Face à la fronde locale, Hynovera réduit largement ses ambitions industrielles à Gardanne
Décrié par plusieurs centaines de riverains à l'automne, le projet industriel de carburants issus du bois est revu à la baisse par la société Hy2Gen. Elle prévoit de diviser par deux la production et d'adapter ses approvisionnements et ses impacts. De ce fait, le site ne serait plus classé Seveso.
La centrale biomasse de Gardanne. (Photo : Clémentine Vaysse)
L’industriel qui veut produire des carburants à partir de bois sur le site de la centrale de Gardanne maintient son cap mais réduit fortement la voilure. À l’automne, la société Hy2Gen a été chahutée par des centaines de riverains inquiets des risques industriels lors des réunions de concertation. Une pétition en ligne demandant l’abandon du projet baptisé Hynovera a rassemblé plus de 24 000 signatures. Deux mois après la clôture de cette première phase de confrontation avec l’avis du public, Hy2Gen annonce une refonte de son projet. Celui-ci représente la locomotive du pacte de transition impulsé par le gouvernement sur ce territoire avec l’arrêt des dernières tranches fonctionnant au charbon de la centrale.
Pour tenter de rassurer les Gardannais et les Meyreuillais qui ont manifesté leur opposition avec bruit, Hy2Gen pose l’engagement de ne pas créer une unité industrielle classée “Seveso seuil bas”. Pour ce faire, il renonce à la production de méthanol qui devait approvisionner les navires sur les ports de Marseille-Fos et de Toulon. “Nous allons nous concentrer uniquement sur les carburants pour l’aviation”, précise Cyril Dufau-Sansot, le président de Hy2Gen. La méthode envisagée pour obtenir ce kérosène change également. Plutôt qu’une pyrogazéification du bois – autrement dit un passage dans une sorte de four à très haute température – le porteur de projet prévoit une distillation. Ce qui élimine l’installation d’une torchère, ce que redoutaient les riverains.
“Acceptabilité urbaine”
La seconde phase de la production resterait identique : les composés carbonés extraits du bois seraient assemblés avec de l’hydrogène produit sur place par électrolyse de l’eau. Mais globalement, la fabrication projetée “serait réduite de moitié pour minimiser l’empreinte foncière, les besoins en matières premières, la logistique, et le montant des investissements”, affirme un document d’Hy2Gen publié ce 21 février sur le site de la consultation publique. Ce qui représenterait une production de 50 000 litres de kérosène par jour, au lieu des 100 000 initialement prévus. Pour Cyril Dufau-Sansot, c’est une manière de “démontrer que l’on a tiré les enseignements et écouté.”
Ainsi, entre les zones urbanisées du Plan-de-Meyreuil et de Gardanne, l’industriel “ambitionne d’intégrer son projet dans une dimension d’acceptabilité urbaine”, développe-t-il dans son texte. En clair, il affiche sa volonté de rechercher “une intégration paysagère exemplaire” et de minimiser les impacts, comme le bruit dû en particulier aux broyeurs ou encore ceux du transport du bois, qu’il souhaite privilégier par voie ferrée. Il assure que les nuisances sonores et les pollutions atmosphériques seront mesurées via l’installation de capteurs.
Une usine moins gloutonne
Le dimensionnement de la production divisée par deux permet également de répondre aux critiques d’une usine trop gourmande en bois forestier, en électricité et en eau. Le projet initial prévoyait la consommation annuelle de 275 000 tonnes de bois principalement d’origine forestière, en sus des 850 000 tonnes déjà captées par la chaudière de la centrale thermique. Des volumes qui portent atteinte à la biodiversité des forêts et à leur fonction de puits de carbone face au réchauffement climatique, selon de nombreux écologistes et scientifiques. Hy2Gen, songe là-aussi à revoir sa copie en envisageant de “substituer à la biomasse forestière des résidus d’exploitation forestière (produits connexes de bois d’œuvre par exemple) […], mais aussi [des] matières végétales non-alimentaires tels que noyaux d’olives, ceps de vigne…” Et aussi peut-être parallèlement de recourir à d’autres approvisionnements en carbone, “comme le captage ou l’importation de CO₂.”
Côté électricité, l’utilisation moindre d’hydrogène devrait diviser les besoins par dix. Donc plutôt de l’ordre de 100 gigawattheures par an, au lieu de 1000 prévus dans la première mouture du projet. Dans des proportions un peu moins importantes, la consommation d’eau est aussi revue à la baisse. Et Hy2Gen veut étudier la possibilité de se tourner vers l’eau qui a ennoyé les anciennes mines de charbon, à la place de l’eau du canal de Provence, venue du Verdon. Une ressource en tension à cause du changement climatique et de l’augmentation des usagers.
Le projet est vu par le gouvernement comme prioritaire pour avancer vers la décarbonation des transports aériens.
