histoire, comme si elle passait avec soulagement une sorte de relais.

Zoé s’en va à pied jusqu’au bord de la mer. Sur les troncs des micocouliers, des troncs en forme de patte d’éléphant, l’écorce fait des dessins en forme d’œil humain. Les yeux des micocouliers regardent passer Zoé qui du bout des doigts tâte la boîte qu’elle n’a pas encore ouverte. La mer est au bout de ses pas, au-delà du gravier des plages, ni sable ni macadam, ni chagrin ni vacances, ni ville ni bord de mer. Et le flot, en accord avec cet étrange rivage, s’acharne à être le plus gris possible. Le plus insondable.

Elle ouvre l’écrin.

La bête de métal la regarde d’un œil rogue. Zoé ne sait que penser. Elle sent que ce truc veut l’atteler à de nouvelles enquêtes. Elle ne veut pas. Elle est tentée de tout foutre à l’eau. Mais non, elle remet le poulpe dans la boîte, la boîte dans sa poche et reprend le chemin de Verduron.

Demain sera un autre jour, dit un proverbe. Les années en savent plus que les livres, dit un autre.

Michéa Jacobi
Michéa Jacobi est graveur et écrivain. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Chroniqueur à Marseille l’Hebdo pendant plus de dix ans, il a rassemblé ses articles dans un recueil intitulé Le Piéton chronique (Éditions Parenthèses) et il a écrit pour le même éditeur une anthologie littéraire Marseille en toutes lettres.

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