Les évacués de la rue de Tivoli face à la nasse sans fin des assurances
Plus d'un mois après l'explosion mortelle de la rue de Tivoli, les habitants des immeubles les plus proches n'ont toujours pas de perspective de réintégration. Ils se débattent surtout face à des assurances qui ne jouent pas le jeu annoncé.
Conforté, le 19 de la rue de Tivoli doit encore connaître d'importants travaux de sécurisation. Photo: B.G.
Il y a ceux pour qui l’orange vire au vert, ceux qui font leurs valises et réintègrent ces jours-ci le logement qu’ils avaient dû quitter en pleine nuit, le 9 avril, alors que le quartier était soufflé par l’explosion d’un immeuble, rue de Tivoli. Les habitants de cinq immeubles sont concernés par ce retour au bercail, plus d’un mois après l’effondrement de plusieurs habitations dans cette rue tranquille du quartier du Camas. La Ville de Marseille confirme ces retours qui doivent s’étaler sur plusieurs jours, cette semaine et la prochaine. Les immeubles rouverts sont tous situés dans la zone dite orange, qui délimite un secteur moins touché des rues Jaubert et Abbé-de-l’Épée.
En revanche, pour les évacués de la zone dite rouge qui entoure directement les immeubles placés sous arrêtés de péril, la couleur déjà alarmante vire à l’écarlate. Il y a tout juste une semaine, le 10 mai dernier, une réunion avec le maire de secteur et des cadres administratifs de la Ville visait à informer les habitants des immeubles avoisinants le numéro 19, des dates possibles de leur retour.
De la colère face aux délais qui s’étirent
Et face au flou général, la colère n’a pas tardé à s’exprimer, avec vigueur ou plus froidement. “Pour la plupart, nos immeubles ne sont pas soumis à des risques de problèmes structurels, explique Maxime*. Mon appartement récemment refait à neuf ne présente que des problèmes d’huisseries à refaire. Mais on ne peut envisager aucun retour parce que nous sommes dépendants des travaux de sécurisation entrepris par les propriétaires du 19″.
Voisin de l’épicentre du sinistre, le 19, rue de Tivoli fait l’angle avec la rue Abbé-de-l’Épée. Tant que le risque d’effondrement de ce dernier persiste, le retour dans les immeubles voisins, mais aussi ceux du trottoir d’en face, reste compromis. “Dans le rapport d’experts qui nous a été remis, le délai de réintégration est évalué de plusieurs semaines à plusieurs mois, se désole Maxime. Or, cela dépasse de très loin le délai de prise en charge de deux mois accordé par la fédération France Assureurs, au lendemain de l’explosion“. L’adjoint au logement, Patrick Amico confirme cette absence de visibilité. “Dès lors que le syndic a décidé de prendre à sa charge les travaux de confortement, nous n’avons plus la main sur les délais et leurs conséquences sur les immeubles adjacents“.
Dans la galère des assurances
Le mot est lâché. Il constitue la hantise de nombreux évacués qui se débattent depuis des semaines avec leurs assurances. Pourtant, le 14 avril, France Assureurs, la fédération qui rassemble la majeure partie des assureurs français, a publié un communiqué listant une série d’engagements pris au nom de ses adhérents. Il prévoyait notamment d’élargir les délais de déclaration de sinistre, de verser une avance immédiate à tous les sinistrés et d’assurer un relogement aux personnes mises à la rue “pendant une période pouvant aller jusqu’à deux mois“.
De nombreux évacués ont un contrat chez le même assureur, mais n’ont pas le même niveau de garantie.
Or, dans les faits ces engagements sont loin d’avoir été respectés. “La question des assurances est compliquée, explique Lua, qui animait une réunion du collectif Tivoli, qui rassemble les habitants, ce lundi 15 mai. Personne n’est logé à la même enseigne. De nombreux évacués ont un contrat chez le même assureur, mais n’ont pas le même niveau de garantie. À l’inverse, certaines assurances sont très généreuses“.
Des engagements sans engagés
Selon nos informations, de nombreuses assurances liées à des banques, ne se sentent pas engagées par les annonces de la fédération dont ils sont adhérents. Or, comme souvent dans les histoires bâtimentaires, les relations entre assurances peuvent avoir un effet domino. Le cas de Jeanne* est à ce titre exemplaire.
La jeune femme était locataire du 19, rue de Tivoli. Sortie boire un verre dans la nuit du 8 au 9 avril, elle n’est jamais rentrée chez elle. “Je n’ai plus rien d’autre que ce que contenait ma banane, constate-t-elle. Mon appartement se situait du côté effondré. J’ai tout perdu, mais si j’étais rentrée plus tôt, je ne serais plus de ce monde“.
Assurée chez la Maif, elle a été rapidement orientée vers la cellule Tivoli. “La personne qui s’est occupée de moi a d’emblée été très désagréable, en soulignant que j’avais pris le contrat de base et qu’il ne fallait pas s’attendre à une bonne prise en charge”. La professionnelle n’évoque jamais les 150 euros d’urgence que la plupart des évacués ont perçu dans les heures qui ont suivi le sinistre. De la même façon, la prise en compte de son relogement était suspendue au fait que son appartement était détruit, et le bail d’emblée résilié.