Côté financements, de fait, les besoins aussi sont réduits. Le nouveau projet nécessite 250 millions d’euros, au lieu des 460 millions initiaux. Le gouvernement soutient la future unité provençale comme l’une des briques d’une filière à développer “de carburants aéronautiques durables”. Le 14 février 2023, il a rendu public cinq projets lauréats subventionnés en ce sens, dans le cadre du plan France 2030, dont Hynovera. 6,5 millions d’euros lui sont accordés pour la réalisation des études préalables, dont “4 millions sous forme d’avance remboursable, autrement dit un prêt”, précise le président d’Hy2gen. “C’est un signal fort pour que toute la filière se mette en branle”, se félicite-t-il encore.
“Faire Hynovera ailleurs en France”
Les annonces – encore non chiffrées à ce stade – de l’entrepreneur n’emportent pas l’adhésion des leaders de la contestation à son projet. “Hynovera est arrivé dans un premier temps avec ses gros sabots, il revient avec ses petites pantoufles. Il va commencer par produire deux fois moins, mais après la phase d’expérimentation, ce sera 1000 fois plus. Une fois qu’il sera sur le terrain on ne pourra plus rien faire”, estime Eric Ida, l’un des habitants de Meyreuil à l’origine du collectif Hynovera on n’en veut pas. “Pourquoi nous imposer ça à nous, sous-peuple gardannais ? Sous prétexte que l’on a mangé du charbon pendant 100 ans, on doit encore manger de la merde ?”, continue-t-il d’exhorter.
Rien de ce qui sera fait sur le site de la centrale ne sera écologique”
Luc Le Mouel, militant à l’ALNP
“Son usine n’est pas plus propre que les autres. On ne veut pas se faire piéger par des belles paroles. Rien de ce qui sera fait sur le site de la centrale ne sera écologique”, cingle l’opposant historique à l’usage industriel de la biomasse et membre de l’ALNP (association de lutte contre les nuisances et la pollution) Luc Le Mouel. Ce dernier continue de pousser son propre projet de transition pour les 80 hectares de la centrale – dont il a remis une copie récemment au sous-préfet – alliant espaces de loisirs, activités touristiques, ainsi que de recherche et développement.
Les deux citoyens promettent d’intensifier la mobilisation. Ce qui n’inquiète pas Cyril Dufau-Sansot. “Il y aura toujours des opposants. On ne pourra jamais convaincre à 100 %. Ce qu’il faut maintenant c’est que l’on donne confiance”, considère-t-il. Ayant radicalement changé de mode de production et de dimension, son projet va être renommé. Néanmoins, “nous allons faire Hynovera”, assure-t-il, “mais ailleurs en France, probablement du côté des Hauts-de-France”, glisse-t-il à Marsactu.
Reparti presque de zéro, le futur d’une production de kérosène nouvelle génération à Gardanne devra subir les épreuves d’une concertation complémentaire d’ici à l’automne 2023, de nouvelles études de faisabilités, puis d’une enquête publique au premier trimestre 2024. Mise en route prévue fin 2028, soit un an plus tard que la date annoncée lorsque Hynovera est sorti du bois.
Commentaires
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On ne s’en sortira jamais. Si au prétexte que la production de méthanol qui est LA solution à terme pour remplacer le pétrole n’est pas écologique et qu’elle occasionnera des nuisances pour les riverains du site de production et qu’elle se trouve confrontée à des opposants par ailleurs “verts” il n’y a plus qu’à revenir à la charrette et à la diligence.
MAS
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Tant la position de l’industriel que celle des opposants laisse perplexe.
L’installation redimensionnée sera t elle encore rentable ? Est ce vraiment viable ? L’annonce par Hy2Gen que Hynovera se fera ailleurs fait penser que le nouveau projet sur le site de la centrale est une compensation pour Gazel.
Du côté des opposants, on retrouve la distinction déjà visible lors de la concertation :
– des opposants pour des raisons écologiques;
– des opposants pour des raisons de voisinage qui ne seraient pas dérangés par une installation du projet ailleurs (on ne veut pas être une “sous merde” à Meyreuil, mais que les habitants de Fos, par exemple, le soient n’est pas un problème!)
YN
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Pour répondre aux précédents commentaires, à Gardanne on a déjà Alteo (anciennement Pechiney) plus le site de stockage des boues rouges de Mange Garri, Lafarge à côté à Bouc Bel Air, et du coup la centrale Gardanne-Meyreuil avec l’une des plus hautes cheminées d’Europe. Donc je pense qu’on prend déjà notre part niveau industriel, surtout que c’est immédiatement à proximité d’une ville de 21 000 habitants. Ensuite ce projet amènerait à une consommation de bois encore plus grande, alors que du bois était déjà importé d’ailleurs pour la centrale, où ira-t-on chercher la demande supplémentaire ?
Enfin l’hydrogène profite d’un effet de mode, où tout le monde pense que c’est la solution miracle, à tord, c’est adapté pour certaines situations mais ça ne règlera certainement pas tous les problèmes. L’Etat avait promis de financer la mobilité décarbonée à la fermeture de la tranche charbon, ça tombe bien autant à Gardanne que Meyreuil, les pistes cyclables c’est pas ça encore. On a une voie ferrée disponible et inutilisée (Gardanne – Carnoules), qui pourrait servir à la fois pour les voyageurs et le frêt, pourtant on attend toujours les financements. Que l’Etat commence par tenir ses premiers engagements avant de discuter de nouveaux projets.
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