Le conseil municipal de Marseille débat enfin de la violence des trafics

Actualité
le 5 Mai 2023
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Benoît Payan a inauguré le conseil municipal du 5 mai avec un discours dédié aux victimes des trafics de stupéfiants. Des mots inédits dans cet hémicycle, qui n'ont pas manqué de révéler les différents clivages politiques au sein de l'assemblée. Et dont les conséquences en actes seront scrutées.

Les élus municipaux ont observé une minute de silence en hommage aux victimes des trafics. (Photo : CMB)
Les élus municipaux ont observé une minute de silence en hommage aux victimes des trafics. (Photo : CMB)

Les élus municipaux ont observé une minute de silence en hommage aux victimes des trafics. (Photo : CMB)

Des “voyous qui se tuent entre eux”. Prononcée en 2012 par l’ancien maire Jean-Claude Gaudin (LR), la formule est restée gravée dans le marbre. Elle a symbolisé, pendant des années, l’indifférence de la Ville des Marseille face aux victimes des trafics. Et si des actes sont toujours fermement attendus, des mots inédits ont bel et bien été posés ce vendredi 5 mai au matin lors du conseil municipal. À l’occasion d’un discours prononcé par le maire (DVG) Benoît Payan la nouvelle majorité a argué de sa volonté de ne plus détourner le regard des assassinats qui font des dizaines de victimes chaque année, et plongent des quartiers entiers dans le deuil et la peur.

Les fusillades, les assassinats, les exécutions ne sont jamais des faits-divers. Ce sont toujours des drames”, pose l’élu en ouverture de séance. Et de rappeler que dans cette “guerre” de trafiquants, on tue des enfants, des gens qui ne sont pas moins marseillais que les habitants des Chartreux ou de la Canebière”. Une fois la symbolique posée, le maire exige du gouvernement encore plus de “policiers” et de “magistrats” que les renforts déjà arrivés “par centaines” ces dernières années.

Au sein de l’ordre du jour, les deux rapports ajoutés en urgence “en raison du contexte” doivent symboliser la politique de la nouvelle majorité, entre renfort sécuritaire et approche globale. Le premier prévoit le doublement des effectifs de nuit de la police municipale, bien que cette dernière ne soit pas en première ligne dans la lutte contre le trafic. Le second, bien plus significatif, accorde une enveloppe historique à destination des centres sociaux (1,5 million d’euros).

Une minute de silence vient clôturer le discours du maire. Dans la tribune du public, la Ville avait invité des familles de victimes et des représentants associatifs de plusieurs cités, toutes touchées par des fusillades ces dernières semaines (Félix-Pyat, la Paternelle, la Busserine, les Micocouliers, Frais-Vallon, les Rosiers). Une minute de silence, après des décennies d’indifférence. Dans l’hémicycle, tout le monde se lève d’un mouvement. Tout le monde, sauf les deux élus encartés Reconquête, Stéphane Ravier et Sophie Grech. Bien que cachés derrière les élus RN qui, eux, étaient debout, le geste n’est pas passé inaperçu.

“Il y a dans le public des parents qui ont perdu leurs enfants, reprend le maire. Que vous ne vous soyez pas levés, ça vous regarde. Mais il y a des propos qui choquent et je vous demande simplement de respecter les gens qui sont ici.” Quelques secondes plus tôt, l’élu d’extrême-droite avaient estimé que dans la mesure où les Bouches-du-Rhône ne figurent pas parmi “les deux départements les plus pauvres de France”, c’est “qu’il doit y avoir un autre problème ici”. Et d’enchaîner sur une sortie au sujet de ceux qui, selon lui, “encaissent les allocations” et “partent en vacances au bled”. Avant de quitter l’hémicycle.

Approche globale version sécuritaire

C’est inédit. Pendant près de deux heures, une dizaine d’élus s’expriment, laissant entrevoir autant de stratégies différentes, entre “approche globale” et “recours à l’armée”. Voire les deux à la fois, à l’instar de Samia Ghali (DVG). L’élue des 15/16 réitère sa volonté de mobiliser des militaires, mais rappelle avoir “toujours été pour l’approche globale”.

Ce qui se passe là, je l’ai rêvé. Enfin, on a fait entrer dans l’hémicycle le sujet du trafic.

Samia Ghali, maire-adjointe

Avant d’énumérer, l’ensemble des difficultés sociales qui font le lit du trafic : familles fragiles et trop souvent monoparentales, impossibilité d’obtenir des relogements, “centres sociaux abandonnés”... Et dans l’ombre de la drogue, “la question de la prostitution et de la traite de mineures dès 10 ans”. Elle conclut : “je suis très émue. Ce qui se passe là, je l’ai rêvé. Enfin, on a fait entrer dans l’hémicycle le sujet du trafic. Vous avez redonné une dignité à ceux qui ne sont plus là.”

À droite, l’ancien maire LR des 6/8 Yves Moraine adhère au discours d’union souhaité par la majorité, et promet que “les institutions dirigées par Martine Vassal [le département et la métropole, NDLR] feront tout pour participer à cette lutte.” Cette dernière, bien que plusieurs fois apostrophée par les élus de gauche, reste silencieuse durant tout le débat. Quant au recours à l’armée, Yves Moraine ne s’y déclare pas favorable, mais estime que des militaires gradés pourraient être intégrés aux réflexions, puisque “rien n’a réussi” jusqu’à présent.