“Heureusement, le syndic qui gère notre immeuble ne s’arrête pas à ce principe, reprend Jeanne. À la demande de notre propriétaire, c’est lui qui a entrepris les opérations de sécurisation du bâtiment. Dans ce cadre, ils ont mandaté une société pour récupérer les biens qui peuvent encore être restitués. Le problème est que cette société a des tarifs très onéreux et que cela revient à plus de 6000 euros par locataire. Là encore, cette somme doit être prise en charge par l’assurance de chaque sinistré.”
Devoir rembourser son assurance
Or, pour certains, cette somme dépasse le niveau de garantie prévu par leur contrat. Leur assurance leur réclame donc de payer la différence. Et ce différend a un effet direct sur le calendrier puisque les travaux de sécurisation les plus structurels ne peuvent pas être entrepris tant que les locataires n’ont pas pu récupérer leurs affaires. Et dans les immeubles avoisinants, propriétaires et locataires attendent à leur tour de pouvoir démarrer les travaux.
Sollicité par Marsactu, la Maif précise que la situation de chaque assuré est différente. “Quand un sociétaire a subi des dommages, alors ce sont les garanties de son contrat qui s’appliquent, explique Déborah Hérisseau, référente technique. La situation est différente pour les sociétaires qui n’ont pas subi de dommage mais qui sont tout de même évacués. Pour eux, ce ne sont pas les contrats qui s’appliquent“. Les 150 euros perçus par certains assurés s’appliquent ainsi à ceux qui n’ont pas subi de dommages. La Maif met également les mesures dérogatoires qu’elle a mis en place en complément de France Assureurs.
De son côté, France Assureurs indique avoir participé à plusieurs permanences via “ses référents locaux” “Deux autres permanences sont prévues dans les jours à venir“, indique un porte-parole.
La Ville dit ne rien pouvoir faire “si ce n’est mettre la pression sur les assureurs”.
Quant à la Ville, si elle a été informée de cette situation, elle dit ne pouvoir “rien y faire” comme le formule Patrick Amico : “si ce n’est mettre la pression sur les assureurs. Après cela relève du cas par cas“.
Saisie de cette question, la Ville a voté le principe de la création d’un fonds d’avance, demandée au gouvernement. Sollicitée par Marsactu, la préfecture indique que cette demande de “fonds interministériel est en cours d’instruction”. Dans l’intervalle, le collectif demande la mise en place d’un Comité local d’aide aux victimes (Clav) qui permet de fixer les priorités et de répartir l’effort entre pouvoirs publics et assureurs. Là encore, la préfecture ne se fait pas plus rassurante en termes de délai, en annonçant une réunion au mieux “dans les prochaines semaines“.
300 000 euros avancés par la Ville
Face à ce temps qui s’étire, le collectif Tivoli entend être mieux associé aux discussions comme aux décisions. “Lors de la réunion plénière, vendredi dernier, la Ville nous a annoncé avoir dépensé plus de 300 000 euros dans le relogement, rapporte Lua. Ce n’est pas normal que les pouvoirs publics se retrouvent à devoir pallier les obligations des assurances parce que ces dernières jouent la montre”.
L’analyse est partagée par les membres de la Fédération nationale d’aide aux victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), qui accompagne individuellement les victimes et conseille le collectif dans son dialogue avec les autorités. “La position de France Assureurs nous a dans un premier temps plutôt rassurés, explique Sophia Seco, la directrice de la structure. Mais nous nous sommes rapidement rendu compte que c’était d’abord insuffisant et ensuite que les adhérents à la fédération n’étaient pas au courant et agissaient chacun selon son bon vouloir“.
Trouver un accord-cadre
Pour elle, “le problème est politique au sens large“. Au côté du collectif, elle demande qu’un seul “référent Tivoli” soit désigné par compagnie d’assurances pour éviter que les évacués soient traités suivant leur niveau de couverture ou même en fonction du chargé de clientèle. Pour elle, c’est à l’État d’assurer cette coordination. “Il est tout de même anormal que la Ville dépense de l’argent public pour répondre à un sinistre parfaitement couvert par les assurances“, pointe-t-elle.
En lieu et place d’un fonds d’avance, elle souhaiterait voir mise en place une “convention d’indemnisation coordonnée par l’État qui oblige les assureurs à se mettre d’accord”. La Ville de Paris avait obtenu un tel accord-cadre, deux ans après l’explosion au gaz de la rue de Trévise, dans le 9ᵉ arrondissement. “Cela permet d’avoir un socle commun d’indemnisation avec un seul assureur qui prend tout en charge, du point de vue immobilier, mobilier comme sur le plan corporel, détaille Sophia Seco. Et cela sans attendre que la justice ne se prononce sur les responsabilités pénales ou civiles“. De son côté, le collectif réfléchit à se constituer en association pour pouvoir être associé aux négociations entre pouvoirs publics et assureurs.
Actualisation le 23 mai 2023 à 18 heures : ajout des réponses de la Maif.
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Quelle engeance, ces assurances ! Apparemment très rentables puisque chacun ouvre la sienne. Mais quand il s’agit de payer… La MAIF soit-disant assureur militant ne vaut pas mieux apparemment. Ces gens ont presque tout perdu à part la vie et les assurances tergiversent ! Alors qu’elles sont obligatoires. Et ce sont les administrés marseillais qui paient à leur place! La ville s’honore à faire ça mais c’est totalement anormal. Serons-nous remboursés par ces vautours ?
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