Au centre dans l’hémicycle, l’ancien maire des 9/10 désormais député Renaissance, Lionel Royer-Perreaut, relaye l’action du gouvernement. “La mobilisation de l’État est là, mais l’argent ne résoudra pas tout”. L’élu demande au nom de son groupe la tenue d’un “conseil extraordinaire” ou d’une “convention citoyenne”, qui permettrait aux élus et à la population de travailler ensemble sur la refonte de la politique sécuritaire. Politique qui pourrait passer, selon lui, par la création d’une CRS 8 locale. Une brigade d’ordinaire réservée au maintien des manifestations, récemment déployée à Mayotte et, à l’essai depuis quelques semaines dans les quartiers Nord.

“Je ne laisserai personne instrumentaliser mes tripes”

Le débat a aussi ravivé les conflits classiques qui opposent droite et gauche dans l’hémicycle marseillais, chaque camp accusant l’autre d’inaction. Défendant au micro la délibération qui acte le principe du doublement des effectifs nocturnes de la police municipale, l’adjoint à la sécurité Yannick Ohanessian en remet une couche sur l’immobilisme de la précédente majorité. “Il faut dire que nous partions de très loin, tant rien, ou pas grand-chose, n’avait été fait”, appuie-t-il.

Est-ce à dire que depuis hier, vous considérez enfin la situation sécuritaire comme cruciale ?

Catherine Pila (LR)

En face, la présidente LR du groupe “Une volonté pour Marseille” Catherine Pila partage son “étonnement” que la délibération sur la police n’ait été ajoutée que la veille à l’ordre du jour. “Est-ce à dire que depuis hier, vous considérez enfin la situation sécuritaire comme cruciale ?” À gauche, des “honte à vous !” fusent hors micro. Sur une ligne moins sécuritaire, l’écologiste Sébastien Barles plaide pour la “dépénalisation” du cannabis, à l’expérimentation dans plusieurs pays.

Des clivages qui ont laissé place au silence face aux mots de Hayat Atia, conseillère municipale des 13/14, qui a perdu quatre proches dans des fusillades, dont le père de ses enfants en 2006 “dans une indifférence totale”, lâche-t-elle, émue. “Moi aussi, madame Ghali, j’avais ce rêve et j’attendais depuis longtemps que ce débat soit posé. En 2006, aucun élu, ni local ni national, n’a tapé à ma porte. Alors je suis heureuse de voir qu’aujourd’hui, on s’attaque à ce problème. Mais je ne laisserai personne instrumentaliser mes tripes”, lance-t-elle à l’attention de “ceux qui ne se déplacent pas”, coupables de “l’indignité qui consiste à prendre la parole sans aller sur le terrain”.

Des termes qui résonnent avec le sentiment régulièrement exprimé par les acteurs de terrain, habitants des quartiers lassés d’attendre des actes. Après deux heures de débats, la tribune du public était toujours presque pleine. Mais l’hémicycle s’était déjà à moitié vidé des élus marseillais, à gauche comme à droite.

Absent du budget des centres sociaux, Renaud Muselier taclé par la Ville
Moi, je n’entends jamais le maire”, avait attaqué le président (Renaissance) de la région à propos de la lutte contre les trafics, sur le plateau de CNews le 26 avril, avant de demander un “plan Marshall”.
Ce vendredi, les élus de la majorité n’ont pas manqué l’occasion de tacler Renaud Muselier à leur tour. En pointant, en premier lieu, l’absence de financements régionaux à destination des centres sociaux, et ce depuis 2018. “Quand on se retire des financements de la mission locale et des centres sociaux, on balaye devant sa porte. Évidemment, ce sont des excuses qu’on attendait, mais on comprend qu’on ne les aura pas”, a lancé Benoit Payan à Isabelle Campagnola-Savon, conseillère municipale et élue à la région.
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Commentaires

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  1. Soly Soly

    Enfin 🙏

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  2. barbapapa barbapapa

    Il y en a qui peuvent commencer par ne plus consommer ni acheter !

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Merci de le dire. Il n’y a pas seulement “des voyous qui se tuent entre eux”, il y a aussi d’autres voyous, bien propres sur eux, qui sont à la base de cette tragédie : les clients.

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    • RML RML

      Sic était si simple que ça avec les drogues, cela fait 2000 ans que le problème serait réglé. Vous avez déjà entendu parler de la dépendance ?

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Non seulement j’en ai entendu parler, mais j’ai aussi entendu parler de sevrage : il y a même des parcours de soin pour ça. Mais ici, ce que je mets en cause, ce sont ces gens bien sous tous rapports qui consomment de la drogue à titre “récréatif” et non parce qu’ils en sont dépendants.

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  3. Jeanne 13 Jeanne 13

    On le voit depuis des années la sécurité seule ne suffira pas il est temps et urgent de remettre des moyens quotidiens de prévention sociale
    Les budgets n ont cessé de diminuer en matière de prévention notamment à destination des plus jeunes pour tout miser sur la sécurité ça ne suffit pas on le voit bien
    Un équilibre sécurité prévention coordonné est la seule solution
    La dimension sociale accompagnement famili
    Je suis d accord avec Sébastien Barles sur la possibilité d envisager la dépénalisation une autre solution à envisager

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